Les super-héros n’ont jamais connu autant de succès ni rapporté autant d’argent que ces dernières années. Cette flambée est redevable aux blockbusters hollywoodiens qui leur ont ouvert une nouvelle audience. Pourtant, pour les vrais amateurs, ceux qui lisent les comics de longue date, le genre paraît aujourd’hui bien moribond… S’il peine à se renouveler, quelques pépites font exception. C’est le cas de la BD bretonne Paotr Louarn alias Fox Boy de Laurent Lefeuvre.
Le comic a connu son époque de gloire, qualifiée par ses exégètes de golden age, dans les années 40 quand Batman, Superman, Captain America luttaient contre l’axe du mal. Puis il a absorbé l’esprit contestataire et le psychédélisme des années 60, c’était le silver age qui a vu l’apparition de Spiderman et des Fantastic Four. Le genre a muri ensuite, devenant plus complexe et plus sombre pendant le bronze age, des années 70 à la fin des années 80 : des Uncanny X-men aux Watchmen. Depuis, les super-héros sont entrés dans leur dark age.
Les scénaristes sont à court d’idées. Soit ils optent pour une déférence soumise aux canons du silver age en proposant de vaines imitations des succès d’antan ; soit ils exploitent le cynisme ambiant et produisent, à la chaine, des versions « décalées » des personnages, toujours plus violentes et vulgaires. Peu de réelle innovation également chez les dessinateurs de l’actuelle génération, ils puisent avant tout leur inspiration dans la télévision et le cinéma. Ainsi, deux tendances se dégagent : certains tentent depuis les années 90 de singer les rondeurs élastiques des cartoons américains et dessins animés japonais en vogue ; d’autres s’épuisent dans un laborieux hyperréalisme, froid et dépersonnalisé, afin de capter le public des films plus habitué à voir des acteurs déguisés sur écran qu’à la lecture de bandes dessinées au graphisme stylisé.
Parfois, dans les marges de ce paysage éditorial un peu désolant, il arrive que de nouveaux créateurs parviennent, en francs tireurs, à retrouver le feu sacré. Ils réussissent à renouveler avec succès le mythe des super-héros. C’est le cas de Laurent Lefeuvre. Il propose au lecteur un jeune héros, adolescent rayonnant de fraicheur et de naïveté – comme il se doit. Il se nomme Paotr Louarn, le garçon-renard.
Ce comic raconte les premières aventures d’un super-héros actif dans la région Bretagne. On y apprend l’origine de ses super-pouvoirs occultes, on le voit sauter sur le métro Rennais, on assiste à son rendez-vous avec sa première fan, on découvre avec lui un laboratoire secret produisant des OGM, caché non loin des grèves de Locquirec dans le Finistère, on est transmuté avec lui dans la dimension ROA où il rencontre Moebius, on le voit aussi se désoler de ne pas encore avoir d’ennemis ! Que de moments de bravoure réjouissants dans ce comic, dont l’habile chapitrage renforce le suspense haletant ! « Vivement la suite, les amis ! »
Laurent Lefeuvre offre un dessin organique et tortueux. Il est agrémenté d’un subtil jeu de couleurs associant bleus, verts et violets qui sied aux scènes nocturnes et aux ambiances fantastiques. L’auteur renoue ainsi avec une tradition ancienne perpétuée par des dessinateurs emblématiques comme Will Eisner, Steve Ditko ou Gene Colan : les super-héros délaissent le temps d’un récit leurs territoires de référence, les mégapoles surpeuplées, pour aller se perdre dans des châteaux hantés, des cavernes obscures ou des marécages glauques… Ce graphisme, quelque peu macabre, n’est pas non plus sans évoquer un fantastique typiquement breton, à l’atmosphère moite et aux arbres tors : celui des peintures de Yann d’Argent, celui qu’Anatole Le Braz a recueilli dans ses contes et légendes.
Dans la préface de Paotr Louarn, Laurent Lefeuvre n’est pas à court d’idées pour légitimer l’existence d’un super-héros breton. Il définit notamment le concept du « héros-voisine-porte » en écho au fameux girl-next-door ! Permettons-nous d’ajouter un argument supplémentaire. Il vous est certainement arrivé d’entendre un morceau de musique anglo-saxonne qui vous rappelle un lieu ou un événement, un moment de votre enfance. Il en est de même pour certaines lectures qui se révèlent irrémédiablement attachées à un endroit précis dans notre mémoire associative. Ainsi les BDs de super-héros américains lues pendant des vacances d’été sont susceptibles de faire naître des images nostalgiques de forêts ou bords de mer bretons plus prégnantes que des visions de buildings new-yorkais. De là à réinventer les super-héros depuis la Bretagne, il n’y a qu’un pas que Laurent Lefeuvre franchit avec bonheur !
Difficile de passer après Laurent Lefeuvre pour évoquer son travail. En effet, l’auteur n’abandonne pas ses personnages dans la nature. Il les promeut avec un zèle passionné, les accompagne dans la durée, les protège avec une grande affection. Il semble littéralement vivre avec eux, tel un mage entouré de ses démons familiers. Il est ainsi le commentateur le plus prolixe et le plus enthousiaste de son œuvre. Notamment sur son blog qu’il alimente généreusement de planches, de croquis préparatoires (n’hésitant pas à faire partager quelques secrets de fabrication que d’autres créateurs de BD ne voudraient pas divulguer) – le tout saupoudré d’anecdotes pleines d’humour.
Les histoires de Paotr Louarn sont actuellement publiées en feuilleton dans le magazine en langue bretonne Louarnig. Laurent Lefeuvre a réuni en version française les premières aventures de son héros dans un comic qu’il a choisi d’autopublier. C’est un bel objet. Un fascicule souple d’une quarantaine de pages, en couleurs, au format comics, avec poster inclus. Il convient de mentionner qu’il a été, de plus, imprimé avec le label écologique Eco 32. Paotr Louarn est disponible en vente par correspondance. Pour tout renseignement, rendez-vous sur le blog de l’auteur.
Un dernier mot sur la couverture : elle a été encrée par un artiste américain, Klaus Janson, très apprécié pour son style inimitable d’ombrage en clair/obscur. Ce dessinateur est notamment connu pour ses collaborations avec Frank Miller sur Daredevil et Batman : Dark knight returns, dans les années 80.