Champion le jour et voyou la nuit : c’est ce dilemme que tente de percer Mathieu Palain en dialoguant pendant deux ans avec Toumany Coulibaly, champion de France d’athlétisme et voleur multirécidiviste. Passionnant.
Toumany Coulibaly. Si vous fréquentez les pages du journal l’Equipe, ce nom vous évoquera peut être celui d’un athlète. Un coureur de 400 mètres, champion de France en salle en 2015. Mais lecteur du Parisien, du Figaro, ce nom a fait aussi partie de vos lectures. Dans la rubrique des faits divers. Athlète et escroc, surdoué physiquement et voyou impénitent, le licencié au club de Montgeron a mené pendant des années, conjointement, une vie d’athlète de haut niveau et une vie de malfrat. Le soir de son titre national, il braque une boutique de téléphones mobiles.
Mathieu Palain, journaliste, amoureux de sport, enquêteur dans un service de la protection judiciaire de la jeunesse, originaire de la même région parisienne, est interpellé par la trajectoire du sprinter. Il le contacte en prison et pendant deux ans de chaque côté du parloir, deux hommes vont apprendre à se connaître. L’un est devenu délinquant. Pas l’autre. Pourquoi ? Question majeure qu’au cours de ce récit, le journaliste va déployer sous toutes ses facettes comme dans un miroir inversé.
« L’enfermement, l’amitié et la délinquance, pourquoi certains s’en sortent et d’autres pas. J’ai longtemps tourné autour de ces obsessions »
Coulibaly concentre sur son histoire l’ensemble de ces questions. D’origine malienne, cinquième enfant d’une famille qui en comptera dix-huit, il vole à l’âge de six ans, une Gameboy, premier larcin d’une longue série qui le mènera en prison plusieurs années plus tard. L’ambivalence est omniprésente dans l’histoire personnelle de l’athlète qui dit de lui même « En fait j’ai un aspect positif en apparence mais assez négatif derrière » et dont une forme de schizophrénie l’incite à être « vainqueur le jour, voleur la nuit ». Mathieu Palain raconte objectivement cette double vie qu’il confronte à l’entourage de l’athlète: Jean-Michel Regain, son premier coach, Leslie Djhone, Patricia Girard, mais aussi la présidente de son club, Anne. Il a pourtant été bien entouré Toum, mais que faire contre des pulsions incontrôlables et une bonne foi proclamée.
Le journaliste décrit minutieusement et chronologiquement ces années de paradoxe. Avec lui, on suit cette descente aux enfers et avec l’auteur on se prend d’affection pour le futur champion annoncé qui précise qu’il a «plus d’adrénaline quand les flics me courent après qu’en remportant un 400 mètres ». On pénètre un univers mental désarmant par sa gentillesse, sa naïveté, mais aussi peut être par son cynisme. Désorienté Mathieu Palain doit à son tour se blinder, lui à qui les psys disent « protégez vous ».
S’interrogeant sur son travail, sur les conséquences de ces rencontres hebdomadaires qui lui seront finalement interdites par l’administration pénitentiaire craintive, l’auteur met en perspective le rôle de la prison avec toutes les enquêtes qu’il a menées préalablement aux États-Unis comme en France. L’univers carcéral le fascine, intrigué par l’existence de ces êtres qui, vivants, sont hors la vie.
À la manière de cette littérature du réel mise en évidence par Emmanuel Carrère, Yvan Jablonka ou encore Florence Aubenas, Mathieu Palan, dont le père était éducateur, dissèque cette absence d’existence en milieu carcéral, examine l’utilité, la pertinence des maisons d’arrêt. Il prolonge ici les thèmes déjà développés avec talent dans son premier roman Sale gosse : comment empêcher le destin tracé de se répéter, de grandir sans revenir à la case cité ou prison? Cette prison que Coulibaly dit fuir et s’engage des dizaines de fois à ne plus retrouver. En vain.
En refermant ce magnifique ouvrage, sur le 1553e jour d’internement de Coulibaly, on ne peut s’empêcher de penser à Robert Badinter et sa réflexion sur les prisons comme solution unique à la délinquance. On se dit qu’il aimera lire cette plaidoirie d’un remarquable journaliste écrivain. Sans jeu de manches, mais avec humanisme.