Sa prise de poste officielle avait lieu le 1er septembre, mais dès le 20 août Matthieu Rietzler était à Rennes afin de respirer la ville et rencontrer les équipes de la maison d’opéra dont il est le nouveau directeur. Il prend la suite d’Alain Surrans devenu directeur d’Angers-Nantes-Opéra avec lequel il devra travailler en étroite collaboration tout en maintenant une spécificité – et une forme d’indépendance – rennaise. Il nous accorde son premier entretien.
Diplômé d’une école de commerce, et jusqu’il y a peu secrétaire général de la Maison de la Danse à Lyon, Matthieu Rietzler est tout sauf un novice dans le monde de l’art lyrique. « Après 15 ans de piano, c’est un stage à l’opéra de Nancy qui m’ouvre les portes du monde lyrique, et si j’ai fait des études de commerce puis un troisième cycle en management public c’est avec l’envie de traduire cela dans le monde de la musique. J’ai dirigé des centres de vacances musicales, en Bretagne en partie, avec au cœur de ma démarche la question de la transmission de la musique. J’ai été responsable du jeune public à l’Opéra National du Rhin puis jusqu’à 2012 secrétaire général de l’opéra de Lille ».
Mais ces six dernières années, c’est autour de l’art chorégraphique qu’il a exercé son désir de transmission. « Après dix ans passés dans des maisons d’opéra, mon passage à Lyon m’a permis de prendre du recul et de faire l’expérience d’une institution culturelle d’importance avec ses 150 levers de rideau et ses 150 000 spectateurs chaque année. »
Comment expliquer alors la tentation de Rennes ? « Après 6 ans à Lyon j’éprouvais un vrai désir de revenir vers l’opéra et la maison rennaise est une très belle maison. Il y a une belle adéquation entre l’esprit de la ville et l’opéra qui est certes assez petit, mais qui constitue un véritable écrin. C’est un opéra qui permet d’être généreux avec le public et très incluant, tout le contraire d’un temple dont on n’ose pas franchir les portes. Dans la mesure où mon parcours est très lié au public, il m’a semblé que j’avais quelques atouts pour cette maison, pour créer les meilleures conditions de rencontre entre les artistes dont on défend le travail et le public que l’on cherche toujours à élargir ».
Manifestement le jury a été sensible à ces atouts. « J’imagine que le jury a aussi été sensible à mon parcours très lié à la musique, mais pas exclusivement à l’art lyrique, ainsi qu’à mon expérience dans des institutions culturelles de taille (Opéra National du Rhin, Maison de la Danse de Lyon) tout en restant pragmatique et très lié au terrain ».
Son âge, 37 ans, a peut-être aussi joué en sa faveur quand on observe à Rouen et à Nancy la nomination de deux autres directeurs de moins de 40 ans. « Il y a peut-être une volonté des tutelles de rajeunir les directions des maisons d’opéra, pour autant les trois directeurs, comme les trois maisons, sont très différents et pas interchangeables. Ce qui est vraiment enthousiasmant c’est le contexte culturel rennais avec l’arrivée d’Arthur Nauzyciel au TNB, de Corinne Poulain aux Champs Libres et des nominations à venir au FRAC et au Musée des Beaux-Arts, on sent une véritable ébullition et, dans ce contexte, penser la place de l’opéra dans la ville au 21e siècle est très excitant. »
Après 12 ans marqués par la direction d’Alain Surrans, aujourd’hui directeur d’Angers-Nantes-Opéra, quelle orientation va prendre l’opéra de Rennes ? « Cette saison n’est pas la mienne, la suivante également est déjà très dessinée par Alain Surrans. Mais je suis très heureux de les défendre et très à l’aise pour le faire. D’abord parce que je connais bien Alain avec lequel j’ai collaboré sur des coproductions lorsque j’étais à l’opéra de Lille, et avec lequel je partage l’ambition de faire largement partager l’opéra. Ensuite parce que ce sont de très belles saisons. Pour l’avenir ce qui m’intéresse c’est de trouver la meilleure adéquation entre une œuvre et notre salle. L’opéra de Rennes est parfait pour le baroque, pour le 20e ou pour le début du 19e. Quelques répertoires sont moins adaptés, je ne dis pas qu’on ne les fera pas, même s’ils sont très lourds à monter, mais j’accompagnerai particulièrement des projets qui sont parfaits pour cette salle. A cet égard la présence du Banquet Céleste est une vraie chance, et j’ai déjà parlé avec Damien Guillon de projets scéniques et lyriques ».
