Dans son film Nos vies formidables, Fabienne Godet délivre un regard sensible et sans fantasme sur les addictions (alcool et autres drogues) et la reconstruction des malades. Inspirée par de réelles expériences de toxicomanes, l’œuvre laisse place à la parole et au combat individuel et collectif des protagonistes. Diffusé en avant-première au cinéma Arvor, à Rennes le 26 février, Nos vies formidables sortira en salle le 06 mars 2019.
Margot, Jérémy, Salomé, César, Sonia… Ils ont entre 18 et 50 ans. Tout les sépare, sauf l’urgence de se reconstruire et de restaurer la relation à l’autre que l’addiction a détruite. Solidaires,
ils ont comme seules règles le partage, l’honnêteté, l’authenticité, l’humanité. Une bande incroyable de vivants qui crient haut et fort qu’on s’en sort mieux à plusieurs que seul.
Pour son 6e long-métrage, la réalisatrice, documentariste et ex-psychosociologue Fabienne Godet (Ne me libérez pas je m’en charge, 2008, Une place sur la terre, 2012…) revient sur un de ses thèmes de prédilection, celui de la reconstruction personnelle et de la solidarité. Au travers de l’histoire de Margot (Julie Moulier), accroc à l’alcool, aux « médocs » et diverses drogues, qui entre en maison de désintoxication, la cinéaste nous raconte l’importance de la solidarité, ainsi que le pouvoir de l’affectif et de la parole échangée dans le processus de reconstruction d’un être en souffrance.
« Compenser le manque par l’affect »
Réunis dans une maison en pleine campagne, une dizaine de toxicomanes effectuent ensemble un travail de cure. Accompagnés par une équipe de soignants, dont un thérapeute, ils traînent chacun un lourd passé, marqué par la violence et la culpabilité. Pour les nouveaux arrivants, comme Margot, à peine sortie du caniveau, il est presque inconcevable d’exprimer sa détresse devant des inconnus…
Petit à petit pourtant, suivant l’exemple des plus anciens, les liens se tissent, la confiance s’instaure. Margot se livre d’abord à Jalil (Cédric Maruani) puis à tous les autres. Les récits de vie s’échangent lors des cercles de parole. Par identification, le combat de l’un devient celui de tous. « J’ai besoin de toi et tu as besoin de moi », affirme Dylan à Irina au bord du gouffre. Les corps se touchent ou plutôt s’accrochent les uns aux autres comme à des bouées de sauvetage sur un océan tourmenté. Pour certains, la bouée ne sera pas suffisante. Pour les autres, le combat pour « la vie normale » continue incessamment.
La vérité vraie (?)…
Dialogues hésitants, caméra branlante, naturalisme du jeu… une forte impression de réalisme se dégage de l’ensemble du film de Fabienne Godet. La cinéaste, en coopération avec Julie Moulier (actrice principale et co-scénariste du film), a employé des méthodes peu ordinaires, proches de celles du documentaire pour parvenir à « augmenter la part de vérité » de son film.
Durant deux ans, la réalisatrice assiste à des réunions de groupe A&NA (Alcooliques & Narcotiques Anonymes). De cette expérience de spectatrice, elle crée une vingtaine de personnages fictifs. Elle s’immerge ensuite dans une communauté thérapeutique afin d’en comprendre le fonctionnement. Sur ces bases, elle bâtit une première ébauche de scénario.
S’en suit un travail sur le modèle de celui d’une troupe de théâtre. Chaque acteur reçoit une « fiche personnage » avec le récit de celui ou celle qu’il interprète. Tous sont acteurs de profession, à l’exception de Régis Ribes, lui-même thérapeute et ancien toxicomane, qui incarne le thérapeute du groupe. Durant une semaine, sur un modèle proche de celui des résidences de théâtre, ils s’initient ensemble aux règles de fonctionnement collectif d’un groupe de travail thérapeutique et s’imprègnent de leurs personnages.
Le tournage commence. Il se déroule suivant un ordre quasi chronologique, les scènes écrites se mêlant à celles improvisées. Autre singularité, un montage des premières scènes s’effectue en parallèle des prises de vue, ce qui permet d’affiner l’évolution de la narration et des personnages.
Inspiré par la méthode Minnesota — méthode née aux États-Unis dans les années 1950 où le sevrage s’effectue sans traitement médicamenteux et en la présence d’anciens toxicomanes — le film fait la part belle à la mise en lumière de cette forme de thérapie. Plus que le thérapeute ou les médicaments, « c’est le groupe qui soigne l’individu » nous explique Régis Ribes. Le film nous montre le travail de resocialisation et de revalorisation. La possible guérison des personnages semble dépendre de leur capacité à s’ouvrir et à créer un lien affectif avec les autres malades.
Fabienne Godet filme les visages groupés et recueille les paroles entremêlées. Visages et voix qui sont d’après elle le fond et la forme de ces expériences de solidarité humaine [Voir vidéo interview ci-dessus].
Trop vrai (?)…
Pari réussi ? Les personnages de Nos vies formidables sont vivants, leurs histoires sensibles et le travail thérapeutique hautement crédible. Les fantasmes communément inspirés par le sujet des addictions au cinéma — hallucinations, hurlements, ultra-violence — passent ici à la trappe au profit d’un traitement calme et lucide du sujet et de ses manifestations. Sans omettre la souffrance des êtres : cette dernière devient ici un objet d’étude davantage qu’un prétexte au spectaculaire.
Paradoxalement, c’est aussi là que le bât blesse. La volonté de restituer la vérité essouffle le film dans sa longueur. La répétition des scènes de dialogues peut sembler nuire au rythme de l’œuvre. L’image et la narration sont-elles trop boudées, au profit du développement du travail thérapeutique, mais au détriment du spectateur ? C’est la question qui peut se poser.
Certaines scènes s’illustrent en revanche par leur originalité, comme celle où Margot reconstitue une image de sa famille en se servant des corps de ses camarades de thérapie. Lors de cette scène, la puissance de l’image est à l’honneur, véritable bol d’air dans une œuvre essentiellement verbale.
Un film émouvant, en définitive, et aux intentions sincères de traiter son sujet avec fidélité et empathie. Toutefois, œuvre verbale, ne manque-t-elle pas d’un univers davantage imagé, cinématographique ?
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NOS VIES FORMIDABLES de FABIENNE GODET
avec JULIE MOULIER, ZOE HERAN, BRUNO HOCHET,…
Durée : 1h57