À la découverte de François, pape de prière
Ou l’homme qui faillit être pape… et le devint
« Et maintenant, initions ce chemin : l’évêque et le peuple. (…) Prions toujours pour nous : l’un pour l’autre. Prions pour le monde entier afin qu’advienne un grand esprit de fraternité. » En quelques mots choisis, prononcés à l’occasion de sa première bénédiction urbi et orbi, le nouveau pape François a caractérisé l’esprit de son pontificat tout en déclinant sa propre philosophie d’homme. Il y réaffirme l’esprit d’universalité de l’Église (ce à quoi, sa qualité de Latino-Américain d’origine italienne donne plus de force encore), son vœu de redonner toute sa place au peuple dans l’ensemble de la Chrétienté (l’évêque et le peuple ; ce dernier se voyant par-là mis sur un pied d’égalité avec la Curie romaine) et enfin sa volonté de restaurer la prière comme source de renouveau de l’Église.
La prière ! Chose d’apparence si évidente pour le leader d’une religion et en même temps si négligée, bien souvent, au regard de l’Histoire récente. À l’aune de sa propre histoire, il ne fait guère de doute que le pape François peut se voir affublé du surnom d’« homme de prière ». Il invite, en somme, à se recentrer sur l’essentiel.
Un homme discret, mais pas effacé
Homme singulier, en tous les cas, que ce pape. Homme de contraste et de paradoxe, assurément. Et aujourd’hui encore, un être peu connu voire quasiment pas. Lorsque le 13 mars dernier, le cardinal protodiacre Jean-Louis Tauran annonce, en latin, au monde le nom du nouveau souverain pontife, les commentateurs du journal télévisé croient distinguer – à juste titre – un « Franciscum » et cherchent vainement dans la liste des cardinaux un François ou un Francis. Le nom du cardinal de Buenos Aires, Jorge Mario Bergoglio, prononcé un instant plus tôt, n’avait pas frappé leurs oreilles. Et pour cause, le prélat ne figurait sur aucune liste de papabili (les favoris dans la course à la chaire de Pierre), pas même dans celle du principal quotidien de Buenos Aires. Et pourtant… Et pourtant, cette absence est déjà en soi un premier mystère concernant son élection. Car souvenons-nous qu’il n’y a pas si longtemps, en 2005, lors du conclave qui avait conduit à l’élection de Benoit XVI, le cardinal Bergoglio était arrivé en seconde position, juste derrière son homologue allemand. Alors, comment avait-il pu être si rapidement oublié ?
Les paradoxes d’un homme
Cette discrétion humble – qui n’est en rien un effacement au regard de ses engagements – fait partie du personnage. Car, nous le disions plus haut, Bergoglio est homme de contraste et de paradoxe. Extrêmement conservateur pour les uns (voir notamment ses positions sur l’homosexualité, le mariage homosexuel, celui des prêtres…), il ne manque pas d’aspects très progressistes (dans son approche de la pauvreté, de l’éthique de la hiérarchie ecclésiastique…[1]). Autre dimension paradoxale de Jorge Mario Bergoglio, homme de science (il a d’abord été laborantin chimiste), il est aussi un fin lettré jésuite. Et que dire de ce choix de François, comme nom de pontificat (en référence à François d’Assise, si bien que certains le croient issu des rangs franciscains alors qu’il vient de la Compagnie de Jésus, l’ordre jésuite. Autre paradoxe) ? L’ouvrage de Mario Escobar revient sur tous ces aspects : de son enfance au sein d’une famille piémontaise immigrée de fraîche date en Argentine à son lit de souffrances (conséquence d’une grave maladie respiratoire qui handicapera toute sa vie et sera aussi l’un des ferments de sa personnalité), de sa révélation – son « appel divin » – un jour de printemps (qui est en réalité notre automne ; l’Argentine est dans l’hémisphère sud) à son accession au trône de Pierre en passant par sa formation jésuite au Chili (dans la casa San Alberto Hurtado ; ce jésuite ayant été l’un des précurseurs de la Théologie de la Libération ; tout un symbole en l’espèce), ses années d’enseignement, sa désignation comme provincial des jésuites à 36 ans, puis sa charge d’évêque auxiliaire, d’archevêque et enfin de cardinal… C’est sous les pires années de la dictature argentine qu’il se retrouva à la tête des jésuites de sa province, ce qui occasionna bien des hypothèses sur son rôle à cette époque ; des ombres depuis largement dissipées, épisode sur lequel le livre d’Escobar ne manque pas non plus de revenir.
