Lorsqu’on évoque le nom de Nabuchodonosor, deux images viennent immédiatement à l’esprit : celle d’un monarque babylonien à la puissance démesurée et celle d’une gigantesque bouteille de champagne contenant pas moins de 15 litres d’ivresse. Étrange association, et pourtant révélatrice d’un même goût pour la grandeur et l’excès. Dans Nabuchodonosor, Roi de Babylone, entre histoire et légende, Josette Elayi se propose de démêler la réalité de la légende qui entoure ce souverain mythique, redouté autant qu’admiré. Cet ouvrage est la première monographie réellement entièrement consacrée à la vie de Nabuchodonosor. La célébrité de ce dernier procède en particulier de la destruction de Jérusalem en 587 mais aussi de la rénovation de Babylone.
Un roi bâtisseur et un empire à son apogée
Nabuchodonosor II (605-562 av. J.-C.) est avant tout un grand bâtisseur. Sous son règne, Babylone atteint un niveau de splendeur inégalé. Les chantiers qu’il entreprend transforment la cité en une métropole fastueuse, digne de son ambition impériale. La porte d’Ishtar, recouverte de briques émaillées bleu lapis-lazuli et ornée de figures de dragons et de taureaux, en est un des symboles les plus éclatants. Il est aussi souvent crédité de la construction des légendaires Jardins suspendus de Babylone, considérés comme l’une des Sept Merveilles du monde antique, bien que leur existence même soit encore sujette à débat.
Mais ce n’est pas tout : la fameuse Tour de Babel, mentionnée dans la Bible, trouve son origine dans l’Etemenanki, un immense ziggurat érigé en l’honneur du dieu Marduk. Par ses réalisations architecturales titanesques, Nabuchodonosor voulait non seulement affirmer sa puissance terrestre, mais aussi s’attirer les faveurs des dieux et immortaliser son nom pour la postérité.
Un despote entre ombre et lumière
Toutefois, derrière cette façade de mécène éclairé se cache un souverain redoutable, dont le nom est également synonyme de conquêtes militaires et de destruction. L’un des épisodes les plus célèbres de son règne reste la prise de Jérusalem en 587 av. J.-C., suivie de l’incendie du temple de Salomon et de la déportation des élites judéennes à Babylone. Cet événement, connu sous le nom d’Exil babylonien, est à l’origine de la vision négative du roi dans la tradition biblique, qui le décrit comme un tyran mégalomane, instrument de la punition divine.
Paradoxalement, dans d’autres traditions, Nabuchodonosor apparaît comme un souverain cultivé et pieux. Les inscriptions qu’il a laissées témoignent d’un roi soucieux du bien-être de son peuple, attentif à la restauration des temples et à la prospérité de son royaume. La dualité de son image traverse les siècles et se reflète dans les représentations artistiques qui lui sont consacrées.
Une figure mythique au fil du temps
L’opéra Nabucco de Verdi, inspiré de l’histoire biblique, en fait une figure de despote écrasé par son orgueil. Dans la culture populaire, il devient tantôt le symbole du luxe et de l’opulence – d’où la célèbre bouteille de champagne portant son nom –, tantôt une référence incontournable des jeux vidéo et de la fiction historique. Nabuchodonosor a su, à travers les âges, captiver les imaginaires et nourrir les récits les plus divers, oscillant entre magnificence et cruauté.
Josette Elayi
Née à Bordes sur Lez, dans la vallée du Couserans et après des études secondaires au Lycée de Saint-Girons, elle quitte donc son Ariège natale pour des périples multiples, d’extrême Occident en extrême Orient. Dans cette biographie, Josette Elayi s’attelle à déconstruire les mythes et à restituer l’histoire dans toute sa complexité. Spécialiste du Moyen-Orient antique, diplômée d’hébreu, d’araméen et d’akkadien, chercheuse au CNRS, Josette Elayi a enseigné aux universités de Beyrouth et de Bagdad et auteure de plusieurs ouvrages de référence sur les civilisations assyrienne et babylonienne, elle mobilise une documentation foisonnante et les dernières avancées de la recherche pour peindre un portrait nuancé du souverain.
Son approche se distingue par une analyse fine des sources, qu’elles soient archéologiques, épigraphiques ou bibliques. Sans tomber dans l’hagiographie ni le réquisitoire, elle met en lumière les contradictions d’un personnage dont l’héritage continue d’intriguer. Nabuchodonosor, entre faste et barbarie, reste l’un des rois les plus fascinants de l’Antiquité, et cette biographie est une lecture incontournable pour quiconque souhaite en comprendre les multiples facettes. Josette Elayi nous offre ici une étude magistrale, où l’éclat de Babylone se mêle aux ténèbres des récits de conquête. Une lecture essentielle pour tous les passionnés d’histoire antique.
