FESTIVAL DU CHANT DE MARIN. RETOUR SUR L’EDITION 2019

Du 2 au 4 août 2019 avait lieu la 30ème édition du festival du Chant de Marin à Paimpol. Depuis sa création en 1989, il ne cesse de confirmer sa popularité et fut porté, cette année encore, par un très large éventail d’artistes venus du monde entier. Voici nos impressions sur les prestations de quatre de ses têtes d’affiche…

Les 2,3 et 4 août dernier, le Festival du Chant de Marin a fêté ses 30 ans comme il se doit, à l’occasion de son édition 2019. Parallèlement aux grands rendez-vous tels que le Festival Interceltique lorientais ou encore les Vieilles Charrues carhaisiennes, le festival de Paimpol conserve une année de plus sa place de 4e événement de l’été breton en fréquentation. Il dut même faire face à un afflux imprévu de 165 000 festivaliers, qui investirent son port dès le premier jour.

Le temps y était également au beau fixe et permit à ces nombreux participants d’admirer les gréements amarrés sur les quais et de déambuler sur les sept scènes que compte le site du festival. Elles accueillirent ainsi 160 groupes et près de 2000 artistes qui valorisèrent non seulement le patrimoine musical breton, mais également des esthétiques issues des quatre coins du globe. La plus grande d’entre elle, la scène Stan Hugil, a vu se succéder plusieurs têtes d’affiches aux répertoires très différents les uns des autres, dont nous vous avons ici sélectionné quatre performances.

PINK MARTINI

pink martini chant de marin

Pink Martini et Storm Large au Festival du Chant de Marin.
Photo: source FacebookLe vendredi 3 août, peu avant 21h, le groupe Pink Martini a fait son entrée sur la scène Stan Hugil. Fondé en 1994 à Portland aux Etats-Unis, il était accompagné ce soir-là par Storm Large, vêtue d’une éclatante robe cocktail rouge et qui a remplacé la chanteuse China Forbes pour leur tournée européenne.

Le collectif a immédiatement commencé son concert par « Amado Mio », chanson de Doris Fisher qu’ils avaient reprise sur leur album Sympathique (1997) et qui a donné le ton pour tout le spectacle. Ce dernier, pour l’essentiel, fut empreint d’une envoûtante sensualité et mit à l’honneur des chansons principalement de style jazzy ou aux influences afro-latines. Des éléments fondateurs dans l’identité musicale de Pink Martini et qui fait leur charme depuis plus de 20 ans. Ainsi, « Donde Estas, Yolanda » est fondée sur la rythmique de la plena portoricaine, avec laquelle dialogue le jeu décalé du pianiste Thomas Lauderdale. À l’inverse, le style de « Hang On, Little Tomato », à la pulsation syncopée, se rapporte plutôt au jazz New Orleans (issu de la Nouvelle-Orléans) et au blues “classique” des années 20.

La fantaisie était également au rendez-vous pour l’occasion, comme en attesta l’arrivée fracassante de la chanteuse australienne Meow Meow. Cette dernière, costumée en diva de cabaret et secondée de deux « assistants », a livré une mise en scène pour le moins hilarante pendant sa reprise du « Ne me quitte pas » de Jacques Brel. Suite à cela, elle a également démontré toute sa sensibilité en interprétant « Hôtel Amour », morceau éponyme de son album commun avec Pink Martini.

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Pink Martini et Storm Large au Festival du Chant de Marin.
Photo: Didier Cohen

Enfin, cette prestation haute en couleur s’est achevée par la chanson très attendue « Sympathique (Je ne veux pas travailler) » (adaptation du poème de Guillaume Apollinaire), au rythme swing toujours aussi savoureux et portée par la voix lyrique de Storm Large en duo avec Meow Meow. Les festivaliers n’ont donc pas boudé leur plaisir et mirent beaucoup de cœur à la reprendre à l’unisson, dans la joie et la bonne humeur. En conclusion : un spectacle qui allia la sensibilité et une pointe d’humour à une certaine élégance, des éléments qui ne manquèrent pas d’enchanter le public…

GILBERTO GIL

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Gilberto Gil au Festival du Chant de Marin.
Photo: Didier Cohen

Le samedi 2 août à 21h, la venue de Gilberto Gil sur la scène Stan Hugil s’est faite un peu attendre. Précédé par ses musiciens, le musicien brésilien de 77 ans est finalement arrivé, tout de blanc vêtu et arborant un large sourire. Il commence alors son concert par « Ok, ok, ok », chanson titre de son tout dernier album sorti cette année.

