Le parler des îles du Golfe du Morbihan

Depuis la fin du XIXe siècle, les îles du golfe du Morbihan ne parlent plus breton. Interdit à l’école par les “hussards noirs de la République” puis dans les sermons des recteurs et les cours de catéchisme, il a été remplacé par un parler local reprenant de nombreuses locutions bretonnes. Un marin et poète de l’île d’Arz, Pierre-Marie Landais (1825-1890) déplorait :

Vous savez mieux que moi

Que notre langue bretonne

Est déjà agonisante

Notre parler est mal en point

La langue bretonne est au plus mal

Et va descendre au tombeau.

Un siècle et demi plus tard, un autre marin de l’île d’Arz, Jean Bulot, ancien commandant de l’Abeille-Flandre aujourd’hui désarmé, associé à Nono, un dessinateur de l’île aux Moines, vient de publier un petit livre sur le parler actuel des îles du golfe du Morbihan.

Jean Bulot, illustrations de Nono, Le parler des îles du golfe du Morbihan, Groix Editions, août 2022, 10€.

Ce n’est pas une thèse universitaire mais un tout petit livre, plein de fraicheur et de nostalgie.

Une telle démarche s’inscrit dans les nombreuses tentatives actuelles de conservation du patrimoine matériel ou immatériel comme celles entreprises par la mairie de l’île d’Arz et le Parc Naturel Régional du golfe du Morbihan associé au programme européen Périclès. Selon Jean Bulot, ce parler actuel des îles est majoritairement français avec des mots bretons et beaucoup de locutions issues du parler des marins, nombreux depuis des siècles à l’île d’Arz (“l’île des capitaines”) et à l’île aux Moines.

Mais le breton du Morbihan (le gwenedeg) n’était pas le breton des trois évêchés de Cornouaille (Kerne), du Léon (Leon) et du Trégor (Treger) qui a commencé a fusionné au début du XXI siècle pour donner naissance au KLT*. Ce n’est qu’en 1942 que le vannetais a été associé afin de créer le KLTG. Les linguistes mentionnent que l’abandon du breton a été plus rapide sur le littoral que dans la Bretagne intérieure du fait sans doute des échanges maritimes et du commerce.

Il semblait donc intéressant d’examiner si les termes marins en gwenedeg différaient de ceux du KLT témoignant ainsi d’une identité spécifique de chaque bassin de navigation. Hélas, une telle étude arrive près de deux siècles trop tard. La recherche de termes marins dans divers dictionnaires français bretons (gwenedeg et KLT) a été peu concluante même si quelques termes sont différents: par exemple, la barre est paol en KLT et pichod en gwenedeg ou la gaffe est bider en KLT et bah krog (bâton à croc) en gwenedeg**. En effet, même si Merrien, dans son célèbre dictionnaire, identifie 4000 termes marins, ceux-ci sont rares dans les dictionnaires bretons : un paradoxe!

Ce parler des  îles va-t-il aussi être modifié par les nouveaux insulaires. Se mêle une population différente du fait du renchérissement du foncier : les “parisiens” (terme génétique pour désigner les habitants du continent : il y a des parisiens de Rennes, de Nantes, de Bordeaux… et même de Pari s!) que certains nostalgiques d’une autre époque voudraient “tenir à bout de gaffe” ! La gaffe…

Rendez-vous :

Samedi 18 mars à 16h: conférence co-organisée par le musée de la pêche à Concarneau et la Société Française d’Histoire Maritime: Vincent Guigueno, Une politique contre les naufrages: phares et sauvetage aux XIX et XXèmes siècles”.

Samedi 1er avril à 17h, salle du Cairn à Larmor-Baden, Jacques de Certaines, “Le peuple vénète et ses navires”.

Mardi 21 novembre à la Cité de la voile à Lorient, colloque organisé par la Société Française d’Histoire Maritime: Conflits et résistances dans les innovations maritimes.

Notes :

* Le KLT, abréviation de Kerne-Leon-Treger (en français : Cornouaille-Léon-Trégor, nom de trois évêchés de Basse-Bretagne avant la création des départements français), est l’une des deux principales formes de langue bretonne. C’est un continuum linguistique qui correspond à la majeure partie de la Basse-Bretagne.

** Cf. mon ouvrage Le golfe du Morbihan, 5000 ans d’Histoire maritime, Editionx Apogée, Rennes; 2021, pp. 172-174

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Jacques de Certaines
Jacques de Certaines est ancien professeur des universités, ancien président de Rennes Atalante, co-auteur principal de "Secoue-toi Bretagne", écrivain et marin

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