Une biographie rigoureuse et captivante
L’ouvrage aborde d’abord le règne de Nabopalassar (626-605 av. J.-C.), père de Nabuchodonosor et créateur de l’empire babylonien. Ensuite, il se concentre sur la figure de ce dernier. Ce souverain se distingue davantage comme un bâtisseur, en particulier de Babylone, que comme un guerrier. Alors qu’il est encore héritier présomptif, il écrase les Égyptiens à Karkémish en 605 av. J.-C. C’est à ce moment qu’il accède au trône, se proclamant « roi de Babylone » et « roi de Sumer et d’Akkad » (p. 69). Il gouverne son empire, divisé en provinces, et se montre protecteur des lettres (p. 83-87). Bien qu’il ne se présente pas comme obsédé par la guerre, les enjeux stratégiques occupent une place importante dans cette biographie de Nabuchodonosor. Ses campagnes militaires l’opposent à l’Égypte et aux royaumes situés à l’ouest de la Mésopotamie, qu’il désigne sous le nom de Hatti, et que les historiens actuels appellent le Levant. Ainsi, il consolide l’empire hérité de son père, cherche à réprimer les rébellions et étend son pouvoir selon ses ambitions expansionnistes.
Si ses tentatives de conquérir l’Égypte sont incertaines, il parvient en revanche à chasser les armées des pharaons du Proche-Orient. « La conquête de l’Ouest », comme l’intitule avec humour J. E. dans l’un de ses chapitres, concerne en particulier le nord de la Syrie et la Phénicie, incluant la ville de Tyr, ainsi que les cités philistines et le royaume de Juda. Les lecteurs de la Bible s’intéressent en particulier à la fin de ce petit royaume (p. 117-125), dont le livre de Jérémie donne plusieurs détails, bien que leur précision historique soit souvent remise en question. Durant les événements du début du VIe siècle, Nabuchodonosor détruit notamment le temple et la ville de Jérusalem, appauvrissant ainsi la région. En suivant une méthode déjà employée par les Assyriens, il déporte une partie de la population judéenne, ainsi que d’autres peuples soumis. Ces exilés à Babylone sont probablement à l’origine de certains textes qui constitueront la Bible (p. 137-140).
Nabuchodonosor mène aussi des combats contre d’autres ennemis, intérieurs et extérieurs, érige des stèles et aménage des routes en Phénicie centrale (actuel Liban) pour contrôler le territoire et exploiter les ressources forestières. Grâce aux tributs, aux impôts, aux prises de guerre et au commerce international, il accumule des richesses considérables : céréales, dattes, vin, cèdre, métaux et lapis-lazuli… Il aspire à une vie longue et somptueuse, et son palais doit émerveiller les habitants de Babylone. Il se présente avant tout comme un bâtisseur, principalement pour honorer le dieu Marduk. Il souhaite également assurer la protection et la splendeur de sa capitale, qu’il considère comme la « première mégapole antique, capitale du luxe, de l’art et du savoir » (p. 260). N’appelle-t-il pas cette cité : « Babylone, la ville de mon cœur, que j’aime » (cité p. 191) ? Les fortifications de cette ville laisseront une empreinte jusqu’aux récits d’Hérodote, témoin oculaire au Ve siècle. Nabuchodonosor « est également le premier roi archéologue de l’histoire » (p. 200).
Nabuchodonosor montre une profonde dévotion envers plusieurs divinités, surtout envers Marduk, le grand dieu de Babylone, qui « légitime sa domination sur l’humanité tout entière » (p. 207). Il prie Marduk avec ferveur et lui offre de nombreux cadeaux raffinés, tels que du poisson frais « pour ses repas du matin et du soir » (cité p. 207). Il soutient les temples les plus riches sans entreprendre de réforme religieuse. La divination conserve une place importante sous son règne. La fin de son règne est marquée, sur le plan politique, par « une période sombre et difficile » (p. 226). La date exacte de la mort et le lieu de la sépulture de Nabuchodonosor demeurent inconnus.
Josette Elayi, Nabuchodonosor : Roi de Babylone, entre histoire et légende, Perrin, 9 janvier 2025, 9782262105150, 22.00 €.