Et dans un répertoire plus proche de nous ? « C’est par la diversité des œuvres et des genres qu’on accueille une diversité de publics. J’ai bien envie de faire une place à la comédie musicale, Beggar’s opera, programmé cette année, est une comédie musicale avant l’heure. Je ne dis pas que l’on en fera tous les ans, mais je pense qu’il y en aura une l’année prochaine. Il y a de très belles œuvres musicales dans le milieu du 20e, les grandes heures de Broadway, qui, quand elles sont portées par de bons artistes, sont de vraies œuvres de partage. »
Et la musique contemporaine ? « La dimension contemporaine m’intéresse beaucoup, en lyrique, mais pas seulement. On se fait un mythe d’une musique contemporaine qui n’est pas accessible, mais ce n’est pas toujours vrai, il y a des propositions qui sont très simples d’accès. Un projet lyrique contemporain, du compositeur Francesco Filidei, est déjà bien avancé, et j’aimerais aussi travailler avec, par exemple, Sébastien Rivas, Gérard Pesson, Philippe Leroux ou l’ensemble Links. Notre responsabilité c’est aussi d’être attentifs aux opéras contemporains créés dans d’autres maisons, car, au-delà de la commande, ce sont des œuvres finalement trop peu jouées. »
Aucune nostalgie à l’égard de la danse ? « Nostalgie non, mais envie de lui faire une place, c’est une belle forme artistique, indissociable de la musique, qui enrichit le parcours des spectateurs. Il pourra y avoir des ballets, comme Cendrillon l’année dernière, mais j’ai aussi envie de travailler avec nos collègues rennais qui programment des œuvres contemporaines. »
Une volonté de travailler avec les acteurs culturels locaux ? « Oui, j’aimerais travailler avec les Tombées de la nuit, avec Mythos ou avec les Trans pour voir quels ponts on peut tisser. Les musiques minimalistes, par exemple, sont assez proches des musiques actuelles. Et bien entendu, construire des liens toujours plus étroits avec l’Orchestre Symphonique de Bretagne, notre partenaire de prédilection. »
Travailler avec les acteurs locaux, mais aussi avec Angers-Nantes-Opéra. « L’enjeu c’est de produire une œuvre lyrique qui au lieu d’être jouée 4 fois le sera 10 ou 12 fois. Il y aura une ou deux années d’expérimentations, et peut-être ferons-nous des erreurs, mais je suis plutôt confiant. Certes, Angers-Nantes-Opéra est une institution au budget plus important que celui de l’opéra de Rennes, mais nous sommes un opéra qui a des singularités fortes, un vrai savoir-faire dans le domaine de l’action culturelle ou du numérique, et surtout une vraie maison de production. J’ai été nommé sur un projet qui est que Rennes doit être un opéra de plein droit et de plein-exercice. Il est essentiel de demeurer une maison de production. Il en va de l’emploi des artistes et c’est le cœur même d’une maison d’opéra. Les opéras donnés lors des prochaines saisons seront alternativement produits à Rennes et à Nantes. L’enjeu sera de travailler avec Nantes en bonne intelligence. Autant je m’entends bien avec Alain, autant nous n’avons pas exactement les mêmes goûts. Je lui proposerai par exemple des noms de metteurs en scène qui ne sont pas les siens et je suis certain que la programmation s’enrichira. Par ailleurs, les économies d’échelle réalisées nous permettront de jouer plus. Autour de ces productions lyriques concertées, il y aura des spécificités strictement rennaises. Je suis convaincu qu’Angers-Nantes-Opéra a aussi beaucoup à apprendre de nous. »
Vous pensez à Opéra sur écrans ? « Oui, par exemple. C’est un vrai savoir-faire rennais que nous exportons cette année à Nantes, et c’est une belle reconnaissance. Après la première qui sera rennaise, le Vaisseau Fantôme sera diffusé depuis le théâtre Graslin. Mais notre collaboration étroite permettra de rendre l’évènement annuel et dès l’année prochaine il sera diffusé depuis Rennes. » Bien sûr le choix de l’œuvre est déjà arrêté, mais il faut garder le suspens intact jusqu’à juin. Disons seulement que c’est l’un des 10 opéras les plus joués au monde…
Par le passé vous avez été très impliqué dans la sensibilisation du public à la danse, à la musique et bien sûr à l’art lyrique, ce sera toujours le cas ? « Oui, la non-fréquentation des lieux culturels n’est liée qu’à une somme de barrières à l’entrée, à partir du moment où on travaille à lever ces barrières on ouvre les portes. J’envisage par exemple un travail avec le conservatoire à rayonnement régional sur les questions d’éducation artistique, en profitant de notre bâtiment pour y faire vivre des mini expériences musicales avec des dispositifs très légers. L’accès au genre passe par l’accès au lieu. Il y a deux mots qui me guident. Direct, car ça ne doit pas être compliqué de venir à l’opéra. Cela s’entend à tous les niveaux de notre projet : une programmation accessible, une communication inclusive, cela doit aller jusqu’à la manière de vendre des billets et d’entrer dans notre bâtiment. Et puis fête parce que l’opéra c’est la fête, on ne va pas transformer l’opéra en lieu de fête, mais l’opéra c’est le spectacle total qui doit être réjouissant. »
Et il y a des œuvres réjouissantes que vous rêveriez de produire à Rennes ?
« Bien sûr ! Pour autant, je souhaite que le choix des titres soit le fruit d’échanges avec les chefs ou les metteurs en scène ; pas seulement guidés par les goûts du directeur. Mais pour vous répondre, je dirais sans hésiter la Flûte enchantée, parce que c’est un véritable bijou, du baroque italien ou français, du Rossini bien sûr, la salle est parfaite pour Rossini. Et plus près de nous une œuvre d’une très grande force politique comme Der kaiser von Atlantis composée par Viktor Ullmann dans un camp de concentration, et aussi The rake’s progress de Stravinsky dans lequel on retrouve l’essence des opéras de Mozart tout en étant totalement dans le 20e. »
Ce sont des rêves ou des projets ? « Elles ne sont pas programmées, pour l’instant. »
Pour l’instant ? « Pour l’instant… »
Elles le seront ? « Un jour, probablement. »