Natcho, l’enfant du barrio de Jean-Louis Coatrieux

Natcho Jean-louis Coatrieux Riveneuve
Natcho, l’enfant du barrio de Jean-louis Coatrieux, éditions Riveneuve, août 2023.

Le nouveau roman de Jean-Louis Coatrieux, Natcho, l’enfant du barrio, est paru aux éditions Riveneuve. Un récit d’une profonde humanité dans les barrios de Caracas.

Nous connaissions la biographie romancée d’Alejo Carpentier que Jean-Louis Coatrieux nous a donné ces dernières années, dont le deuxième volume – sous-titré Orinoco – est consacré à la partie vénézuélienne de la vie de l’écrivain cubain. Ce nouveau roman, Natcho, nourri de ses souvenirs du Venezuela, que l’auteur n’a pas manqué d’accrocher au vécu imaginaire de Carpentier, redessine deux territoires communs aux deux auteurs : le bassin de l’Orénoque, où il fait naître et grandir Humberto Maté, le narrateur, et les quartiers pauvres de la capitale, Caracas, qui abritent tant bien que mal la petite bande des enfants – Natcho, Concha, Paquita et Quique.

Natcho en est la figure principale. Gavroche caracassien au grand cœur, il a hérité de sa grand-mère Vonna tous les principes moraux qui gouvernent sa profonde humanité. Il est au centre d’une mosaïque de personnages que Coatrieux fait vivre avec la vivacité et la verve populaire propres à la fois à la vie dans les barrios – ces quartiers pauvres, souvent peuplés d’immigrants de l’intérieur ou de l’étranger, étagés sur les pentes raides des collines périphériques ou étalés en tâche d’encre à la lisière des mégapoles – et aux individus qui déploient une immense énergie pour simplement survivre. Il y a là Vonna, Bautista, Plácida, Rosalba, Manuel – les piliers des barrios au sein du comité de solidarité Juntos – mais aussi, au centre de Caracas : Cíbran l’archiviste, Gayo le cireur de chaussures, Miguel le directeur de journal, Felipa la concierge, Jesús le vendeur de journaux – figures de l’entourage du narrateur qui est avant tout écrivain et éventuellement journaliste.

Natcho Jean-louis Coatrieux Riveneuve
Natcho, l’enfant du barrio de Jean-Louis Coatrieux, éditions Riveneuve, août 2023.

Tous ces personnages composent des cercles représentatifs de la société caracassienne dans ses figures les plus proches du petit peuple en ce qu’il a de quotidien, de discret, d’indissociable de la fonction sociale de chacun. Leurs traits communs : la pratique au jour le jour de la solidarité et le sens de la dignité. Pas un qui ne soit dévoué aux autres et dénué de toute noirceur, de toute malignité. La petite bande s’est donnée pour mission de ramasser les reliefs des repas qui restent sur les tables des restaurants pour nourrir les ancianos du barrio. Lors du glissement de terrain qui balaie les cabanes précaires du quartier adossé aux pentes des collines, tous participent à l’organisation de l’hébergement des victimes et au sauvetage des maigres biens de la collectivité. Ce sont des êtres pétris d’humanité.

Le narrateur se présente comme un observateur engagé. S’il décrit les faits, menus ou majeurs, qui rythment la vie du barrio avec la distance empreinte d’empathie du conteur et du sociologue, il met la main à la pâte lorsqu’il s’agit de creuser la terre pour stabiliser le sol de la colline ou quand il faut affronter le désastre du glissement de terrain qui détruit le quartier. Mieux encore, il s’engage dans l’éducation de Natcho avec une pédagogie toute personnelle que l’on suit à travers des notations qui intègrent le récit, ce qui l’amène à accepter de devenir le père adoptif de Natcho en cas de malheur. Cet engagement auprès de toute la communauté du barrio conduit le romancier à ne mettre en scène que des personnages empreints de bonté et de générosité, à nimber le récit d’une aura bienveillante où la dureté du monde et l’indifférence des méchants ne s’incarnent dans aucune individualité identifiable mais apparaissent au travers d’entités aussi puissantes qu’anonymes : l’État, le gouvernement, les politiques.

jean-louis-coatrieux
Jean-Louis Coatrieux

Le roman se construit par la succession de deux séries de chapitres. La première articule la vie passée de Vonna – principalement la guerre d’Espagne, où elle participe à la brigade internationale Garibaldi composée d’Italiens venus combattre aux côtés des Républicains espagnols, ou encore son arrivée au Venezuela : « en 1945, le Venezuela apparaissait comme l’Eldorado » – et celle d’Humberto le narrateur : exercice mémoriel que l’écrivain transforme en récit. La seconde prend la forme de fragments d’un journal où le narrateur relate les séances éducatives avec Natcho. En même temps, Coatrieux prend soin d’ancrer son réalisme dans la fiction en faisant du lecteur le complice de son entreprise romanesque puisqu’il précise que les histoires de Vonna feront la matière de son prochain roman. Ces morceaux sont liés et emportés par une progression dramatique savante qui fait défiler sous nos yeux les images  – connues, sinon familières, mais renouvelées dans ce roman par un regard vif et une écriture alerte – de la réalité des quartiers pauvres de Caracas (mais ce pourrait être de toute capitale d’Amérique latine, voire de toute mégapole moderne) : la mobilisation populaire contre l’expropriation, le chantier solidaire, la découverte de la plage par les enfants, la pluie, le match de foot, la fête du barrio, la catastrophe du glissement de terrain – autant d’événements qui rythment la vie du quartier et installent la permanence dans la précarité.

La fin du roman glisse vers un retour aux sources, à « une enfance heureuse et une adolescence curieuse », sur une note de bonheur. L’émotion est au rendez-vous, pour le narrateur comme pour le lecteur, et l’on soupçonne que la charge autobiographique sensible tout au long de l’ouvrage n’y est pas étrangère. C’est probablement le poids des souvenirs qui soulève une question : « Que restera-t-il demain de cette mémoire puisque personne ne s’y intéresse plus ? Un musée des curiosités dans un monde uniformisé ? ». Il restera en tout cas ce roman attachant où l’intimité mémorielle se fraie un chemin vers l’universel.

Natcho, l’enfant du barrio de Jean-Louis Coatrieux. Éditions Riveneuve. 270 pages. Parution : 17 août 2023. 21€.

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1 COMMENTAIRE

  1. Jean-Louis Coatrieux viendra présenter son excellent roman au public rennais à la librairie Le Failler, rue Saint-Georges, vendredi 13 novembre à 18h. Il sera interviewé à cette occasion par un autre romancier, Albert Bensoussan. Ne manquons pas ce rendez-vous.
    Jacques Brélivet

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