Après les remarquables succès de la saison passée comme la walkyrie ou Traviata, inutile de dire que le nombreux public qui se pressait mercredi soir aux portes de l’Opéra de Rennes, bouillait d’impatience de découvrir ce que cette nouvelle saison nous réservait. Impatience des plus légitimes si l’on considère que cette coproduction, majoritairement bretonne, arrivait déjà auréolée de commentaires les plus élogieux, particulièrement dans l’un des derniers numéros du magasine musical « Diapason ». Il va sans dire que les participations du capitole de Toulouse comme de l’opéra Royal de Versailles laissaient présager un travail de qualité.
Le choix d’un opéra de Haendel représente en soi un défi. Et plus encore lorsqu’il s’agit d’une œuvre assez périlleuse comme ORLANDO. Périlleuse parce que la multiplicité des situations rend la mise en scène très complexe, que la construction de l’œuvre en arias, duos et même trios, ne laisse aucune place à la médiocrité. Elle exige des chanteurs comme des musiciens un niveau d’excellence. Pour le plus grand bonheur des auditeurs, il a été atteint ce soir-là.
C’est avec autorité que, dès les premières notes, la belle voix de basse de Luigi di Donato donne le ton. Il impose le personnage du magicien Zoroastro avec clarté et assurance. Zoroastro réussira-t-il à convaincre Orlando de choisir plutôt la gloire que l’amour ? Celui-ci avec adresse met sa propre gloire au service de l’amour, la pirouette est élégante, le procédé assez commode… Le contre-ténor David D.Q. Lee a la voix adéquate pour ce rôle, elle n’est pas puissante mais nuancée.
C’est une nouvelle surprise de taille que nous réservent les instants suivants. Telle l’apparition d’une fée, Dorinda, magnifiquement incarnée par la délicate chanteuse coréenne Sunhae Im, nous entraîne dans un univers de naïveté et de douceur. Sa longue jupe qui évoque le costume des ballerines nous fait penser à la jolie statue de Degas, « la petite danseuse de 14 ans ». Mais cette apparente délicatesse de miniature ivoirine ne masque pas la beauté et la précision de sa voix. Sunhae Im pousse le mot nuance jusqu’au paroxysme et impose au public à chacune de ses interventions un silence quasi mystique.
Ces impressions, nous les ressentirons à chaque moment de l’œuvre. Que ce soit au travers des plaintes ou des imprécations d’Orlando, des prières et des appels à l’apaisement d’Angelica ou des paroles amoureuses de Mèdoro. Il faut le reconnaître : la distribution de cette production est en tout point remarquable. Les chanteurs respectent l’alternance entre des moments épiques et d’autres intimistes, et savent avec intelligence adapter leur voix aux dimensions du lieu. Kristina Hammarstrôm à l’instar de Adriana Kucerova imposent, l’une par son expérience, l’autre par son éclatante jeunesse, des interprétations d’une émouvante précision.
La mise en scène d’Éric Vignier évite avec adresse les écueils que représentent les nombreuses scènes d’Orlando. Le parti pris assez minimaliste des décors est un choix judicieux. Passés les premiers moments d’agacement provoqués par une déplaisante lumière à base de tubes au néon, on se laisse emporter. Et c’est au contraire les éclairages et les ombres portées qui donneront un relief à l’œuvre et permettront au travail de mise en scène d’être au service de la musique. Le jeu des acteurs Grégoire et Sébastien Camuzet, clones fantomatiques errant sur scène à leur propre guise, pique notre curiosité et apporte une note originale.
Et la musique dans tout cela ? Que dire d’autre sinon qu’elle est magnifiquement servie par l’ensemble Matheus et Jean-Christophe Spinosi ? À les voir évoluer dans la fosse d’orchestre, tout semble facile. Leurs visages sont à la fois appliqués et détendus, la sonorité de l’ensemble est belle et homogène. Ce n’est pas par hasard que cette formation initialement quatuor est devenue orchestre et a acquis une stature internationale, s’imposant désormais comme une véritable référence. Tout au long de l’exécution de l’œuvre, Spinosi nous entraîne dans une très lente montée de l’intensité dramatique pour déboucher sur le chœur de la réconciliation – véritable bouquet final.
L’opéra de Rennes a placé la barre très haut pour cette ouverture de saison et le public présent a salué d’une longue ovation un travail collectif d’une grande qualité. Le petit bis offert par l’ensemble Matheus nous a même permis de découvrir un chef d’orchestre se transformant – pour quelques instants et pour notre plus grand bonheur – en chanteur d’opéra. Il nous a communiqué, s’il en était besoin, son enthousiasme et sa joie de partager la musique. Maestro chapeau bas !
MERCREDI 16, 20h – JEUDI 17, 20h – SAMEDI 19, 18h – LUNDI 21, 20h
David DQ Lee, Orlando
Adriana Kučerová, Angelica
Kristina Hammarström, Medoro
Sunhae Im, Dorinda
Luigi De Donato, Zoroastro
Eric Vigner, mise en scène, scénographie, costumes
Ensemble Matheus
Jean-Christophe Spinosi, direction
Photos : Courtoisie de l’Opéra de Rennes
Opéra de Rennes Orlando d’Haendel
Place de la Mairie, 35000 Rennes
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Ouverture de la saison à l’Opéra de Rennes Orlando un moment magique !