Nocturne le vendredi de Scott Phillips, satire drôlatique et percutante

 Homme à femmes frénétique, Crandall Taylor est la star de Ventura County, un soap opéra américain qui connaît un grand succès en France. De passage à Paris, Crandall mène une vie aussi sulfureuse qu’industrieuse. A la recherche d’investisseurs pour produire son film, il rencontre – entre autres femmes – Esmée, une créature enivrante et persuasive qui convainc son riche mari de financer le projet. L’affaire est conclue, au lit et sur le papier. Mais derrière le sourire et la coupe impeccables de l’acteur se cache un dérangé chronique, prêt à tout pour arriver à ses fins… Et quand le mari d’Esmée apprend l’adultère, la vie de Crandall bascule soudainement d’Amour, Gloire et Beauté à Sexe, Mensonges et Vidéo.

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Comme pour s’accorder avec le nom de la collection, Vendredi 13, aux éditions de la Branche, Nocturne le vendredi de Scott Phillips débute en ce jour symbolique. A la suite, tout son déroulé va surfer sur la mythologie de la superstition.

Scott Phillips, Patrick Raynal, vendredi 13, gilles paris, La Branche, satyre, roman, Crandall Taylor, star, critique sociale, Ventura County, soap opéra,Le héros de Nocturne le vendredi est Crandall Taylor. C’est la star d’une série américaine à succès, Ventura County.  Pour remercier son public français, la star décide de venir à Paris afin de vivre une parenthèse aussi glamour que déjantée.Objectif parallèle : ramasser de l’argent pour produire un long métrage. Dans l’éventail de personnes plus ou moins haute en couleurs rencontrées  rencontre, l’épouse d’un riche homme d’affaires accepte de financer son film. Mais ce deal se conclut par des biais peu conformes aux bonnes mœurs… Elle ne tarde pas à tourner au vinaigre, en entraînant tous les protagonistes liés à l’affaire.

Côté style, le ton de Nocturne le vendredi est méchamment cynique. Bien que l’ensemble surfe sur une ambiance assez drôle et aérienne. Des pornos-stars délurées côtoient des trafiquants d’armes, auteurs en perdition, étudiants fous, stars de cinéma et bien d’autres originaux qui égaient ce nocturne. L’ennui n’est jamais au rendez-vous  tant l’aventure est prenante de bout en bout. L’immoralité de notre monde,  comparable à la nuit du Vendredi saint, autrement dit de la descente aux enfers, se rencontre à toutes les pages – dans un mélange d’inquiétude et de… jouissance pour l’observateur.

Nocturne le vendredi constitue une satire drôle, bien écrite et percutante. Un roman solide qui mérite une lecture attentive. Probablement le meilleur ouvrage de la collection Vendredi 13. Et qui mériterait une adaptation cinématographique.

Scott Phillips, (Patrick Raynal Traduction), Editions La Branche, Vendredi 13, novembre 2012, 235 p, 15€

Extrait

Vendredi 13 mai

Il doit être 2 ou 3 heures du mat quand je me réveille, les draps encore imprégnés de l’odeur d’Esmée, avec le sentiment caractéristique d’une présence dans l’appartement. Elle est partie depuis des heures et, bien que les lumières soient éteintes et que l’on n’entende que le ronronnement de la clim, mon instinct me dit que je ne me trompe pas. Je me glisse hors du lit aussi doucement que possible et je m’accroupis en cherchant à me souvenir de ce que j’ai bien pu faire de ma matraque télescopique. Ça y est, je me souviens l’avoir laissée dans la poche de ma veste, mais où est la veste ? Trop tard de toute façon. Quelqu’un se tient dans l’embrasure de la porte de la chambre, et j’ignore s’il m’a vu ou non. Je suis à côté de l’extrémité d’une table et, le plus doucement possible, je passe ma main dessus à la recherche d’un objet pouvant servir d’arme. Ma main attrape quelque chose d’oblong, un truc en pierre qui pèse facilement ses deux kilos. Je rampe vers la silhouette quand un flash de lumière jaillit accompagné d’un coup de feu partiellement amorti par un silencieux. Un moment plus tard, mon supposé tueur apparaît dans la lumière qu’il vient d’allumer : Claude Guiteau est venu faire lui-même son sale boulot, de ses propres mains. Je suis presque fier de lui tandis que je lui balance mon objet contondant en pleine tête. Tout ça pendant le quart de seconde qu’il lui faut pour s’étonner de l’absence de cadavre dans le lit et de la présence d’un trou de balle dans l’oreiller. Bien que sonné, il n’est pas complètement groggy. Le flingue est par terre et, pendant un court moment, il me regarde d’un air à la fois vaseux et surpris. Puis, à mon grand soulagement, il tombe dans les pommes ; je ne tiens pas à le cogner de nouveau vu que je viens de me rendre compte que je l’ai matraqué avec une très jolie pièce de jade ancien, un autre coup aurait pu la casser. Je commence à l’attacher en considérant mes options. Qu’arriverait-il, par exemple, si j’appelais les flics ? Le scandale nous fournirait une publicité de première classe, ce qui ne me rendrait pas moins bankable. Mais, avec Claude en prison, notre projet risquerait de tomber en panne, peut-être même pour de bon. Le tuer ? Sûrement pas ici, dans son propre appartement. Je me dis que, étant donné son domaine d’activité, il ne doit pas manquer d’ennemis prêts à payer pour le voir mort, et même à payer pour se le faire livrer vivant histoire de le tuer eux-mêmes de la plus exquise et douloureuse façon. Mais le torturer à mort me semble déloyal. Après tout, cette tentative de meurtre, si elle avait réussi, aurait été rapide et parfaitement indolore. J’appelle Fred dont c’est le boulot, même s’il ne le sait pas vraiment, et je lui dis de venir tout de suite et d’être discret. Je lui conseille de prendre un taxi et de descendre à deux pâtés de maison. «Tu veux qu’on discute d’un scénar maintenant ? A trois heures et quart du matin ? – Pas d’un scénar. Plutôt de finances. Maintenant amène ton cul en vitesse.»

 David Norgeot

Biographie de l’auteur

Né en 1961 à Wichita (Kansas), Scott Phillips a vécu plusieurs années en France, exerçant le métier de traducteur, puis en Californie où il a été scénariste. Son premier roman. La Moisson de glace a remporté le California Book Award en 2000. et a été nominé pour le Edgar Poe Award et le Hammett Prize. II a été adapté au cinéma en 2005.


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