Norman Spinrad préside le jury de l’édition 2017 du festival Court Métrange. L’auteur américain peut aisément être qualifié de prolifique, ayant à son actif environ vingt-cinq romans et une centaine de nouvelles. Souvent qualifié d’écrivain de science-fiction, Spinrad abhorre cette catégorisation et chercher à affranchir son écriture des carcans que représentent les genres littéraires. Homme aux multiples casquettes, il a été critique littéraire, président de l’Association américaine des écrivains de science-fiction et de fantasy et scénariste de plusieurs œuvres, dont le mythique épisode The Doomsday Machine de la saga Star Trek. Auteur de plusieurs œuvres sujettes à scandales, il a une certaine expérience de la controverse… Entretien avec l’enfant terrible de la science-fiction.
Unidivers : Isaac Asimov vous a décrit comme quelqu’un qui : “a toujours le courage d’être différent”, et plusieurs de vos romans sont de véritables innovations. Sur ce point, Le Temps du Rêve, paru en 2012, est particulièrement emblématique, puisque vous l’avez rédigé intégralement à la seconde personne du singulier. Un défi stylistique qui vous a valu la défiance de nombreux éditeurs. Du 18 au 22 octobre, vous présiderez le jury du festival Court Métrange. Est-ce l’innovation que vous allez chercher parmi les productions candidates?
Norman Spinrad : Peut-être, mais pas nécessairement. Innovation n’est pas synonyme d’excellence. Je ne me force pas à être innovant pour être innovant. J’essaie de raconter l’histoire que je veux raconter, de dire ce que j’ai à dire, et si cela requiert des innovations, alors oui, j’innove. En tant que critique – rôle que j’endosserai au cours du festival – je pense que mon rôle est de m’assurer que les créateurs sont parvenus accomplir ce qu’ils souhaitaient. Pas de vérifier si l’œuvre correspond à ou non à mes attentes.
Unidivers : Votre travail a parfois été innovateur au point de faire scandale. Ainsi vous avez affronté plusieurs controverses: en 1969 pour Jack Barron et l’éternité, en 1972 avec Rêve de Fer, et en 2010 avec Oussama. Ces trois romans vous ont amené à franchir des limites que la plupart des auteurs préfèrent contourner. Faire progresser les mœurs, défier le scandale et la censure au nom de la littérature, est-ce là le devoir d’un auteur à vos yeux?
Norman Spinrad : Oui et non. Pour ce qui est de Jack Barron et l’éternité, mon éditeur m’avait dit que je pouvais d’écrire sans craindre les tabous. Bien que cela se soit révélé faux, c’est ce que je fais depuis. Je ne suis pas particulièrement intéressé par la transgression des tabous, des limites, de la censure. Je les ignore, comme si ils n’existaient pas.
Unidivers : En 1969, votre roman Jack Barron et l’éternité fut qualifié de scandaleux en raison de l’usage de grossièretés, de la présence de scènes de sexe, et d’une description cynique et décomplexée du monde politique. Trois éléments qui sont présents dans de nombreuses œuvres littéraires aujourd’hui. En revanche, Rêve de Fer nous présente le travail d’un Adolf Hitler uchronique et reconverti dans la science-fiction. Quant à Oussama, il vous a valu d’être qualifié d’avocat du diable, le diable étant ici le personnage principal, un jeune djihadiste que vous dotez d’une personnalité attachante envers et contre tout. Le 3e Reich et le Djihad sont des lignes rouges pour beaucoup d’auteurs, mais pas pour vous. D’où cette question: avez vous seulement une limite?
Norman Spinrad : Même réponse que précédemment. Les seules limites que je puisse reconnaître, ce sont celles de mes capacités: par exemple, écrire une fiction en français. Et dans ce cas, j’essaie d’améliorer cette capacité. Mais ne vous attendez pas à me voir écrire en français de si tôt!
Unidivers : Les trois romans que nous avons évoqué ne sont pas les seules de vos œuvres à explorer des thèmes politiques. En 1967 par exemple vous publiez Le Chaos Final, un roman qui sera largement interprété comme un reflet de la guerre du Vietnam. Tous vos romans contiennent-ils un message politique? Ces thématiques sont-elles inhérentes au roman d’anticipation?
Norman Spinrad : Concrètement, si vous voulez écrire un roman d’anticipation digne de ce nom, si vous voulez créer une société imaginaire, vous ne pouvez ignorer l’aspect politique. En ce sens, oui, le politique est intrinsèquement lié à la science-fiction.
Unidivers : Vos romans explorent des sujets sérieux et votre œuvre est aujourd’hui renommée. Rêve de Fer a même remporté le Prix Apollo en 1974. Cependant, de manière générale, la littérature d’anticipation peine encore à gagner ses lettres de noblesse. Qu’avez vous à dire à ceux qui considèrent la science-fiction comme un sous-genre de la littérature, une simple sous-culture?
Norman Spinrad : Je déteste le concept de genre littéraire, car, peu importe celui dont il s’agit, il se caractérisera toujours par un ensemble de restrictions et de prérequis. Et techniquement parlant, une fiction, qu’elle se déroule une réalité alternative ou un futur imaginé, constitue un genre au même titre qu’une fiction basée dans le présent ou l’Histoire…
Pour ce qui est de la qualité, c’est une autre histoire. Il y a de la littérature d’anticipation médiocre, géniale, en passant par tous les entre-deux. Comme pour tous les genres littéraires, d’ailleurs.
Unidivers : Vous êtes écrivain, mais également critique littéraire et vous vivez en France depuis plusieurs années. Que pensez-vous de la littérature française, de la science-fiction française plus particulièrement? Pourriez-vous nous recommander quelques auteurs Français?
Norman Spinrad : Eh bien, trois d’entre eux sont malheureusement morts : Roland Wagner, en particulier pour Rêves de Gloire, Maurice Dantec pour Les Racines du Mal, et surtout Ayerdhal… Il y a aussi Michel Houellebecq – du moins quand il écrit de l’anticipation – qui lui, est toujours en vie.
RENNES COURT MÉTRANGE 9-20 OCTOBRE 2019, TOUTE LA FAMILLE EST CONVIÉE