Comme un travelling, un panorama des musiques norvégiennes est le bienvenu alors que Rennes vient de vivre une semaine à l’heure norvégienne avec le festival Travelling Oslo*. Pousser les portes de toutes les cultures, ouvrir tous les canaux sans restriction, Unidivers aime cela – à l’instar du magasin de disques rennais It’s Only. La preuve : le disquaire Richard Dick a mis sa main en musique pour qu’on ne perde pas le Nord…
Alors que je réfléchissais à ce panorama des musiques norvégiennes, les images qui me semblaient les plus représentatives de cette contrée nordique étaient les fjords, les nuits sans fin (ou les journées, selon la saison), les aurores boréales, le saumon et l’aquavit. Pour la musique, j’en étais resté à l’apparition de la synth-pop de A Ha dans le courant des années 80 et aux frasques et outrances du Black Metal local dans les années 90. C’est en grattant un peu que je me suis souvenu avoir vu (aux Transmusicales, entre autres) les trépidants Kakkmaddafakka ou les Dj Todd Terje et André Bratten. Une fois ces a priori musicaux définitivement tombés, j’ai pu entamer ce tour d’horizon des musiques norvégiennes actuelles.
L’un des genres emblématiques où se sont distingués les Norvégiens reste le Métal et principalement le Black-Metal. Au sein de la nation emblématique du pacifisme s’est développée dans les années 90 une musique violente et outrancière, allant chercher son inspiration dans l’histoire médiévale scandinave. Ces groupes déclinent allègrement l’imagerie viking (style vestimentaire et peintures faciales – corpse paint) afin de renforcer le côté obscur de leur musique. Les thèmes généralement déclinés sont l’hiver, le froid, la nuit, l’obscurité, le nationalisme, le paganisme et le satanisme. Ce dernier aspect a été accentué par les actions de certains adeptes de cette musique (profanation de cimetières et incendies d’églises notamment). Parmi les groupes phares : Mayhem, Emperor, Darkthrone, Dimmu Borgir et, surtout, Burzum (Ténèbres).
Poursuivons avec d’autres gardiens de l’Histoire norvégienne beaucoup plus calmes. La musique traditionnelle se distingue par 2 courants principaux selon sa provenance :
Au sud, la musique norvégienne est orientée vers la danse et le chant où domine un instrument national, le Hardingfele, croisement entre un violon et une vielle (5 cordes supplémentaires répondent en écho aux 4 cordes principales). Parmi les artistes les plus réputés, on peut citer Knut Buen.
Au nord, héritée de la culture lapone, la musique samie, principalement a cappella et dont l’ambassadrice la plus célèbre est Mari Boine Persen. À l’art du Joik (chant de gorge rythmé par un tambour rituel), elle a su intégrer des sonorités contemporaines (guitare et basse électrique et/ou acoustique, synthétiseur) et des influences musicales à la fois actuelles (pop, rock, jazz…) et ethniques d’autres peuples (percussions africaines, flûtes andines, charango…)
S’il y a un style musical où les artistes norvégiens ont su imposer leur marque de fabrique, c’est bel et bien le Jazz, par le biais d’un des artistes norvégiens les plus influents. Jan Garbarek, ce saxophoniste, adepte de Coltrane, en mélangeant des éléments de musique traditionnelle et réadaptant les sonorités du jazz originel à son environnement (atmosphère froide et contemplative rappelant les grands espaces glacés) a su créer un courant emblématique, devenu la marque de fabrique du label allemand ECM. L’ensemble des productions de ce label s’est fortement inspiré de l’idée du Nord (luminosité, paysages romantiques, sens de l’espace, culture)
Outre la forte proportion d’artistes norvégiens sur ce label (Garbarek, Terje Rypdal, Tord Gustavsen…), il est à noter que le studio le plus utilisé est situé à Oslo et que l’ingénieur du son le plus emblématique est lui-même norvégien (Jan Erik Kongshaug). Les artistes norvégiens se sont également illustrés dans un autre courant du jazz. Dans le milieu des années 90, Niels Peter Molvaer, trompettiste influencé par le travail de Miles Davis, réalise la symbiose parfaite entre jazz et musique électronique jetant ainsi les bases du Nu-Jazz. Il sera suivi par le pianiste Bugge Wesseltoft ou le groupe Jaga Jazzist.
Il y a encore une trentaine d’années, l’ensemble de la production musicale en provenance de Scandinavie nous paraissait bien mièvre et peu digne d’intérêt (Abba, Aqua, Ace of Base, Roxette ou Aha). Il a fallu attendre le milieu des années 80 et l’arrivée des Islandais de Sugarcubes pour se rendre à l’évidence : il se passait quelque chose dans ces froides contrées. C’est ainsi qu’un groupe comme Bel Canto a profité de cette brèche ouverte pour nous faire découvrir son univers glacé et élégant proche de Dead Can Dance ou Cocteau Twins, bientôt suivi par les électriques et sombres Madrugada, sorte de Bad Seeds de l’hémisphère Nord.
Aujourd’hui, les artistes norvégiens distribués en dehors de leurs frontières sont non seulement nombreux mais également talentueux. Qu’il s’agisse de Sondre Lerche, Minor Majority, Thomas Dybdhal ou Ane Brun, la pop tour à tour froide et enjouée de ces nouveaux Vikings a fini par envahir l’Europe. Le plus brillant ambassadeur de ce courant se nomme Erland Oye, tour à tour membre du groupe de folk-pop mélancolique Kings of Convenience, créateur du projet Pop-Funk Whitest Boy Alive, artiste electro ou « soft rock » en solo.
Enfin, les Norvégiens (à l’instar des autres Scandinaves) ont su s’approprier les sonorités froides de la musique électronique que ce soit en Classique (ou plutôt Musique Contemporaine – Arne Nordheim « Katarsis » -1962) et en Jazz mais également en Pop par des groupes comme Bel Canto et plus récemment Casiokids ou Royksopp.
Apparus à l’aube des années 2000, les producteurs Lindstrom et Prins Thomas sont les fers de lance de la scène dance norvégienne et du courant Space-Disco (mélange d’electro, psychédélisme et krautrock). Leurs poulains, Todd Terje et Andre Bratten récemment vus aux Transmusicales perpétuent ces sonorités issues du Disco et réadaptées à la sauce nordique.
La voie est désormais ouverte pour découvrir d’autres styles musicaux en provenance de Norvège, comme la fusion rock-pop-funk de Kakkmaddafakka, la pop symphonique et psychédélique de Team Me, le blues-funk de Bjorn Berge, ou encore le fruit de la mixité de ce pays ouvert aux autres : le rap avec le duo Madcon (sud-africain et éthiopien) et le R’nB de Nico & Vinz (Ivoirien et Ghanéen) qui ont trusté le haut de nombreux charts à travers le monde ou encore le reggae de Ras Nas (Tanzanie).
Pour finir, vous trouverez ci-joint une playlist qui vous permettra de découvrir en musique cette production terriblement éclectique où se côtoient Folk, Pop, Rock, Electro, Métal et Jazz.
Et si vous souhaitez vous plonger totalement dans une atmosphère nordique, je vous recommande de visionner le très hypnotique projet d’un collectif de Dj norvégiens construit autour du voyage en train Bergen-Oslo (mention spéciale pour la partie 5 traversant des contrées connues pour avoir abrité des scènes de « L’Empire contre-attaque »)
En image de une, photo du Festival de musique de glace à Geilo en Norvège…
* Cette étude de Richard Dick a été préparée pour une lecture publique à la demande de la bibliothèque du Triangle dans le cadre du festival Travelling.