Ce qui frappe immédiatement, c’est sa voix de velours qui, en presque 60 ans de carrière, semble avoir gardé toute sa dimension mélodieuse. Tout en participant au charme caressant des chansons de Gilberto Gil, elle ne manque pas de s’insurger contre les travers et d’aborder les troubles que connaissent le Brésil et le monde actuels. Ainsi dans « Ok, Ok, Ok », il dénonce les dérives conservatrices et extrémistes qui fleurissent sur les réseaux sociaux, en partie responsables de l’élection de l’actuel président brésilien Jair Bolsonaro.

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Gilberto Gil et ses musiciens au Festival du Chant de Marin.
Photo: Didier Cohen

Par ailleurs, la présence même de ses musiciens et chanteurs a démontré que sa musique est également une affaire de famille : parmi eux, Gilberto Gil a pu compter non seulement sur son propre fils, le guitariste Bem Gil, mais également sur les belles voix de sa fille Nara et de sa petite fille Flor, qui l’ont accompagné sur scène sur quelques chansons. Il n’a d’ailleurs pas manqué d’exprimer son affection et sa tendresse envers ses proches, notamment à travers le morceau « Sereno », portant le nom de son petit-fils.

Si beaucoup de chansons de Gilberto Gil conservent certains éléments fondateurs de la bossa nova (notamment sa couleur jazzy et ses décalages rythmiques), sa musique y mêle aussi d’autres procédés, dont certains sont plutôt issus de la samba. D’autres proviennent également d’esthétiques extérieures aux répertoires musicaux brésiliens. De fait, ses sections de cuivres y assuraient très souvent un rôle de ponctuation qui rappelaient tour à tour le jazz, la funk et la soul.

Certaines des chansons de l’artistes, qui reste fasciné par les différentes musiques de la diaspora africaine, témoignent également de ses influences puisées dans le reggae. Il s’inspira effectivement de ce style dès les années 70, entre autres dans son album Realce (1979). Pendant son passage au festival, elle s’est manifestée, entre autres, dans son interprétation du morceau « Extra » , qu’il joua pendant un rappel chaleureusement réclamé par les festivaliers. Ces derniers, la plupart du temps, ont écouté presque religieusement le grand musicien, mais n’hésita pas, pendant les morceaux les plus dansants, à frapper des mains en rythme. Certains allèrent même jusqu’à se déhancher plus vigoureusement pendant la toute dernière chanson, l’entraînante « Toda Menina Baiana » que Gilberto Gil a introduite par un jeu d’appel et réponse avec les festivaliers. À l’issue de cette performance, il reçut une véritable ovation de la part des spectateurs. Et on peut dire qu’elle fut méritée…

SOVIET SUPREM

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Soviet Suprem (R-Wan et Toma Feterman, alias John Lénine et Sylvester Staline).
Photo Jean-Luc Bertini

Dimanche à 19h, sur la scène Stan Hugil, les Soviet Suprem ont installé une ambiance véritablement explosive auprès des spectateurs, dont nombre d’entre eux faisaient déjà parti des convertis. Ce duo déjanté, mais non moins talentueux, est formé de R.Wan du groupe Java et de Toma Feterman de La Caravane Passe. Mais sous leurs costumes de généraux soviétiques, ces derniers répondent ici aux doux noms respectifs de Sylvester Staline et John Lénine. Leur mission pour cette soirée: imposer la « dictature du dancefloor » pour diffuser « L’internationale », leur propre style de musique qui, dans un autre monde, aurait envahi la planète si l’URSS avait gagné la Guerre Froide.

S’il en fut autrement pour l’Union Soviétique, l’objectif culturel du duo, cependant, semble avoir été atteint. En effet, les joyeux drilles n’ont pas cessé d’électriser le public et ce dès leur première chanson « J’débarque », issue de leur premier album L’internationale (2014). À travers leurs morceaux, ils manient de façon réjouissante le second degré et dévoilent un univers savamment décalé. Souvent allié à la forme du hip-hop parodique, il est parfois proche de celui de rappeurs comme Hippocampe Fou. Au passage, ils ont également pris un malin plaisir à étriller les personnalités politiques de tout bord, qu’elles viennent de Russie (« Vladimir ») ou d’ailleurs.

