Ce mois de février risque d’être crucial pour l’avenir d’une partie des agriculteurs français et même européens. En effet, la future Politique Agricole Commune est en train de se décider à Bruxelles. Mais n’est-il pas déjà trop tard alors que des amendements ont déjà vidé le projet de son contenu bio, tandis que le marché explose ?
Jusqu’à présent, les subventions valorisaient les grandes exploitations et l’agriculture intensive. En effet, nous trouvions en tête du classement : le groupe volailler Doux, aujourd’hui démantelé, ou encore le groupe lavalois Lactalis ainsi que différents organismes caritatifs qui bénéficient du Plan Européen d’Aide aux Démunis (préservé pour 2014, mais fortement réduit de 40 %).
Les aides apparaissent très disparates selon les filières
L’INSEE rapporte qu’elles s’élèvent à 42 300 euros en moyenne pour les exploitations de grandes cultures contre moins de 10 000 euros pour celles d’horticulture, viticulture ou arboriculture fruitière. En 2006, 20 % des exploitations perçoivent 43 % de l’ensemble des aides tandis que, durant les années 2004 à 2006, la part des subventions dans le revenu dépasse très nettement 100 % pour certaines exploitations (spécialisées en production de céréales, oléagineux et protéagineux, en production bovine orientée vers la viande et en production ovine) contre moins de 10 % – maraîchage, fleurs et viticulture d’appellation.
Cette part des subventions n’a fait qu’augmenter durant les années 2000. Elles font figure de perfusions au bénéfice d’exploitations qui ne sont pas toujours les plus malades… La France en est le principal bénéficiaire, tout en étant l’un des plus gros contributeurs (40 % du budget européen).
La future PAC devait être plus « verte »…
Malheureusement, au fil des modifications et amendements soutenus par Stéphane Le Foll, ministre de l’Agriculture, elle s’oriente de plus en plus vert du green… washing. En premier lieu, on soulignera l’opposition de la France à une mesure soutenue par beaucoup d’Européens : un minimum de 25 % des fonds européens est consacré à des mesures agroenvironnementales en soutien à l’agriculture biologique et aux zones soumises à des contraintes naturelles. La France, en retard dans ce domaine, avait-elle peur de perdre trop de subventions ?… Pourtant des plafonnements de subventions ont été votés pour rendre le financement le plus équitable possible. Grâce à l’imposition de dérogations à chaque avancée en direction d’une agriculture durable (la rotation des cultures, le maintien des pâturages et de zones répondant à une fonction écologique), 82 % des exploitations agricoles européennes seraient ainsi exemptées de ces bonnes pratiques environnementales à caractère contraignant, certes, mais valorisantes à moyen et long terme.
Dernière chance : l’examen par le Parlement
Ce détricotage progressif d’une PAC plus verte et en phase avec les défis mondiaux est encore susceptible d’être contrecarré par un examen du Parlement européen du 11 au 14 mars prochain. Beaucoup d’Européens attaché à pérenniser une agriculture renouvelable et saine pour les générations futures en attendent beaucoup. En l’état du texte, aucune aide ne vient soutenir la filière Bio ou l’agriculture de proximité – ce qui pourtant bénéficierait aux plus petites exploitations, les plus fragiles actuellement. Les contours actuels du texte évoquent seulement « 30 % du plafond national annuel des paiements directs » dédiés « au financement de pratiques agricoles bénéfiques au climat et à l’environnement ».
Le montant total de la PAC est lui aussi en discussion, car beaucoup aimeraient que le montant diminue. Le Budget de l’UE étant en diminution de 14 %, on peut supposer qu’il en sera de même pour ce secteur. Paradoxalement, les amendements adoptés ne vont pas dans ce sens puisqu’ils augmentent la note de près de 7 milliards, selon les Verts européens, par rapport aux propositions initiales.
Hollande s’oppose à une agriculture repensée et durable
Plus grave encore, François Hollande a réaffirmé le 5 février dans son discours au Parlement européen, qu’il fallait privilégier l’agriculture animale face à l’agriculture végétale, la première étant selon lui en danger. Les maraîchers ont diversement apprécié…
Au demeurant, la France affirme bien s’en tirer malgré la diminution du budget européen, voté le 7 et 8 février 2013. Et pour cause : on déshabille Pierre pour habiller Paul. Bio, Innovation et Education semblent encore sacrifiés au profit des lobbies de l’agriculture intensive. Une agriculture animale, qui consomme 10 fois plus d’eau pour produire la même quantité de protéines que l’agriculture végétale, pollue les sols. D’où la nécessité d’investissements dans l’innovation, dans le recyclage des rejets toxiques, dont certains pourraient permettre de produire de l’énergie.
Surtout, ce sont encore des filières de l’agroalimentaire qui jonglent avec les étiquettes et trompent le consommateur sur la véritable origine des produits avec des informations trompeuses et des mélanges. A la clé, quelques pour cent de profit en plus. Des marges qui sont l’objet de spéculations par des traders spécialisé dans le marché agricole comme d’autres sont dans la finance.
Bref, alors que 82 % des poulets français n’ont aucun accès à l’extérieur, que 99 % des lapins restent immobiles dans des clapiers minuscules, que prospèrent de trafics par l’intermédiaire de douteux intermédiaires entre producteur et consommateur (dont le scandale Findus n’est que la partie visible), pendant ce temps-là, l’Europe veut aussi imposer le puçage des animaux d’élevage. Une mesure qui ne règlera en rien les trafics et spéculations, mais conforte l’image d’un animal-objet industriel.
Beaucoup regretteront que le gouvernement Ayrault et son ministre de l’agriculture contribuent à cette fuite en avant vers une agriculture peu respectueuse des animaux, des terres, des producteurs et des consommateurs. Il n’est pas trop tard pour faire pression sur nos députés européens afin de contrecarrer cette vision passéiste et suicidaire pour des millions d’emplois et des milliards d’animaux.