L’opéra de Rennes et le Banquet céleste de Damien Guillon nous font découvrir San Giovanni Battista d’Alessandro Stradella. Pour un soir, le public a renoncé aux ors de l’opéra pour ceux de la cathédrale Saint Pierre de Rennes. Une œuvre religieuse comme ce Saint Jean-Baptiste de Stradella convenait bien à ces lieux qui lui offrent toute la dimension spirituelle souhaitée. Un Oratorio en deux parties sur un livret de 1675 de l’abbé Ansaldi.
Les ingrédients d’un succès mérité ont été rassemblés de façon éclatante. Qu’il s’agisse des musiciens, des chanteurs, de la mise en scène, des costumes ou des éclairages, tout a été porté au plus haut niveau et a contribué à offrir au public un spectacle véritablement éblouissant.
On est transporté, dès les premières notes, par le travail du metteur en scène, Vincent Tavernier. Dans une église, entièrement plongée dans l’obscurité, Jean-Baptiste et ses apôtres arrivent des dernières travées, chichement éclairés par de petites lanternes et progressent jusqu’à la scène. Cette pénombre crée une ambiance intimiste et établit un lien unique entre chaque auditeur et la musique.
Paul-Antoine Bénos Dijan, ouvre la marche de sa belle voix de contre ténor, et place, d’entrée de jeu, la barre très haut, c’est simplement magique ! La réplique lui sera donnée pendant près de deux heures par l’excellent Olivier Dejean, en Hérode rongé d’indécision et de doute comme par Gaia Petrone, en émouvante et vénéneuse Hérodiade. Dans des rôles plus en retrait, Alicia Amo Prieto alias Salomé et Le conseiller, Artavazd Sarygsan, ne dénotent en rien et offrent une prestation exempte de reproches.
S’il convient que le plumage soit à la hauteur du ramage, le costumier Erick-Plaza-Cochet est également digne d’éloges. Ses costumes étincelants, chargés d’or et de brocarts sont époustouflants. Hérode, semble un souverain oriental constellé de pierreries. Chaque tenue nous indique avec intelligence le statut des différents personnages et l’humilité apparente de la robe de saint Jean-Baptiste ne lui en confère pas moins une forme différente de majesté.
L’étonnante structure a deux niveaux créée par Claire Niquet qui figure au centre de la scène aura elle aussi une importance symbolique de premier ordre. Si au cours du premier acte Hérode nous harangue de la partie supérieure, c’est au saint que reviendra cette place lors du second. Nous assistons, d’une certaine façon à l’inversion des symboles et la dimension spirituelle prend le pas sur la dimension charnelle.
Tout ce travail est porté par une très belle musique, que l’ensemble « Le banquet céleste » et son chef Damien Guillon exécutent avec précision. Le contre-ténor rennais, dirige du clavecin le groupe qu’il a créé et les sonorités particulières de ces instruments anciens nous font voyager avec délice vers de lointains paysages. Pas de quoi vraiment s’étonner, puisqu’il avait été l’artisan d’un assez beau succès, porté sur disque, avec l’œuvre de Antonio Caldara, « Maddalena ai pie di cristo », donné à Rennes en octobre 2017.
N’oublions pas pourtant le principal intéressé, Alessandro Stradella. Né à Bologne en juillet 1643, il meurt assassiné à Gènes le 23 février 1682. Assassiné… ? la vie pour le moins chaotique, et c’est le moins qu’on puisse dire, de ce personnage haut en couleur est sans nul doute l’explication de cette fin brutale. Impliqué dans de vilaines affaires d’escroqueries, d’enlèvements, de détournements de belles et jeunes élèves, il semble que les scrupules ne l’aient guère étouffé. Cela ne l’empêche pas dès l’âge de 20 ans, d’être un musicien reconnu et même tenu en haute estime. On le considère comme le créateur de la forme musicale « concerto grosso », il écrira prés de 200 cantates, des oratorios, des opéras, des sonates, des symphonies, et malgré cela ne laissera pas dans l’histoire musicale une trace aussi importante que ses contemporains Arcangelo Corelli ou Antonio Vivaldi.
La bonne nouvelle c’est que cette remarquable production de l’opéra de Rennes et d’Angers Nantes opéra partira dans les mois et années à venir en tournée, et le même plaisir que celui que nous avons ressenti sera proposé à d’autres publics. Alain Surrans, directeur d’Angers Nantes opéra, et Matthieu Rietzler , qui vient de prendre ses fonctions en tant que directeur de l’opéra de Rennes, avaient légitimement quelques motifs de se réjouir.
Au-delà du succès artistique que ne manquera pas de recevoir cette coproduction, elle a été l’occasion de mettre en place de façon très pratique, les synergies qui permettront dans l’avenir une fructueuse collaboration entre ces deux maisons. Voir fonctionner en parfaite entente, les techniciens d’horizons différents a été sur un autre plan, un réel motif de satisfaction et d’espoir pour l’avenir.
A la sortie de la cathédrale bien des yeux brillaient d’étonnement et d’admiration, et particulièrement ceux des élèves de la section musicale du lycée l’Assomption, venus nombreux, dans le cadre de l’action culturelle menée par l’opéra de Rennes, sous la houlette de leur professeur, assister à une soirée qui restera gravée dans les mémoires.