Grande messe en ut mineur : pari réussi pour Gildas Pungier, chef des chœurs de l’opéra de Rennes, qui a pu s’appuyer sur deux formations solides, le chœur Mélismes et l’ensemble A Venti. Il fallait, à n’en pas douter, faire preuve de pas mal d’audace et aussi d’un beau savoir-faire pour oser transcrire en octuor à vents des œuvres de Mozart, en elles-mêmes déjà si parfaites.
C’est par le Kyrie K 341 pour chœur et orchestre que commence notre promenade viennoise. Cette œuvre, fragment d’une messe entamée en 1791, fut une leçon un peu cuisante pour Mozart. À l’époque, Le Kapellmeister Léopold Hofmann, en charge de la musique pour la cathédrale Saint-Étienne de Vienne, commençait à montrer de réels signes de faiblesse. Et Mozart, qui se débattait comme à l’habitude dans des problèmes financiers, considéra avec intérêt l’opportunité qui se présentait à lui. Les 2000 florins annuels de revenus s’avéraient une puissante motivation. Aussi fit-il acte de candidature. Le Kyrie devait figurer dans la messe qui célébrerait son avènement en tant que nouveau Kapellmeister. Léopold Hofmann recouvra la santé et Mozart en fut pour ses frais.
L’andante maestoso qui entame l’œuvre cause pourtant une sorte de malaise partagé. À mieux y réfléchir, ce ne sont ni les musiciens de l’excellent ensemble A Venti, ni le chœur Mélismes qui sont en cause. Deux phénomènes concomitants expliquent cette situation. D’abord, nos oreilles sont accoutumées à entendre la musique de Mozart accompagnée de cordes, et la transcription pour un ensemble à vent nous déstabilise clairement. Second élément, la sonorité particulière des instruments anciens contribue également à nous désarçonner. Il nous faudra donc quelques mesures pour nous acclimater et entrer complètement dans le concert.
La transcription fonctionne parfaitement, la beauté formelle de cette œuvre nous transporte. Le miracle Mozart a lieu une fois de plus. La Grabmusik K 42 pour soprano basse et orchestre qui suit sera l’occasion pour le baryton Jean-Christophe Lanièce de mettre en valeur de remarquables qualités vocales, bien soutenues par une diction sans faille. Cette remarque de satisfaction s’applique également à la soprano Harmonie Deschamps qui soutient crânement le dialogue. Cette première partie sera conclue par le Laudate dominum K 339, extrait des vêpres d’un confesseur pour soprano chœur et orchestre. C’est la cinquième partie d’une œuvre qui en compte six. La musique nous en est familière, elle sera l’occasion pour la soprano Violaine Le Chénadec de nous en offrir une interprétation pleine de nuances et d’intériorité. Le chœur Mélismes lui apporte un soutien de qualité et démontre, s’il en était besoin, ce qu’est l’excellence dans la continuité.
Après quelques minutes d’entracte, tout le public regagne baignoires et loges pour ce qui sera sans nul doute le grand moment de la soirée, la grande messe en ut mineur K 427. Les premières notes sublimes et solennelles du Kyrie mettent tout le monde d’accord. C’est absolument beau et profondément émouvant. La voix de Violaine Le Chénadec, un peu discrète au moment de l’attaque de l’air pour soprano, prend une belle ampleur et ses aigus sont plaisants et bien dominés. Pour la suite de l’œuvre, chaque personne présente entame un cheminement personnel et spirituel. Certains moments atteignent au sublime et nous font vivre ces instants extatiques où tout semble s’abolir, nous laissant en parfaite communion avec Dieu et Wolfgang. On aimerait que cela ne s’arrête jamais.
Tout aurait été parfait sans la présence de quelques olibrius iconoclastes, se sentant obligés d’applaudir à contre temps et à tout moment. Avec le métier qu’on lui connaît et l’autorité d’un chef, Gildas Pungier saura dompter ces quelques trublions, les tenant dans un silence respectueux près de quinze secondes après la fin de l’œuvre.
Notre concert n’était pourtant pas achevé et une ultime surprise nous attendait : la première mondiale de l’Agnus Dei d’Éric Tanguy pour soprano solo et chœur a cappella. Ce musicien, né à Caen en 1968, n’est pas inconnu de l’opéra de Rennes, qui l’avait accueilli en résidence de 2001 à 2003. Cette œuvre contemporaine (et ce mot, en l’occurrence, ne doit pas faire peur) est absolument superbe. Tout en douceur et en nuances, elle nous surprend dans le meilleur sens du terme. C’est une fois encore l’occasion de se laisser complètement aller à une délicate méditation intérieure. Complètement subjugué, le public attendra cette fois un imperceptible geste de Gildas Pungier, pour applaudir avec frénésie cette création aussi belle qu’émouvante. Des plus âgés, habitués des lieux, jusqu’aux trente membres de l’école de musique de Bain de Bretagne, dont la plus jeune affichait sans complexes l’âge de six ans, tous sont repartis avec le sentiment d’avoir eu la chance d’assister à un tel concert. C’est un avis que nous partageons sans restrictions.
GRANDE MESSE EN UT MINEUR concert donné le 6 février 2019
MOZART
W. A. Mozart
Grande Messe en Ut mineur, K 427
nouvelle version transcrite par Gildas Pungier pour octuors à vents.
Agnus Dei d’Éric Tanguy — création mondiale
Kyrie K341
pour chœur et orchestre
Laudate Dominum K339 (extraits des Vêpres solennelles d’un confesseur)
pour soprano, chœur et orchestre
Grabmusik KV 42
pour soprano, basse, chœur et orchestre
Chœur de chambre Mélisme(s)
Ensemble A Venti (Direction musicale, Jean-Marc Philippe)
Direction Gildas Pungier
Violaine Le Chenadec soprano
Harmonie Deschamps soprano
Matthieu Chapuis ténor
Jean-Christophe Lanièce baryton