Créée à l’Opéra de Rennes en partenariat avec le Festival Jazz à l’Ouest, La Falaise des lendemains est une œuvre contemporaine et audacieuse qui marie les univers du jazz, de la musique classique et du folklore breton. Ce premier opéra de Jean-Marie Machado, amateur de jazz, pianiste et compositeur à la croisée des genres, s’aventure dans un territoire hybride, mêlant tragédies classiques et légendes bretonnes. Que vous soyez déjà familier de cet univers ou que vous le découvriez, il vous entraînera dans son tourbillon mélodieux chanté en anglais, en français et en breton.
Les Falaise des lendemains propose un voyage dans le temps qui nous entraine au début du XXe siècle à Roscoff. Le spectateur assiste à l’histoire d’amour naissante entre Chris, un marionnettiste anglais de passage, et Lisbeth. Un amour que tout semble vouloir séparer. Dragon, l’admirateur un peu trop envahissant de Lisbeth, constitue le plus grand obstacle à cette histoire d’amour naissant ; il semble prêt à tout pour empêcher leur union.
Un orchestre d’une belle richesse sonore
La richesse de La Falaise des lendemains réside avant tout dans la musique. Jean-Marie Machado, également au piano, dirige l’orchestre Danzas avec une nette fluidité, orchestrant un ensemble de dix-sept musiciens réuis en demi-cercle autour de la scène. Cette disposition facilite l’interaction entre les instrumentistes et les pupitres de voix en donnant d’autant plus de sens à la représentation et à la musique qui devient quasi tangible. L’éventail musical est varié, douceur d’un jazz et grandeur classique intègrent influences de la musique bretonne avec une aisance déconcertante.
Les harmonies multiples et les rythmes superposés de la partition créent une profondeur sonore qui alterne moments vibrants et plages plus calmes, voire mélancoliques. Chaque instrument, de la clarinette à la contrebasse, trouve son espace pour briller. Le chef d’orchestre Jean-Charles Richard, par son énergie et sa gestuelle physique, donne une impulsion vitale à la partition, amplifiant la puissance émotionnelle de chaque passage musical qui soutient l’action.
Des voix qui donnent corps à la tragédie
Côté vocal, La Falaise des lendemains déploie une distribution de qualité, avec des performances marquantes de l’ensemble des chanteurs, où chacun se démarque par sa personnalité. Les échanges polyglottes donnent du sens et de la texture à l’œuvre. Du parlé au chant lyrique, le spectateur est plongé dans un nouvel univers dont il lui est permis de saisir chaque détail. La Falaise des lendemains se distingue par sa clarté et son accessibilité à un auditoire diversifié.
L’amour naissant qui unit Chris et Lisbeth à Roscoff au début du XXe siècle pendant trois époques ne nous laisse pas de marbre. Vincent Heden, en Chris, le marionnettiste anglais, représente avec justesse la fragilité et la tendresse du personnage. Sa voix, chaude et expressive, se fait douce et légère, particulièrement dans ses duos avec Yete Queiroz, qui interprète Lisbeth avec une profondeur. La voix lyrique de Queiroz incarne la dualité du personnage : une femme forte et vulnérable, brisée par l’amour et la violence.
Les seconds rôles sont également à mettre en valeur. Gilles Bugeaud, dans le rôle de Don, l’ami de Chris, confère une sensibilité à son personnage avec une voix dynamique. Nolwenn Korbell incarne Maureen avec une voix à la fois tranchante et chaleureuse, marquant son personnage d’impertinence et de sensualité. La prestation de Florian Bisbrouck dans le rôle du redoutable Dragon, cet antagoniste éperdument amoureux de Lisbeth au point de perdre la raison, ne laisse personne indifférent, bien qu’il manque parfois de nuances. Il incarne son personnage avec la brutalité dont il doit faire preuve, oscillant entre une voix sourde et menaçante qui fait de lui un véritable monstre, aussi bien vocalement que symboliquement. Ainsi devient-il prêt à tout, même à commettre l’irréparable pour faire de Lisbeth sa possession. Son fidèle acolyte, Malo (Florent Baffi), s’accorde avec lui tant dans sa tonalité que dans son comportement. Sa loyauté et sa cruauté ont néanmoins une limite et il finira par se retourner contre Dragon… Si chaque personnage se distingue par une personnalité unique, on regrettera que les interprètes s’avèrent inégaux dans leur capacité à transmettre leurs émotions.
Une mise en scène épurée
La mise en scène par Jean Lacornerie met en avant les personnages et l’orchestre dans un espace qui ne garde que l’essentiel. Tout se cache dans les détails : les filets de pêche symbolisent l’emprisonnement et l’union entre les personnages, notamment la relation entre Chris et Lisbeth. Le choix de cette sobriété offre une exploration plus intime et authentique du drame. Certaines scènes restent suggérées alors que d’autres sont explicitement orchestrées. Lorsque Chris et Don animent les marionnettes, les autres personnages se placent devant, ne laissant au spectateur qu’une vision partielle de ce qui se passe ; ce qui permet à ce dernier d’interpréter et d’imaginer. Cette scène marquante refait surface plus tard dans l’œuvre, mais cette fois, chaque personnage se transforme en marionnette, symbolisant leur volonté de s’affranchir de l’idée qu’ils sont manipulés.
Le parallèle entre le déchirement de la première Guerre mondiale et celui d’un amour impossible maintient le public en alerte jusqu’au bout, notamment lorsque la pauvre Maureen, battue et maltraitée par Dragon depuis des années, décide de lui enfoncer un couteau dans le dos (au sens propre) d’un geste libérateur et désespéré. Lisbeth et Chris pensent pouvoir vivre de leur amour, mais les blessures physiques conduisent inéluctablement le Roméo de cette histoire à une mort tragique.
La Falaise des lendemains fraie dans l’opéra contemporain un nouveau chemin jazzy-folk breton qui s’adresse à un public pluriel. Bien que la palette d’émotions s’avère quelque peu floue et ne s’élève pas à l’intensité espérée, cette création est un modèle d’ambition artistique et de croisement des genres. Jean-Marie Machado offre au genre opératique une nouveau type de résonance.
La Falaise des lendemains sera présentée le 18 janvier 2025 à l’Atelier Lyrique de Tourcoing, le 24 janvier à la Maison des Arts de Créteil, les 26, 27, 28 février et 1er mars au Théâtre Graslin de Nantes puis le 24 avril au Grand Théâtre d’Angers.