Depuis la nuit du 13 mai 2024, la Nouvelle Calédonie vit une crise sociale et politique historique depuis les événements de 1984-1988. De violentes émeutes ont entraîné la fermeture de l’aéroport international de Nouméa – La Tontouta et l’immobilisation de milliers de touristes français. La gestion du rapatriement des ressortissants métropolitains a confirmé la dégradation des capacités d’organisation, de gestion et de réaction de l’administration française. Depuis le 20 mai, les procédures n’ont été qu’un enchaînement d’incohérences comme a pu le constater une journaliste d’Unidivers présente sur le Caillou depuis le début des événements.
Boîte de messagerie pleine, ligne toujours occupée, mails sans réponse, etc. Tel a été, et est encore pour certains, le quotidien des ressortissants français pendant plusieurs semaines. Entre l’impossibilité de parler à autre chose qu’une boîte vocale et voir sa place sur un vol de rapatriement supprimée à la dernière minute, beaucoup d’entre eux ont perdu patience. Et ce, à raison. L’État français et le Haut-Commissariat de la République en Nouvelle-Calédonie ont échoué à assurer une organisation ne serait-ce correcte du rapatriement des ressortissants français.
Depuis plus d’un mois, l’île fait face à une crise politique et sociale historique, trente ans après les événements de 1984-1988. La raison de l’embrasement : la loi constitutionnelle relative au dégel du corps électoral adoptée à l’Assemblée nationale – votée dans la nuit du 14 au 15 mai – alors que commençaient déjà les manifestations sur le territoire calédonien. Ce projet de loi prévoit d’élargir le corps électoral des élections provinciales en l’ouvrant aux citoyens qui vivent sur l’archipel depuis au moins dix ans. Premiers habitants de l’île, les Kanaks craignent qu’elle minimise leur voix et revendiquent l’indépendance. Les tensions et la colère latentes depuis le troisième référendum pour l’indépendance, boycotté par les indépendantistes en 2021, ont fini par exploser. Malgré un relatif retour au calme aujourd’hui, la tension reste palpable et des exactions isolées se poursuivent.
Devant l’ampleur des émeutes, l’aéroport international de Nouméa – La Tontouta a annulé les vols commerciaux dès le 14 mai. Depuis, plus de 250 vols ont été annulés qui concernent près de 26 000 passagers, tous statuts confondus. Dans ce contexte sous tension, l’organisation du rapatriement des ressortissants français en est restée à du bricolage d’amateur incompétent. Les acteurs en charge n’ont cessé de patauger dans la plus grande désorganisation des services. Alors que l’Australie et la Nouvelle-Zélande ont affrété des avions militaires pour ses ressortissants dès le mardi 21 mai, l’État français a commencé le samedi 25. « L’Australie s’est proposé d’aider la France à rapatrier ses ressortissants. On s’est dit “chouette”, un vol de Français part grâce à l’Australie. Le lendemain, elle refuse l’aide australienne… », introduit Meryl, touriste dont le vol retour était prévu le 16 mai. Malgré la mise en place d’un formulaire de recensement des touristes coincés sur le Caillou le 21 mai, la cellule d’urgence a rapidement été débordée. « Ils n’ont pas pu répondre à tous et n’ont pas pensé à une réponse automatique », précise-t-elle avant de dénoncer que le Haut-Commissariat (HC) a attendu « trois semaines avant de se rendre compte que le mailing n’était pas une solution viable et mettre en place un nouveau système informatique qui trie pour eux. »
L’incapacité effarante de la compagnie Aircalin, du Haut-Commissariat et de l’administration de la République française à diffuser correctement les informations a incité un groupe de ressortissants a créé le groupe Facebook “Touristes coincés en Nouvelle Calédonie” ainsi qu’une délégation dans le but de représenter les touristes bloqués dans les réunions avec le Haut-Commissariat. « Après la réunion du 1er juin avec le Haut-Commissariat, Vincent – un expat qui nous a soutenus et aidés grâce au groupe Facebook – a créé un formulaire dédié à nous touristes coincés pour les touristes coincés », explique Meryl, membre de la délégation jusqu’à son départ le 5 juin. Résultat : les chiffres du Haut-Commissariat ne correspondent pas aux leurs, plus élevés…
