Vous avez quelque chose entre les oreilles ? En plus, vous êtes doté d’un palais subtil et d’un estomac exigeant ? Alors vous allez déguster avec le gros pavé de François-Régis Gaudry, le bec fin qu’on retrouve avec délectation sur France Inter pour la grand-messe dominicale des gourmands. Rencontre.
Unidivers : Pourquoi Philippe Val, fraîchement nommé à la tête de France Inter, vous a-t-il appelé pour parler de cuisine à l’antenne ?
François-Régis Gaudry : J’étais critique gastronomique à l’Express depuis 2005. Comme il n’y avait plus rien sur ce sujet depuis le départ de Jean-Pierre Coffe, deux ans auparavant, Val estimait qu’avec l’arrivée de l’été, les auditeurs auraient envie de saliver. Et c’est parti !
U. : Vous revendiquez un concept d’émission de bonne bouffe et de bonne humeur, « qui pense la nourriture autant qu’elle nourrit la panse ».
François-Régis Gaudry : La gastronomie, c’est de la culture comestible. C’est important d’adjoindre le plaisir de la connaissance à celui du goût, car on peut lire l’histoire d’un pays en se penchant sur ses casseroles.
U. : Votre recette n’a pas varié d’un gramme : 1/3 de culture culinaire, 1/3 de pratique aux fourneaux, 1/3 de dégustation conviviale. Le dosage est si précis ?
François-Régis Gaudry : Grosso modo, oui. On donne autant de place à ceux qui fournissent les produits qu’à ceux qui maitrisent le geste et qu’à ceux qui le contextualisent.
U. : Le livre débute avec deux pages sur Auguste Escoffier, le cuisinier des rois et roi des cuisiniers. La gastronomie lui doit beaucoup ?
François-Régis Gaudry : Oui, une place énorme ! L’inventeur de la Crêpe Suzette et de la rationalisation des cuisines a incarné la France rayonnante. L’internationalisation de sa carrière le place à l’origine du soft power de la gastronomie.
U. : Juste après, on passe à deux pages sur la frite. Puis une page « à la recherche de la madeleine perdue », une autre sur les faux amis en cuisine, avant de se ruer sur la morue. Une manière d’afficher votre éclectisme ?
François-Régis Gaudry : Quand Marabout et France Inter m’ont demandé de faire un livre, je leur ai dit « Il en sort énormément. Trop. Je pense qu’il y a trop d’arbres gaspillés pour du superflu ». Je savais ce que je ne voulais pas faire. Mon credo, c’est la bonne humeur et l’humour. Il fallait que mon livre soit à cette image, qu’il fasse saliver et sourire. Alors avec mes amis, on a opté pour un picorage. Sans cadre strict. Avec une galaxie de contributeurs. À tel point qu’à la fin, j’étais inquiet du résultat. Mais il est impeccable et le livre cartonne.
U. : Pourtant le prix est relativement élevé.
François-Régis Gaudry : Au départ, il était prévu à 29€, mais au final, vu le coût réel de l’ouvrage, l’éditeur le propose à 35€, ce qui reste raisonnable au regard de son poids (rires) et de ce qu’il contient !
U. : L’argent du beurre… De ce côté-là, vous mettez en avant l’incontournable Jean-Yves Bordier, et l’autre breton, du Ponclet et vous donnez une recette de caramel au beurre salé de Sylvain Guillemot (NDLR : du Pont d’Acigné, près de Rennes). Vous venez souvent en Bretagne ?
François-Régis Gaudry : Une ou deux fois par an … mais j’aimerais plus ! Sylvain Guillemot est un chef auquel je suis très attaché. De même Olivier Bellin (NDLR : de l’Auberge des Glazicks, à Plomodiern) dont j’adore le Kigh homardz. Pour moi, c’est un futur trois étoilé au Michelin.
U. : Autre célébrité bretonne – qui poussait Claude Chabrol à planter sa caméra près de Cancale, rappelez-vous – Olivier Roellinger donne une recette de lait fouetté à la vanille un peu compliquée. On préfère ses « 3 tours de magie » avec les huitres !
François-Régis Gaudry : Ah, quelle référence ! Avec lui, on est vraiment dans le « terroir mental » comme dit Ducasse. Il a su concilier son enfance, ses lectures et ses voyages en un parcours admirable. Les Bretons ont de la chance de l’avoir.
U. : Et ils ont aussi de la bière ! Dans les pages qui y sont consacrées, on apprend qu’en 2015, il y a 730 brasseries locales. La première région, le Rhône Alpes, est suivie par la Bretagne dont vous citez trois brasseries : les Finistériennes, An Alach et le Bout du Monde, et la morbihannaise de Guern.
François-Régis Gaudry : La filière brassicole affiche un beau dynamisme depuis les années 70. Élisabeth Pierre en connaît un rayon et quand je lui ai demandé d’en sélectionner 20, çà a été un crève-cœur pour elle !
