Laurent Korcia, balayant rapidement, les craintes d’une annulation, a mis en émoi un TNB bondé. En synergie avec un Orchestre symphonique de Bretagne et un Darrell Ang en grande forme. Et un invité de marque, le Stradivarius Zahn…
Arrivant de Saint Malo l’avant veille, les nouvelles allaient bon train. La rumeur annonçait la défection de Laurent Korcia suite à une malencontreuse rage de dents. Renseignements pris, cette inquiétante information était confirmée aussi nous sommes nous rendus au TNB avec un peu d’inquiétude mais sans y croire vraiment. Miracle de la pharmacopée et volonté farouche de notre violoniste, les doutes étaient balayés et notre théâtre Breton, plein comme un œuf, frémissait d’impatience à l’idée d’accueillir un des plus remarquable violoniste Français.
Bien sur l’idée de revoir pour une de ses dernières prestations notre directeur artistique Darrell Ang nous motivait aussi, mais la vedette revenait évidement à Laurent Korcia, auréolé de nombreuses et méritées récompenses. Au fait, vous vous demandez peut-être comment est le bonhomme? Permettez nous d’éclairer votre lanterne. Souffrant d’un mal similaire, (celui de la cigarette), nous nous sommes retrouvé sur le même trottoir, face au TNB, afin de sacrifier à cette coupable passion en bavardant à bâtons rompus. Principale info, quoique habitant à Paris Laurent Korcia a reconnu ressentir un certain attrait pour la Bretagne, il a trouvé l’accueil agréable et non dénué d’une certaine authenticité. Alors pas de problème Laurent, vous êtes le bienvenu !!
Difficile pourtant de tirer de façon nonchalante sur ce petit tube de poison alors même qu’à cinquante centimètres, notre virtuose tient à la main un étui contenant son violon ! Oui, juste à côté, le saint Graal de la lutherie sous la forme d’un Stradivarius de 1719, le « Zahn », mis à sa disposition gracieusement par le groupe LVMH. C’est un instrument plutôt puissant mais étonnamment capable de continuer à vibrer de façon claire et parfaitement audible même lorsque l’instrumentiste l’effleure à peine.
Laurent Korcia ne se contentera pas de l ‘effleurer, et ses doigts courant sans discontinuer sur la touche d’ébène nous offrirons une démonstration éblouissante de sa dextérité. Il aura choisi pour cela des œuvres tout à fait adéquates lorsque l’on veut démonter sa virtuosité. Le concerto pour violon en un mouvement d’après le concerto pour violon et orchestre n°1 op. 6 de Paganini, de Fritz Kreisler, et l’opus 13 pour violon de Paganini d’après Tancrède de Rossini. De toute façon lorsque l’on évoque la virtuosité au violon le nom de Nicolo Paganini, est invariablement cité. Étourdissant virtuose dés l’age de 15 ans, il est aussi un véritable créateur en terme de technique violonistique. Son instrument préféré fut un Guarnèrius Del Jesus, « el canonne », mais il appréciât de jouer sur un violon français offert par le grand luthier de Mirecourt Jean-Baptiste Vuillaume.
Si l’on ajoute à cela deux « Amatis » cela ne nous empêchera pourtant pas d’émettre un petit bémol. En effet, si ces œuvres permettent de mettre en évidence les qualités techniques des instrumentistes, et en cela Laurent Korcia nous a parfaitement convaincu, c’est souvent la musicalité qui en pâtit. On est impressionné mais pas toujours ému. Amusés nous l’avons pourtant été avec l’excellente ouverture du « Barbier de Séville » délivrée par un Orchestre symphonique de Bretagne primesautier et rafraîchissant mais qui n’oublie pas la précision et l’application dans son travail. Pur moment de bonne humeur teinté d’ironie, il a permis d’ouvrir la route de façon agréable.
L’OSB, toujours soucieux de laisser un peu de place à la création, c’est une œuvre de l’artiste coréenne Diana Soh qui nous est proposée. Inspirée par les impressions physiques très particulières qu’elle a vécu pendant sa grossesse, l’auteur essaye de transcrire en sons et en rythmes ce ressenti si intime. Il en ressort selon ses propres termes : « une pièce énergique, qui évolue dans un monde étrange et intime de couleurs constamment changeantes ». Manifestement contemporaine, cette écriture musicale semble pourtant laisser le public rennais un peu décontenancé. Mais, par habitude, nous savons que Marc Feldmann, lorsqu’il nous propose des choses très nouvelles, ne manque jamais de nous rassurer ensuite, avec des valeurs sures. Pas de surprise donc de voir notre soirée se clôturer par une symphonie de Franz Schubert, la n°3 en ré majeur, Deutch 200, composée en neuf jours, du 11 au 19 juillet 1815, c’est-à-dire la même année que le célébrissime « Roi des aulnes ». Elle sera l’occasion de mettre en valeur le pupitre des vents et plus spécifiquement la clarinette, soutenue par la flûte traversière dans des phrases musicales de pure beauté. Mozart semble bien présent, le hautbois énonçant un second thème, rappelle sa prédilection pour ce bel instrument. Quelle étrangeté de penser que cette œuvre de 1815 ne sera offerte au public que le 19 février 1881, soit prés de 66 ans après sa création.
Cette « carte blanche » laissée à Laurent Korcia dans le cadre des concerts « essentiels »aura donc signé un nouveau succès pour l’OSB. Faire venir des instrumentistes de ce niveau suppose des partenaires auxquels il est juste de manifester de la reconnaissance et Marc Feldmann avec raison ne manquera pas de le faire . Grâce à ces gestes de générosité le public rennais a eu droit à une démonstration violonistique de très haut niveau. Compliments aussi à Laurent Korcia pour avoir surmonté un malaise encore bien présent quelques instants avant de monter sur scène. Il avouera avoir douté jusqu’au dernier instant de sa capacité à remplir son contrat, mais également avoir été comme régénéré dés les premières notes, submergé par une énergie renouvelée. C’est sans doute cela qu’on appelle le miracle de la musique.