Lors de la réunion du 16 juin, le HC annonce à la délégation qu’il ne resterait que 62 touristes coincés, mais ce chiffre ne prend pas en compte les personnes qui ont annulé leur vol, car « les personnes ayant annulé leurs billets (billets remboursés) ne sont plus considérées comme prioritaires. Dans ce cas-là, il faudra racheter un vol pour sortir de Nouvelle-Calédonie… », apprend-on dans le compte-rendu de celle du 10 juin. Ce qui n’était pas le cas dans le premier formulaire. Dans une situation exceptionnelle, dans un pays à la vie chère, l’annulation pour raison financière n’a, semble-t-il, pas été envisagée par l’État ou le HC…
Avec un retour prévu initialement le 18 mai, afin d’assister à l’audience pour la garde de sa fille début juin, Melinda a vu son vol reporté une première fois au 28 mai puis une seconde fois au 5 juin. « J’ai été placée deux fois sur un vol de rapatriement, mais ça ne s’est jamais fait. J’ai dû annuler mon vol pour me faire rembourser afin de couvrir les frais », raconte-elle. « Sans nouvelle du HC ou d’Aircalin, j’ai recontacté le HC en précisant bien que j’étais pressée. J’ai envoyé tous les justificatifs nécessaires.» La jeune femme a été accompagnée par la délégation dans ses démarches, mais « pour le HC, je n’étais pas dans les réelles urgences. Maintenant oui… alors que la date du tribunal est passée. » Elle est alors inscrite dans un vol de rapatriement mercredi 12 juin, mais, patatras ! comme beaucoup d’autres, elle reçoit un appel de dernière minute pour la prévenir qu’elle est supprimée de la liste vol. La raison : des places ont de nouveau été réquisitionnées par l’État. « Ils m’ont rappelé dans l’après-midi pour être dans la demi-heure à l’aéroport, mais j’étais à Dumbéa… Je me suis dépêchée pour qu’au final, on me dise que ce n’est plus la peine », relate-elle avant de continuer : « J’ai repris un billet vendredi 14 juin à 18h pour le 24 juin, 1ere date financièrement possible et je me réveille avec un appel pour un vol pour ce jour [samedi 16 juin, ndlr.]. Aircalin ne me prévient de rien… »
Un couple d’étudiants en Nouvelle-Calédonie venu séjourner 4 mois a, quant à lui, annulé son billet sur les conseils de Gotogate, agence de voyage en ligne par qui il était passé pour la réservation. « Le HC nous a viré de la liste des personnes à rapatrier pour cette erreur. À aucun moment on a été pris en compte », résume Isee venue effectuer deux stages en psychologie. « En plus, on vivait chez un caldoche [terme qui désigne les descendants des colons français nés en Nouvelle-Calédonie, ndlr.], il était à la fois notre propriétaire et notre colocataire. À partir du 6 juin, il a vrillé et nous a mis à la porte. On a eu beau dire à la cellule d’urgence qu’on était à la rue, ils n’en ont rien eu à faire », se désespère l’étudiante. « Je suis abasourdie par la façon dont la crise est gérée par un pays développé comme la France. Des personnes perdent leur travail, d’autres ont des problèmes de santé. » En réponse à l’incapacité des acteurs français – contrairement aux autres pays confrontés à la même situation – à accompagner correctement, de multiples ressortissants se sont ainsi débrouillés seuls.
Après avoir vécu trois ans en Australie, Maéva et son mari se sont offert un roadtrip (Japon Nouvelle-Calédonie et Tahiti) avant de retourner en France. « Quand on les a contactés, le Haut-Commissariat a pris notre nom et basta! », se souvient-elle. Ce n’est qu’après de nombreuses réunions entre la délégation et le HC qu’ils ont fini par apprendre qu’ils ne seraient pas rapatriés, car pas éligibles. « On a tout fait pour repartir : on s’est renseigné sur le rapatriement à Tahiti, mais les Polynésiens étaient prioritaires, ce que je peux comprendre ; on avait encore notre visa pour l’Australie, mais on n’a jamais été contacté non plus. » Après avoir harcelé Aircalin, le couple part avec un vol à destination de Brisbane. « On a perdu beaucoup d’argent, mais c’est surtout psychologiquement que ça a été dur. Je suis encore très en colère de la manière dont la situation a été gérée et comment on a été traité. Pour moi, les gens de la délégation sont ceux qui ont le plus travaillé. »
« Nous nous sommes sentis abandonnés par l’État Français et le Haut-Commissariat qui nous a dit qu’on n’était pas assez Français pour rentrer… », Maéva.
