Narcisse à l’ère des réseaux sociaux à l’Opéra de Rennes

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narcisse opéra de rennes
Narcisse, Opéra de Rennes © Laurent Guizard

Le vendredi 29 mars 2024, l’Opéra de Rennes a présenté Narcisse de Joséphine Stephenson et Marion Pélissier, une œuvre déroutante et hypnotique destinée principalement à un public adolescent, mais pas que ! Pendant une heure et dix minutes, la musique a guidé notre réflexion sur le thème oh combien actuel, des réseaux sociaux et de leurs implications.

« Narcisse », le mot évoque immédiatement deux choses : d’un côté, une bien élégante fleur dont l’apparition symbolise l’arrivée du printemps ; de l’autre, ce qui nous concerne plus en l’occurrence, un personnage tiré des métamorphoses d’Ovide, fasciné par sa propre beauté au point d’en mourir. Il a la mauvaise idée de repousser les femmes… la cruelle Némésis, déesse de la vengeance, le condamnera à tomber amoureux de sa propre image. Narcissisme et adolescence, le lien était facile à établir.

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Narcisse, Opéra de Rennes © Laurent Guizard

Sur une scène au décor assez sobre, une simple cage aux parois translucides qui devient au besoin écran de projection. À l’intérieur, Benoît Rameau, en Narcisse, propose avec beaucoup d’intelligence un personnage complexe et déchiré, balançant entre le replis sur soi et l’ouverture à l’autre. Jouant avec adresse entre le chanté et le parlé, il exploite habilement toutes les nuances de sa voix. On se trouve dés le début dans la problématique des réseaux sociaux. La scission est produite par l’évolution divergente de deux personnages antagonistes, d’un coté l’être réel, de l’autre un être créé, idéalisé, en fait un avatar, qui développe une existence propre, éloignée de la réalité. Narcisse a face à lui Chloé, personnage interprété par l’excellente Apolline Rai-Westphal, elle semble être un écho sans réelle substance, mais l’encourage à sortir de sa prison médiatique. Une véritable gageure. Apolline démontre de solides qualités vocales, son phrasé clair et précis la place en totale adéquation avec son personnage. Les antagonismes permanents sont remarquablement soutenus par une musique polymorphe qui voyage sans vergogne du monde de la musique savante à celui de la musique électronique, se permettant des incursions dans des ambiances proches de la comédie musicale ou de la variété. L’intervention du système électronique connu sous le nom de « auto-tune » apparaît presque comme une insolence et amplifie notre surprise.

Le message est pourtant bien là, Joséphine Stephenson nous expose sans fard les risques des réseaux sociaux. La séquence de l’inscription et ses exigences, ne laisse pas place à l’interprétation. Vous acceptez de… vous vous engagez à … et Chloé résume ce passage obligé par la phrase sans appel « je brade mon intimité » ! Sur scène, en l’absence d’un orchestre important, deux instrumentistes de talent, placés de part et d’autre, distillent une musique inventive et parfois déroutante. Si Emmanuel Olivier excelle aux claviers, sa complice, Juliette Herbet, réjouit le public par sa capacité à jouer à certains moments, du violoncelle, à d’autres, du saxophone.

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Narcisse, Opéra de Rennes © Laurent Guizard

Il est juste de citer également, à l’occasion du prologue chanté, la présence du chœur de jeunes CJ2 dont nous avions fait connaissance lors du rassemblement de nombreuses chorales à l’Opéra de Rennes intitulé « Le grand boum ». Les jeunes du chœur du conservatoire, comme les élèves du collège Clotilde Vautier sous la direction de Julie Marchal, semblent avoir gagné en maturité, les voix sont plus assurées, la présence sur scène moins guindée, tout cela respire mieux et la diction claire rend le texte audible. Leur rôle, celui des nombreux followers qui ne manquent jamais de donner une opinion sur les réseaux sociaux, se souciant peu d’être intrusifs, maladroits , voire même grossiers. Ils ne manqueront pas de commenter les interventions de Narcisse, lors de ses apparitions sur le réseau social « Direct », lequel propose comme son nom l’indique, des interventions en direct sur ses écrans, sans que le membre mis à l’ordre du jour en soit préalablement informé. Mathilde Vincent en cheffe de chœur, assistée de la pianiste Eun Hye Song, tire de son groupe le meilleur et offre une entrée en matière des plus satisfaisantes.

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Narcisse, Opéra de Rennes © Laurent Guizard

Il serait injuste de ne pas citer les élèves des classes de première du lycée Jules Ferry de Versailles qui ont activement participé à la sélection d’images qui accompagnent le déroulé de l’opéra. Elles sont essentielles à la compréhension et aident considérablement un public d’ados à rester concentré sur l’opéra en lui permettant d’évoluer dans un domaine qu’il domine parfaitement.

Le jeune public a répondu massivement à l’appel de cette œuvre qui lui est adressée. Si la preuve devait en être faite, l’opéra est bien destiné à tous. C’est une partie du travail auquel s’est attelé Mathieu Rietzler, directeur de l’Opéra de Rennes, et c’est loin d’être une tache facile. Satisfaire le besoin de nouveauté, étendre la gamme des amateurs d’opéra, ne pas oublier ceux qui refusent de renoncer à Wagner, Rossini, ou Mozart, voilà qui oblige à un sacré grand écart. Qu’à cela ne tienne, l’homme ne manque pas de souplesse !

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Thierry Martin
thierry.martin [@] unidivers .fr

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