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Yougo Chavez et Toma Feterman (alias Sylvester Staline) au Festival du Chant de Marin.
Photo: Kévin Antoine

Leurs instrumentaux, quant à eux, sont maniés pour l’essentiel par le fidèle DJ Croute Chef. Ils combinent de façon plutôt réussie les esthétiques de l’électro et du hip-hop avec les musiques balkaniques et d’Europe de l’Est, que Toma Feterman avait déjà exploré avec La Caravane Passe. Ainsi dans le morceau « J’débarque », les mélodies au saxophone de Yougo Chavez semblaient emprunter aux modes communs aux musiques klezmer et balkaniques. John Lénine et Sylvester Staline ont également offert aux spectateurs leur propre « Valse Soviet », qui allie le rythme ternaire classique de la valse à une lente rythmique trap (courant de rap popularisé dès le début des années 2010) plus actuelle. On a également apprécié, dans le morceau « Bolchoï », sa rythmique ragga énergique rappelant des artistes comme Sean Paul.

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Toma Feterman alias Sylvester Staline au Festival du Chant de Marin.
Photo: Kévin Antoine

Dans cette atmosphère surchauffée, c’est sur une adaptation électro et survoltée de l’hymne « L’internationale » que les Soviet Suprem ont conclu leur concert. Mais leur mission est loin d’être terminée et aussi ont-ils donné rendez-vous aux festivaliers convaincus, pour de nouvelles aventures…

Bernard Lavilliers

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Bernard Lavilliers au Festival du Chant de Marin.
Photo: Kévin Antoine

C’est en toute fin de soirée qu’eut lieu la prestation très attendue de Bernard Lavilliers sur la grande scène du festival. En plus de 50 ans de carrière, le Stéphanois a pu créer de nombreuses chansons dont il a inscrit certaines dans la mémoire collective. Comme on a pu le remarquer, ces morceaux sont structurés autour de diverses trames musicales, lesquelles portent très souvent les traces des différents voyages de ce baroudeur passionné et presque infatigable.

C’est ainsi par « Stand The Ghetto », son grand succès reggae, qu’il choisit de commencer sa performance, non sans dévoiler le contexte jamaïcain de sa création. Sortie en 1980 sur son album O’Gringo, il en livra une interprétation enrichie de sonorités électroniques au synthétiseur et d’un haletant solo de basse. D’un point de vue musical, son concert fit la part belle aux styles jamaïcains du reggae ou encore du rocksteady (on a pu l’entendre dans « État des lieux » et « Solitaire ») et mit également à l’honneur les esthétiques afro-latines, notamment dans « La salsa » et « Muse ».

Tout au long de cette performance, Bernard Lavilliers a démontré qu’il a gardé son talent pour chanter “des causes perdues sur des musiques tropicales”, comme il le déclara un jour à François Mitterrand. Il exprima d’ailleurs sa reconnaissance à ses spectateurs qui, s’ils étaient sensibles à ces sonorités parfois châtoyantes et chaloupées, n’en avaient pas moins « un cerveau entre les oreilles ». On constate d’ailleurs que dans nombre de ces chansons, le contenu est lourd de sens et que leurs thématiques n’ont malheureusement rien perdu de leur actualité. Ainsi dans « État des lieux », composée pour l’association Greenpeace et sortie en 2005, il dressait le triste constat des dégâts de l’activité humaine sur l’environnement. Il n’a également pas hésité à aborder des sujets de société troubles, incarnant dans « Bon pour la casse » un employé de bureau brutalement licencié par son employeur. Parmi les plus récentes, sa chanson « Croisières méditerranéennes » est peut-être l’une de celles dont le propos est le plus terrible. Elle évoque, en effet, le sort tragique que connaissent encore nombre de migrants au moment de franchir la porte de l’Europe. De tempo lent, elle était ici portée par une instrumentation profonde comme les eaux de la Méditerranée, enveloppante et dominée par les sonorités de cordes jouées au clavier.

Pour conclure son concert, il donna une interprétation poignante du morceau « Les mains d’or », dont le propos résonne encore aujourd’hui. Rendant hommage aux travailleurs que les fermetures d’usines laissent désœuvrés, l’artiste la dédia à son père, qui fut ouvrier à la Manufacture d’armes de Saint-Étienne. Et peu avant la fin de la chanson, son refrain fut repris en chœur et de façon presque solennelle par le public de Paimpol. Le pari semble ainsi réussi pour l’artiste, résolument engagé à garder les consciences en éveil.

Le festival du Chant de Marin vous donne rendez-vous les 13, 14 et 15 août 2021, pour sa 31e édition…

ASSOCIATION FESTIVAL DU CHANT DE MARIN
12, rue du 18 Juin – 22503 PAIMPOL

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Pierre Kergus
Journaliste musical à Unidivers, Pierre Kergus est titulaire d'un master en Arts spécialité musicologie/recherche. Il est aussi un musicien amateur ouvert à de nombreux styles.

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