La désorganisation et les manquements du Haut-Commissariat et de l’État de la République française ne sont pas anecdotiques. Des centaines de touristes hélas en témoignent. Meryl énumère : « dire qu’ils organisent un vol de rapatriement par jour alors que c’est en réalité un par semaine, car on les supplie ; mentir ou ne pas connaître le nombre de touristes exacts encore bloqués ou en urgence ; nous avoir demandé de faire appeler le 17 ou 18 pour les touristes en grande précarité financière et apprendre que ces gens, quand ils appellent, ont des personnes pas au courant au téléphone ; etc. » La liste est loin d’être exhaustive. Pour autant, une vidéo est publiée le 13 juin sur la page Facebook du Haut-Commissariat. Elle vante leur « gestion innovante » avec « un vrai travail d’accompagnement des touristes ».
« Nous avons dû nous serrer les coudes et nous débrouiller seuls face à eux. La faute n’incombe pas seulement au HC, c’est toute l’administration de la France que je dénonce. L’Etat nous a abandonnés, et si la guerre civile avait éclaté, cela aurait été la même chose… » Meryl dénonce une stupéfiante désorganisation qui reflète malheureusement la France de ces dernières années qui a été marquée par un effondrement qualitatif de son administration. « La France fait apparaître son joli visage devant les médias, en faisant disparaître les problèmes et les manquements graves de sa gestion. C’est ridicule, décevant et inquiétant. » Aujourd’hui, la France inquiète autant ses propres ressortissants que les pays voisins qui observent avec stupeur son amateurisme. L’aéroport est rouvert depuis ce lundi 17 juin, mais des vols continuent d’être annulés et des touristes français restent encore dans l’attente d’un retour dans l’hexagone.
[NDLR] La rédaction d’Unidivers a contacté par courriel le HC et la personne déléguée à la gestion des demandes de rapatriement, ces derniers n’ont pas jugé bon de répondre. Une attitude mutique qui est devenue malheureusement la norme dans la haute administration française depuis une dizaine d’années. Sauf, si bien sûr, vous avez vos entrées auprès du gouvernement ou des ministères. Désolant et inquiétant à l’heure où tant de dangers menacent notre pays.
Fort bien décrit cette situation que j’ai vécu et que je vis encore en Nouvelle Calédonie depuis le 21 mai…
Obligé de se débrouiller tout seul pour obtenir un nouveau billet sur le vol du 25/06 (Nouméa-Singapour- Dubaï-Paris avec Emirates, vol initial), celui-ci a une nouvelle fois été annulé le vendredi 21/06 !!!
J’ai réussi, non sans mal et sans aide, à obtenir un nouveau vol pour le 28 juin, en espérant qu’il ne soit pas annulé une nouvelle fois !
Tout ça est pitoyable et inacceptable de la part de l’Etat Francais.
Sans oublier que les touristes ne peuvent même pas être juger d’irresponsable poir avoir été dans un pays sous tension .
Impossible de s’enregistrer sur Ariane qui ne reconnaît pas la Nouvelle Calédonie comme un pays étranger….et donc aucune info sur les tensions géopolitique qui pourrait mettre en danger!!!
Votre article reflète parfaitement la réalité… j’ai moi même vécu cette situation mais j’ai eu la chance de faire partie de la première délégation et comme par miracle j’ai obtenu un vol de rapatriement le 2 juin, mon billet initial était pour le 21 mai et mon compagnon Philippe Augier qui devait rentrer le 21 mai est toujours là bas! C’est scandaleux cet abandon… ah si nous étions à l’étranger tout le monde aurait été rapatrié.
Nous devions venir à Nouméa pour le mariage de ma nièce, il est bien sûr annulé au vu des emeutes et des risque potentiels. Je venais avec toute ma famille, mes enfants, mes petits enfants. On a demandé l’annulation du voyage bien sûr mais impossible d’avoir des informations, aircalin ne répond pas et les vols ne sont pas officellement annulés mais qui voudrait venir faire du tourisme en ce moment sur le Caillou? c’est désolant cette désorganisation. Et aucune réponse du HC à qui j’ai écris aussi. Et la situation qui continue de sombrer un peu plus dans la violence…