Nouvel arrêt à : Mount-Vernon, État de Washington, États-Unis. Le voyageur : Olivier Hodasava. Un voyageur virtuel. Il arpente quotidiennement les artères du monde de Google Street View. Quand l’image saisie devient le réel ultime de la fiction commune… Pour Unidivers, l’arpenteur avance à la façon d’un fildefériste sur une ligne (presque) imaginaire : le 48e parallèle Nord. Latitude sur laquelle est située la ville de Rennes.
Voyager, c’est bien utile, ça fait travailler l’imagination. Tout le reste n’est que déceptions et fatigues. Notre voyage à nous est entièrement imaginaire. Voilà sa force. Il va de la vie à la mort. Hommes, bêtes, villes et choses, tout est imaginé. C’est un roman, rien qu’une histoire fictive. Littré le dit, qui ne se trompe jamais. Et puis d’abord tout le monde peut en faire autant. Il suffit de fermer les yeux. C’est de l’autre côté de la vie. (Céline, Voyage au bout de la nuit)
Depuis que j’ai entrepris ce voyage, à force, j’ai acquis, je crois pouvoir l’affirmer, une certaine maîtrise des sauts dans l’espace. Je me donne parfois l’impression d’être un parachutiste de précision : je décide d’un endroit et hop… Mais il en va tout autrement des bonds que j’effectue dans le temps (mon voyage est en réalité un voyage dans le temps autant que dans l’espace : les images que j’enregistre datent de 2010, 2011 ; elles sont les traces d’un passé).
Aujourd’hui, par exemple, me projetant dans l’État de Washington, j’espérais secrètement découvrir des paysages enneigés fort à propos pour animer ce cœur d’hiver dans lequel nous sommes. Mais au lieu de ça, alors que je débarque à Mount-Vernon, c’est le plein été. Ce n’est pas désagréable mais déroutant. J’accepte de m’en accommoder. Je me dis même que je pourrais me lancer dans un inventaire à la façon de Sei Shanagon dans ses Notes de chevet.
Les Notes de chevet, pour ceux qui ne le sauraient pas, est un des ouvrages les plus merveilleux au monde, un recueil écrit aux alentours de l’an mille par l’une des dames de compagnie de l’impératrice Teishi. L’ouvrage est composé de tout un lot de courts textes – choses qui gagnent à être peintes ; choses qui emplissent l’âme de tristesse ; pantalons et lacets ; vêtements de dessous… – qui, rassemblés, dressent un tableau d’une incroyable sensibilité.
Bref. Mon inventaire à moi pourrait s’intituler “Choses qui disent l’été à Mount-Vernon”. Dans cet inventaire, on trouverait : des robes légères sur les corps des femmes ; des sandales ; des tricots portés sans veste ; des pêcheurs, casquettes vissées sur la tête, sur les eaux de la Skagit River ; un panneau apposé sur une école et annonçant la date de la rentrée scolaire ; la verdure de la végétation ; les portes laissées ouvertes aux façades des commerces ; le soleil que l’on devine haut dans le ciel rien qu’au jeu des ombres qu’il projette.