Du 11 septembre au 9 novembre 2013, la galerie Nathalie Clouard de Rennes expose Natalie Lamotte.
Natalie Lamotte à la recherche du pays rouge où tout est permis…
B
Natalie Lamotte forme des songes rouges. D’un rouge sortilège qui rend le monde léger, aérien. Personne n’y a de croix à porter. On y serpente loin des douleurs. Même si paradoxalement la couleur et les masses rappellent notre « viande » dont parlait Artaud. Mais l’artiste en efface les chagrins. Dans leur simplicité poétique, de telles œuvres font aussi accepter le peu qu’on est. Elles semblent respirer dans une autonomie tout en permettant de sombrer dans des sortilèges innombrables. À nous de les inventer. Natalie Lamotte propose et le regardeur dispose.
Et nous voici de retour en territoire inconnu. En dépit de formes organiques, il n’y a là rien de régressif et de sacrificiel. Surgit un accomplissement : il fait aimer la vie. Tout revient sur le registre de l’embellie. Oui l’existence devient un songe. S’y approche une forme de volupté parfois comique, parfois sérieuse et aussi érotique pour peu qu’on s’y attarde. La chair s’affiche en organe. Mais sous forme d’hallucination plus que de fantasme. Sous leur peau rouge, les œuvres sont les indiennes de l’amour.
Mais il n’est jamais question d’impudeur. Au contraire. Natalie Lamotte conduit vers des berceuses. En jouant sur le clavier des songes, chaque toile met un petit bout de tendresse face à l’obscur des cœurs trop lourds. Le rouge de la vie longe la lumière et innerve les rêves que l’artiste propose afin que le monde entre dans nos yeux.
Ce rouge ne fait pas de poussière. Il ne fait pas de taches. Chaque cœur soupire : « Je ne veux plus souffrir, je veux encore des jours ». L’artiste fait glisser le long de ce murmure. Il devient le nôtre. On s’en remet à lui en une douceur particulière. Laquelle passe à travers l’autre bord du temps par formes et volumes. Des portes s’ouvrent vers le pays où tout est permis.
Natalie Lamotte, Galerie Nathalie Clouard, rue Hoche, Rennes, 11 septembre-9 novembre 2013
ENTRETIEN AVEC NATALIE LAMOTTE
Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
Le renouveau permanent de chaque matin, l’épiphanie du jour, les rencontres à venir.
Que sont devenus vos rêves d’enfant ?
Je ne suis toujours pas adulte, je rêve encore.
À quoi avez-vous renoncé ?
Je ne renonce pas, je cherche, je fais, j’avance.
D’où venez-vous ?<
Le sud de la France, Marseille, Avignon, la lumière, le soleil et des abstraits américains pour la peinture.
Qu’avez-vous reçu en dot ?
La vie.
Qu’avez-vous dû « plaquer » pour votre travail ?
L’impatience.
Un petit plaisir — quotidien ou non ?
Un café, le matin, au comptoir, premières rencontres et puis surtout ouvrir l’atelier et entrer dans le silence.
Qu’est-ce qui vous distingue des autres artistes ?
Autodidacte, je découvre toute seule, mais j’y crois depuis toujours. La peinture n’est pas facile. Un jour, les choses arrivent et s’enchaînent. Il ne faut se préoccuper QUE de l’essentiel ! Julije Knifer, peintre dont j’ai été l’assistante de 2001à 2004, était un exemple de persévérance. Sans certitude… j’ai peut-être une ténacité, une détermination plus forte que certains qui très rapidement ont tout (galerie, catalogue, foires, collectionneurs …).
Quelle fut l’image première qui esthétiquement vous interpela ?
Les peintures de Giotto et Rothko.
Où travaillez-vous et comment ?
Dans le 9.4 en banlieue à Vitry-sur-Seine, du silence d’abord, une concentration et de la musique pour porter l’énergie. Je peux ne rien faire pendant de longues journées, réfléchir, ensuite travailler en série, rechercher cet essentiel, comme une respiration. Je peux détruire souvent aussi, si l’essentiel n’est pas là. Je suis aussi enseignante dans le 94, en banlieue, une zone sensible. J’ai besoin de cette énergie partagée, de cet échange avec ces jeunes de banlieues qui peuvent nous apporter beaucoup, mais on ne les écoute pas assez !
Quelles musiques écoutez-vous en travaillant ?
Des musiques multiples, ça va de chants soufis au rap américain en passant par de la musique indienne, au rock, plutôt de la musique qui vient du ventre et qui va à l’âme.
Quel est le livre que vous aimez relire ?
J’ai du mal à relire, je n’ai pas la mémoire des textes, je les vis à un instant précis et les relire casserait la magie de ce moment passé, je préfère découvrir dans le classique et le contemporain.
Quel film vous fait pleurer ?
Je pleure devant tellement de films, c’est pitoyable, Paris-Texas de Wim Wenders a transformé ma manière de peindre et m’émeut toujours.
Quand vous vous regardez dans un miroir qui voyez-vous ?
Je déteste les miroirs.
À qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
…
Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Sans originalité, New York pour sa vitalité et comme berceau de l’art américain qui m’a tellement fait vibrer.
Quels sont les artistes dont vous vous sentez le plus proche ?
Chez mes contemporains, j’ai des affinités de recherches avec Anish Kapoor, pour son ambiguïté abstraite et organique, cette recherche de l’entre-deux, perdre le regard et la sensation dans des installations qui jouent toujours sur les limites, Djamel Tatah, Jean-Michel Basquiat, Eminn Tracey … La créatrice de mode Ying Gao, pour son travail d’une infinie sensibilité, jouant avec tous les sens grâce à ces robes « vivantes », Natacha Atlas, pour la sensualité de sa voix qui appelle tous les rouges possibles. Roméo Castellucci pour son étrangeté et ses haïkus visuels, Patrice Chéreau pour son corps-à-corps visuel, Louise Bourgeois pour sa folie tellement communicatrice…
Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?
Une galerie à Paris, New York, Berlin, Shanghai, Hongkong, Dubaï, une grande capitale, pour plus d’échanges et des foires internationales.
Que défendez-vous ?
« Art is a guarantee of sanity », je reprends cette phrase de Louise Bourgeois, j’espère transmettre cette notion de liberté par l’art aux gens que je rencontre et à mes élèves.
Que vous inspire la phrase de Lacan : « L’Amour c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas » ?
Dans ce monde saturé de consommation, cette phrase me va, l’Amour c’est donner ce qu’on n’a pas… L’Amour c’est donner, je ne peins pas uniquement pour moi, je veux partager davantage, à chacun aussi de venir rencontrer, comprendre, défendre, s’il le veut.
Enfin que pensez-vous de celle de W. Allen : « La réponse est oui, mais quelle était la question ? »
Ralentir vous va.
Jean-Paul Gavard-Perret et Natalie Lamotte