Avec Pantruche, la maison d’édition Les Lapidaires ressuscite pour son acte de naissance la plume de Fernand Trignol, homme de cinéma et auteur français resté célèbre pour son art de l’argot. Paru pour la première fois en 1946, ce petit livre autobiographique est le témoin vivant du Paris de la première moitié du XXe siècle. Loin des images d’Épinal du Paris bourgeois de la Belle Époque, l’auteur nous introduit à une vie de truanderie et de débauche franchouillarde qui l’a conduit jusqu’au chevet des géants du cinéma français.
C’est un drôle de petit bouquin que nous recevions à la rédaction d’Unidivers il y a quelques semaines. Pantruche, de Fernand Trignol, est un objet de curiosité à la fois historique, linguistique et littéraire, un morceau du grand roman de Paris et un aperçu de l’histoire du cinéma français. Sous-titré Les Mémoires d’un truand, c’est le premier livre de son auteur, publié en 1946. Il s’agit de l’autobiographie d’un gamin de Paris qui roule sa bosse de petite frappe des faubourgs aux studios du jeune cinéma parlant, se liant sur son chemin à Léon Trotsky, Georges Courteline, Sacha Guitry, Jean Gabin ou Arletty.
C’est avec ce bouquin obscur d’un auteur méconnu, qui fut toutefois un petit succès de librairie à sa première sortie, que la jeune maison parisienne Les Lapidaires lançait son activité éditoriale courant 2020. « Ce n’est pas par hasard que nous avons choisi Pantruche ou les Mémoires d’un truand de Fernand Trignol (1896-1957) comme vaisseau amiral de notre maison. Pantruche, c’est un bijou… un bijou d’esprit à la française, regorgeant d’argot, de musicalité, de véhémence, écrit dans une langue morte et enterrée sous les décombres des faubourgs, et que nous nous devions de raviver ! », lit-on dans la présentation de l’ouvrage.
Si son nom est oublié aujourd’hui, Fernand Trignol a pourtant marqué son époque. Fin connaisseur des bas-fonds et spécialiste de l’argot salué par Louis-Ferdinand Céline, il devient consultant en réalisme pour le cinéma dans les années 1930, « conseiller technique du milieu et conseiller argotique pour les dialogues ». C’est lui qui engage pour la première fois Fernandel pour le film Paris-Béguin. À cette occasion, il devient aussi proche de Jean Gabin, qu’il accompagnera sur de nombreux films. C’est d’ailleurs le géant du cinéma français qui signe l’avant-propos de Pantruche : « j’ai jamais vu un nière [un type] comme toi pour jaspiner l’jar [parler l’argot] et pour raconter des histoires savoureuses et marrantes et qui sont pas du bidon, car tu les as vécues depuis trente-cinq piges que tu traînes sur le pavé parisien ».
En effet, sous ses dehors de récit de vie linéaire avançant, chapitre après chapitre, dans le parcours de son auteur, Pantruche est truffé d’anecdotes qui s’enchaînent, de portraits qui s’enchâssent et de décors atypiques qui font revivre le Paris populaire, celui des marlous, des apaches, des maisons de passe et des courses de Vincennes. « Les personnages que j’ai connus à cette époque dépassent tout ce que les romanciers et les scénaristes peuvent inventer. Bébé la Méthode était ainsi nommé parce qu’il était l’inventeur d’une méthode infaillible pour gagner aux courses », raconte Fernand Trignol.
Et c’est la langue, particulièrement, qui ressuscite cette époque. “Mézigue”, “nière”, “cave”, “tapin”, le style de Fernand Trignol respire l’argot parisien et le jargon de la pègre, ce maquis du langage si bien analysés par Victor Hugo dans Les Misérables. Un glossaire placé en fin d’ouvrage permet de se familiariser avec ce vocabulaire en partie disparu, mais que les amoureux de Michel Audiard sauront savourer.
Par nature impertinente, l’histoire de Fernand Trignol devient plus croustillante encore quand il commence à côtoyer le monde du cinéma, où ses talents de magouilleurs comme chef de figuration et sa connaissance du milieu seront très appréciés. Par l’écrivain et scénariste Francis Carco tout d’abord, pour le film Paris-Béguin (1931), par le réalisateur Jean Devaivre ensuite, pour Le Roi des resquilleurs (1930), et par bien d’autres ensuite. Il écrit même une partie de Fric-Frac (1939) d’Édouard Bourdet.
Là encore, Pantruche fourmille d’anecdotes à propos de cette industrie naissante pas foncièrement plus respectable que ceux qu’elle emploie. Elles dévoilent la farce sous l’illusion du 7e art, les galères de production, les besoins insensés de figuration. « Un soir, Julien Duvivier me demanda pour le lendemain matin un albinos et deux lépreux », raconte-t-il à propos du tournage de Pépé le Moko (1937).
Ainsi, sous ses airs de « forçat qui aurait trouvé la combine », Fernand Trignol fait figure de passeur, d’agent de liaison entre l’obscurité des bas-fonds et les lumières du cinéma. Éternel raconteur d’histoires, il deviendra finalement journaliste pour Paris-Soir, intervenant radio et écrivain, se surnommant lui-même, non sans humour, “le Sainte-Beuve nogentais”. « J’appartiendrai peut-être un jour à l’Académie, mais pas à la française, je n’en voudrais pas. Ces gars-là sont tous des caves. »
En 2015, France Culture diffusait une archive radio datant de 1950, l’interview d’un truand.
Pantruche ou Les Mémoires d’un truand de Fernand Trignol, 208 pages, Prix : 14 €
Disponible à l’achat sur le site des éditions Les Lapidaires.