L’homme d’un continent
Premier pape jésuite, premier pape latino-américain, premier pape à refuser de porter un « anneau du pêcheur » en or (mais en argent) pas plus qu’une croix pectorale dans ce même métal doré (il conserve sa vieille croix de fer archipépiscopal), premier pape depuis des siècles à refuser de résider dans le luxueux palais pontifical (mais dans l’humble résidence Sainte-Marthe), premier pape à ne pas choisir comme nom celui de l’un de ses prédécesseurs, etc. Les « premières » de ce nouveau pontife sont nombreuses jusque dans l’accessoire : refus des chaussures rouges papales pour reprendre ses noires, refus de se déplacer en « papamobile »… Combien de temps pourra-t-il conserver cette singularité ?
Et pour qui se souvient de la fin des années 70-début des années 80 et des grandes heures de l’affrontement entre le pape blanc (Jean-Paul II) et le « pape noir », Pedro Arrupe (le Supérieur général des jésuites), la seule élection d’un jésuite comme pape, à peine quelques décennies plus tard, ne peut manquer en soi d’être une surprise… une surprise très signifiante, au demeurant.
Incontestablement, le fait qu’il soit Américain en général et latino-américain en particulier (sans oublier sa consensuelle – pour l’Ancien monde – origine italienne) a été un paramètre majeur dans son élection. À l’heure où la crise des vocations atteint des sommets en Europe (certains parlent de « point de non-retour »), la situation propre du continent américain justifiait un signe fort quand l’église catholique subit l’assaut majeur des nouvelles églises évangélistes protestantes. Cette reconquête du « peuple » avait déjà été voulue et amorcée par la « Nouvelle Evangélisation » de Benoit XVI. Nul doute qu’un sud-Américain – a fortiori proche du peuple et des plus humbles – serait à même de mettre en œuvre cette dernière.
Vers un grand nettoyage ?
Alors oui, s’il y a bien un ouvrage à lire pour mieux connaître la personnalité de François en ce début de pontificat, c’est sans doute cet opus de Mario Escobar. Synthétique (200 pages), il brosse un portrait complet de l’homme à travers ses propres paroles (notamment ses entretiens avec les journalistes Rubin & Ambrogetti[2] et son dialogue avec son ami le rabbin Abraham Skorka[3], mais aussi certaines de ses premières homélies de pape ou autres textes sacerdotaux) et celles de divers témoins qui le connaissent bien. Mais le livre d’Escobar est aussi l’occasion de rappeler ce qu’est la Compagnie de Jésus dont il est issu, les circonstances du conclave de 2005 où il faillit être élu, celles du conclave de 2013 qui virent son élection, de revenir sur la personnalité de son prédécesseur et surtout de faire le point sur l’Église romaine d’aujourd’hui face à plusieurs grands défis comme les scandales sexuels, la chute libre du nombre des fidèles, l’organisation du Vatican…
Jorge Bergoglio a assurément été élu pour apporter une réponse à ces questions. Aura-t-il les épaules pour cela ? Seul l’avenir le dire, mais sans doute un avenir fort proche. En quelques semaines, il semble déjà avoir pris à bras le corps le problème des luttes de pouvoir au sein de la Curie romaine et d’avoir entrepris un certain (grand ?) nettoyage. François envoie déjà des signes forts… et paradoxaux, pour rester fidèle à sa personnalité. D’un côté, il reconnait l’existence de lobbys au sein de la Curie, d’un autre, il démet – une première !, encore une fois – un prêtre franc-maçon des Hautes-Alpes (comme une sorte de gage, peut-être, donné aux « durs » de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi).
Quelles que soient les convictions des lecteurs, les options spirituelles – chrétien, agnostique, athée ou autres – il ressort de ce portrait l’image d’un homme singulier, indéniablement attachant, complexe (« jésuite », en somme, se contenteront de dire certains), paradoxal, et susceptible de séduire bien au-delà des rangs de l’Église catholique. Un homme d’aujourd’hui, méconnu, à découvrir… Tout simplement.
Mario Escobar, François, homme de prière (trad. par Arnaud d’Apremont) Dervy, juin 2013, 16 €
[1] Un exemple parlant : lors de sa consécration cardinalice, il devait être accompagné d’une délégation de fidèles argentins. Une quête avait été réalisée en ce sens pour financer le voyage. Mais il ordonna que le produit de celle-ci soit intégralement reversée aux pauvres et il se rendit seul à Rome.
[2] Rapportés dans l’ouvrage, El jesuita, paru en français sous le titre : Je crois en l’homme : conversations avec Jorge Bergoglio, Flammarion, Paris, 2013.
[3] Sur la terre comme au ciel, Robert Laffont, Paris, 2013.