NOVEMBRE DE PHILIPPE LE GUILLOU, EN MÉMOIRE D’UN PÈRE

« Novembre est en Bretagne le mois des ombres et des âmes », écrivait Philippe Le Guillou dans un bel opuscule, publié en 2001, Paris, une porte derrière la Bretagne. Novembre, mois des morts, fut aussi pour notre romancier finistérien, en 2015, le mois de la disparition de son père, au moment où, dans une sombre concomitance, un cataclysme terroriste au cœur de la capitale ébranlait et endeuillait pour longtemps le pays tout entier.

Novembre Philippe Le Guillou

Dans les livres autobiographiques de Philippe Le Guillou, depuis Les Marées du Faou jusqu’aux Géographies de la mémoire, en passant par L’intimité de la rivière et Le passage de l’Aulne, on chercherait en vain la figure du père. Le lecteur coutumier de l’œuvre de Philippe Le Guillou sait que les deux figures tutélaires qui ont régné sur l’univers mémoriel de notre auteur finistérien sont ses deux grands-pères, Gabriel et Jean. À leur manière, ils lui ont ouvert les portes de son imaginaire et ont contribué définitivement à bâtir l’univers de ses fictions romanesques.

Le Faou
France, Finistère (29), Le Faou, le bourg et l’Église Saint-Sauveur du Faou.

Le père, absent des récits nés du petit bourg matriciel du Faou, entre Brest et Quimper, n’appartenait pas au monde de l’imaginaire enfantin de Philippe et de ses sortilèges. Le père intimidait le fils par sa rigueur et son austérité et le jeune garçon se tenait éloigné de cet être plus fait pour l’aridité des comptes — il était inspecteur des impôts — que pour la rêverie. À l’inverse des deux grands-pères « qui se vivaient comme des hommes du XIXe, encore encombrés de légendes et de superstitions », Marcel, le père, homme de chiffres et de raison, calme et droit, fut un acteur du XXe siècle, celui des Trente Glorieuses, pris dans le mouvement du progrès, de l’industrialisation et de l’action. Et Philippe s’est toujours demandé « quel regard il pouvait porter sur les récits où je me livrais ». La proximité et la complicité pouvaient-elles exister avec ce père secret ?

La douleur du fils, quand le père disparaît, n’en est que plus aiguë. Au seuil du grand passage, Philippe, seul avec son père mourant dans la chambre de l’hôpital de Morlaix, lui tiendra la main, comme il y a longtemps, dans la petite enfance. Il écrira, « dans les larmes », un texte funéraire pour la cérémonie religieuse. Ce fut une lourde épreuve « parce que la moindre formule ravivait des souvenirs et une douleur sans fond ».

« Je n’ai pas suffisamment payé ma dette à mon père parce que ce qu’il m’avait donné était d’un tout autre ordre ». Il n’était pas que l’homme à la tâche, penché sur de desséchants alignements de chiffres. Il était aussi, écrit ce fils inconsolable, un être « incarné, vivant, qui aimait se lever tôt pour cueillir des champignons, pêcher des palourdes sur les grèves de Térénez ou la truite dans les rivières qui traversent la forêt du Cranou et la campagne alentour ».

Par ce texte poignant, magnifiquement écrit, Philippe Le Guillou a construit le tombeau d’un père, pris dans la toute fin de sa vie par la dévastation de la maladie, « homme digne, d’une bravoure silencieuse et discrète qui ne baissait pas les bras, ne cédait jamais à la plainte et à la désolation ».

Après les pages déchirantes de Fleurs de tempête, chant funèbre à sa jeune et chère amie Hélène, tuée elle aussi par un cancer en 2007, Philippe Le Guillou nous donne à lire ici, dans sa brièveté, un deuxième grand et beau texte sur la perte et le deuil.

Novembre, de Philippe Le Guillou, Gallimard, coll. Folio, 2018.

Philippe Le Guillou

Philippe Le Guillou, né en 1959 au Faou, est un écrivain français et professeur de lettres. Ses romans sont marqués par les légendes celtiques et le christianisme, dans un style rappelant Julien Gracq. Il a reçu le Prix Médicis en 1997 pour Les Sept Noms du peintre et le Prix Méditerranée en 1990 pour La Rumeur du soleil.

LA ROUTE DE LA MER OU LES PORTES OCEANES DE PHILIPPE LE GUILLOU

PHILIPPE LE GUILLOU, L’INTIMITÉ DE LA RIVIÈRE

Philippe Le Guillou, “Ce monde, je le regarde avec une distance désolée, car je ne m’y reconnais guère.”

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