Le papier de pierre… cela ne vous dit absolument rien ? Pourtant, cette invention est le fruit d’un tout nouveau procédé de fabrication du papier. Dans ce dernier, les fibres de cellulose extraites du bois ne constituent plus la matière première du papier. Elles sont remplacées par du carbonate de calcium, un minéral donc. De ce fait, le papier de pierre est considéré comme une possible alternative « verte » à notre papier traditionnel. Il subsiste tout de même quelques zones d’ombre quant à l’impact environnemental qu’aurait sa production à grande échelle.
Le papier de pierre a été mis au point par des ingénieurs taïwanais de la Taïwan Lung Meng Technology Corporation, créée en 1998. Cette entreprise a investi près de 50 millions de dollars en recherche et développement, pendant dix ans, avant de pouvoir parvenir à une version commercialisable du papier de pierre. L’invention, aujourd’hui brevetée dans une quarantaine de pays, a de quoi faire pâlir tant notre méthode traditionnelle de fabrication du papier que les qualités intrinsèques de ce dernier.
Le papier de pierre : un super papier
Le papier de pierre est composé de carbonate de calcium à 80 % et de polyéthylène à 20 %. Le carbonate de calcium est un minéral assez commun que l’on retrouve dans la craie, le marbre ou les coquilles d’escargots. Il est possible de l’extraire de carrières ou de le récupérer dans les débris de chantiers de construction. Quant au polyéthylène, c’est un plastique de la vie quotidienne qui compose nos bouteilles cosmétiques, nos films alimentaires ou encore nos sacs plastiques. Il est utilisé sous forme de résine et sert de liant dans la fabrication du papier de pierre. Ainsi, les deux matières principales de ce papier le rendent recyclable à l’infini, contrairement au papier traditionnel qui a sans cesse besoin d’un ajout de fibres neuves pour pouvoir être recyclé.
Le papier de pierre est ainsi présenté comme étant beaucoup plus écoresponsable que le papier traditionnel. Sa composition n’entraînerait même aucune pollution des sols. En effet, la fabrication du papier de pierre exclut tout emploi des produits chimiques normalement utilisés pour extraire la fibre de cellulose du bois (les acides et alcalins). Elle ne nécessite pas plus l’utilisation des produits blanchissants (chlore, etc.) qui sont la cause principale de la pollution de l’industrie papetière. Mais la réelle particularité du papier de pierre repose dans ses caractéristiques surprenantes. Il est résistant au feu, à l’eau et aux insectes tout en étant biodégradable, à raison d’une exposition au soleil entre 12 et 18 mois. C’est en somme un super papier auquel il semble difficile de demander de faire mieux. Et pourtant…
L’impact environnemental incertain du papier de pierre
On le sait maintenant, rien ne vient sans contrepartie lorsqu’il est question d’innovation dans le domaine de l’environnement. Ainsi, un problème résolu laisse souvent la place à un autre problème caché. Dans ce cadre, le papier de pierre ne fait absolument pas exception. Sa composition en polyéthylène soulève plusieurs questions. En effet, si le papier de pierre est dit biodégradable, chacun sait que le plastique, lui, ne l’est pas. Ainsi, lorsque le papier de pierre se décompose au soleil et qu’il revient à son état initial, le polyéthylène, lui, est toujours bien présent. Évidemment, cela ne poserait aucun problème si tout ce processus de fragmentation du papier de pierre était strictement encadré par des centres de recyclage. Mais cela est impossible étant donné qu’il tient à chacun d’effectuer correctement ou non son tri sélectif.
Imaginons donc ce qu’il adviendrait de tout ce plastique relâché en pleine nature… Il n’y a qu’à regarder les ravages déjà causés par le polyéthylène que l’on utilise quotidiennement et qui a un effet dévastateur sur l’environnement. Un des exemples les plus édifiants est certainement celui des gyres de plastique. Ces véritables continents de déchets plastiques empoisonnent nos océans (voir Océans, le mystère plastique, un documentaire de Vincent Perazio). Et que dire de cette résistance du papier de pierre aux éléments autres que le soleil ? Qu’adviendrait-il de lui s’il était enfoui comme de trop nombreux déchets le sont encore aujourd’hui ? C’est autant de questions auxquelles il convient de répondre avant de pouvoir imaginer remplacer la fabrication traditionnelle du papier par celle du papier de pierre. D’ailleurs, peut-être faut-il relativiser l’impact environnemental de la production de papier puisqu’il tend à s’amoindrir avec les années.
L’industrie papetière est l’une des industries les plus durables
La fabrication du papier est souvent perçue, dans l’imaginaire collectif, comme étant la première cause de la déforestation dans le monde. C’est d’ailleurs l’argument qui est généralement avancé pour justifier l’importance d’y trouver une alternative écoresponsable, comme devrait l’être le papier de pierre. Mais pour bien mesurer les atouts et les limites d’une telle innovation, il semble primordial de fixer les réels enjeux de la fabrication du papier et, ainsi, de déconstruire l’un des mythes qui l’entourent.
Non, l’industrie papetière n’est pas la première cause de la déforestation dans le monde. Cette place revient, et de loin, à l’activité agricole qui est à l’origine de 90% de la déforestation mondiale, selon la FAO (l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture). En réalité, seulement 11% de la récolte mondiale de bois sert à la fabrication du papier. De plus en plus de mesures sont d’ailleurs mises en place pour réduire l’impact environnemental de cette dernière : plantations forestières durables, systèmes de certification du bois (FSC, PEFC, etc.), papier recyclé, etc.
Finalement, il reste difficile de se prononcer sur l’écoresponsabilité du papier de pierre. Certes, il possède des qualités et avantages indéniables par rapport au papier traditionnel qui semble beaucoup moins performant. Son utilisation pourrait s’avérer d’une grande utilité dans des domaines tels que l’édition ou l’archivage. En effet, on y recherche des papiers résistants pouvant tenir avec le temps. Cependant, trop de questions en suspens planent encore sur le papier de pierre, son utilisation à grande échelle, ainsi que sur son impact environnemental. Ce n’est pas pour autant qu’il faut minimiser les incroyables progrès introduits par ce papier en matière d’écologie ; et cela, même si l’industrie papetière traditionnelle travaille sans cesse à la diminution de son impact environnemental. La fabrication du papier de pierre ne demande l’abattage d’aucun arbre, l’utilisation d’aucune eau — sauf pour refroidir certaines machines – et ne nécessite que 15% de l’énergie nécessaire à la production classique du papier. Il faudra simplement encore quelques années de recherches, quelques améliorations et quelques calculs purement mathématiques pour établir la viabilité écologique d’une telle innovation…