U. : Côté pêche, un encadré présente les poissons durables – et un long sujet sur les poissons pourris ! Parmi les recettes, une très simple de Julien Lemarié (restaurant la Coquerie, Rennes).
François-Régis Gaudry : Ce chef cuisine comme j’aime, avec de fortes influences nippones. Il fait aussi un usage remarquable des herbes d’Adrien Poirrier de L’amante Verte (NDLR : producteur d’exception basé à Sixt-sur-Aff), mon pourvoyeur exclusif de verveine – je ne vous dis pas combien elle est vendue à Paris !
U. : Autre chef originaire de Bretagne, Alain Passard. Pour vous c’est vraiment un dieu vivant ?
François-Régis Gaudry : Au niveau de sa maitrise de cuisson du poisson, oui, sans hésiter ! Il a une espèce d’approche paysanne réjouissante. Par ailleurs, il n’hésite pas à mettre en avant ses origines bretonnes. Sa gaufre mi-froment, mi-sarrazin est divine !
U. : Parmi les chefs qui jalonnent les pages, on découvre aussi Édouard Nignon. A t-il été oublié parce que les Français ne sont pas fans d’huitres au camembert ?
François-Régis Gaudry : Ce contemporain d’Escoffier est moins passé à la postérité, mais je suis ultra fan de son Éloge de la cuisine française, un chef-d’œuvre sorti en 1933 et réédité en 1995.
U. Dans la catégorie « poules de luxe », vous n’avez pas oublié la Coucou de Rennes, bravo !
François-Régis Gaudry : Normal, Paul Renault fait partie des éleveurs formidables en Bretagne, qui refusent les diktats de l’agro-industrie, et qui donnent une autre image que celle des algues vertes
U. : Au sujet des chers gastrocrates, ceux qui sont présentés comme « nouvelle critique » sont nés dans le meilleur des cas en 1932 – pour Philippe Couderc !
François-Régis Gaudry : Là, je n’étais pas très en phase avec cette sélection, mais vous savez, c’est un ouvrage collectif… Ce choix est signé Emmanuel Rubin (Figaroscope, BFM…)
U : Sur une double page, il n’a mis qu’une seule femme, Julie Andrieu… C’est un monde (presque) aussi misogyne que le Festival d’Angoulême ?
François-Régis Gaudry : Honte à nous ! Mais vous avez vu ? Au niveau des chefs, Pascal Ory sauve notre honneur en citant de nombreuses femmes. Fort talentueuses, mais assez peu nombreuses dans ce milieu. En tant que Lyonnais, j’ai forcément une tendresse pour Eugénie Brazier (1895-1977), première femme 3 étoiles.
U. : Vous êtes très complet sur les œufs : trucs d’achat, mode de préparation et tous les comestibles… Vous en avez mangé, vous, des œufs de mouette ?
François-Régis Gaudry : Oui, j’ai eu cette chance en Angleterre lors de la courte période où c’est possible – en France, c’est interdit. Je n’ai pas trouvé la note de sel annoncée en fanfare par les critiques british. Mais j’ai été séduit par le soyeux du jaune… qui est en fait orangé, presque rouge !
U. : Vous nous faites voyager partout. En Espagne avec le jamón ; en Italie avec les lasagna, les ravioli, le giro des dolce, les trattoria de Rome ; au Moyen-Orient, au Japon et même chez les Yankees !
François-Régis Gaudry : Partout dans le monde, on peut déguster ! Et à la maison, on voyage en préparant des carbonara à la romaine, le pesto à la genovese, la paëlla en été et des plats thaïs.
U. : Votre somme évoque les écrivains gourmands : Victor Hugo, Marcel Pagnol, Jean Giono, George Sand… et l’indispensable Michel Onfray. Moins connue : la science de Lévy-Strauss dans ce domaine…
François-Régis Gaudry : Et pourtant ses Mythologies sont une référence ! Il serait peut-être prétentieux de dire que ces ouvrages sont devenus mes livres de chevet depuis ma khâgne. Mais on n’en est pas loin ! Son analyse du cru, du cuit, de nombreux mets et de l’origine des manières à table me passionne.
U. : La traditionnelle Chandeleur approche… Vous irez au Breizh Café chez Bertrand Larcher ou vous ferez les crêpes vous-même ?
François-Régis Gaudry : À la maison avec mes filles. On les aime avec du jus de citron ou du salidou, home made avec du beurre breton !
Livre On va déguster François-Régis Gaudry et ses amis, Editions Marabout, 336 pages, 25 novembre 2015, 35 €
Hors-compétition du Grand prix Figaro du livre gourmand 2015; Plus de 80 contributeurs ont collaboré à cette première édition.
François-Régis Gaudry anime On va déguster sur France Inter à 11 heures. Il est également journaliste gastronomique à L’Express (voir son blog), et présente Très Très Bon sur Paris Première.