Pascal Dubreuil est un claveciniste de réputation internationale. Enseignant dans la classe de musique ancienne du Conservatoire de musique de Rennes, il donne une conférence, doublée d’un concert, intitulée L’éloquence du discours musical baroque. Organisé dans le cadre du « temps fort #Baroque », l’événement se déroule aux Champs Libres le vendredi 29 mars 2019 à 12h30.
Voilà une belle raison pour lire, ou relire, un merveilleux livre sur Jean-Sébastien Bach écrit par l’un des plus grands grands maîtres du clavecin et interprètes de la musique baroque, John Eliot Gardiner, intitulé Musique au château du ciel : un portrait de Jean-Sébastien Bach où l’on découvre le génial compositeur baroque sous un jour inattendu et très original.
Quand il était au service des Ducs de Weimar Saxe, Jean-Sébastien Bach avait pour habitude de jouer sur l’orgue surplombant la nef de la chapelle du château ducal dont la voûte peinte représentait les cieux. Des notes descendaient ainsi depuis cette voûte vers l’auditoire seigneurial et sa cour, et la chapelle du palais de Wilhelmsburg résonnait alors de la musique « céleste » de Jean-Sébastien, dans ce château devenu, par la magie de l’interprète et d’un poétique jeu de mots, le « Himmelsburg », le Château du ciel.
https://youtu.be/sZ94WMr3Xsc
John Eliot Gardiner, le chef et musicien anglais, fondateur du Monteverdi Choir, s’est servi de cette métaphore pour intituler sa biographie de Bach, traduite en français il y a quelques mois. L’auteur fait un très vivant tableau du grand compositeur et l’une des originalités de ce portrait est de nous présenter un personnage bien éloigné des apparences quelque peu lissées et conventionnelles qui nous ont été servies pendant trois siècles.
Bach était un être humain plein de défauts, un aspect que nous ne tolérons pas chez nos héros… [il y avait] chez ses hagiographes une répugnance fort répandue à reconnaître la complexité et les contradictions de son tempérament artistique.
Dès son plus jeune âge, révèle John Eliot Gardiner, Jean-Sébastien Bach manifesta un caractère frondeur, intransigeant et indiscipliné, voire révolté (« Bach, the subversive », dira la musicologue Laurence Dreyfus dans une conférence en 2011), qui ne le quittera jamais, que ce soit face aux maîtres des différents instituts où il s’est formé, jusqu’aux élus et nobles de province qui l’employèrent à leur service.
Sa facilité à se mettre en colère, son refus de tolérer toute médiocrité dans la pratique musicale sont un témoignage d’une propension de Bach à mépriser les autorités.
Les Bach ont formé le plus impressionnant foyer familial de musiciens en Europe : 33 membres selon un inventaire dressé par Jean-Sébastien lui-même qui, étrangement dans la liste qu’il établit, omit de mentionner les femmes, y compris les siennes, dont deux au moins des trois étaient pourtant des chanteuses confirmées. L’Allemagne luthérienne, de toute évidence, était « fort encline à la phallocratie ». Impensable à la même époque, par exemple, chez les Couperin en France. Jean-Sébastien s’attachera beaucoup à l’enseignement et la science de deux hommes, son oncle et son frère aîné, tous deux prénommés Johann Christoph, auprès de qui il acquiert une éducation musicale, une grande connaissance de la composition et une dextérité de virtuose du clavier qui lui fait rapidement soutenir la comparaison avec Domenico Scarlatti ou Georg-Fredrich Haendel.
La Grande Faucheuse, très tôt, va « amplement moissonner » dans le cercle de ses proches : il perdra ainsi ses parents avant qu’ils n’atteignent l’âge de cinquante ans et dix de ses vingt enfants alors que ceux-ci n’avaient pas atteint cinq ans. Cette confrontation avec la mort le rapprochera considérablement de l’enseignement du réformateur Luther, qui écrivait, tel un Montaigne d’outre-Rhin :
Nous devrions nous familiariser avec la pensée de la mort durant notre vie, la convier en notre présence alors qu’elle en est encore éloignée.
Et nombre de ses compositions en témoigneront, dès « l’Actus tragicus », cantate BWV 106, chef d’œuvre d’un jeune homme de 22 ans seulement, bouleversant de douceur et de grâce qu’admirait tant Jean-Philippe Rameau.
Bach aura les moyens de développer sa musique religieuse à Leipzig essentiellement, à partir de 1723. Auparavant divers obstacles matériels ou conflits personnels et hiérarchiques l’en empêchèrent, dans les charges qu’on lui confiera à Arnstadt, à Mülhausen, à Weimar, à Köthen. La musique d’église, inspirée de sa vision du monde profondément religieuse, aura une importance capitale pour lui. Bach composera chaque semaine des cantates et des motets, dont le rôle était d’insuffler l’esprit de piété aux fidèles. « S’il y a quelqu’un qui doit tout à Bach, c’est bien Dieu » dira non sans humour le philosophe Cioran. Et plus de la moitié de toutes les cantates connues de Bach furent composées dans les premières années de son Cantorat de Saint-Thomas à Leipzig.
John Eliot Gardiner, en grand musicologue, fait une analyse magnifique des cantates BWV 81 et BWV 75. Comme il fait l’examen, tout de précision et de finesse, des « Passions de Saint Matthieu et de Saint Jean et de la “Messe en si”.
Libéré du contrôle officiel des autorités de Leipzig, Bach fait jouer aussi sa musique concertante dans le fameux café Zimmerman, à la tête du Collegium Musicum, institution indépendante qui lui donne la liberté de s’échapper vers la composition profane, proposant à un public socialement plus divers une soixantaine de concerts municipaux par an. Entrecroisement des genres, religieux et profanes, important pour Bach et typique du monde baroque, souligne John Eliot Gardiner.
Il faut lire cet ouvrage dense, novateur et lumineux, qui donne une vision très originale et surprenante de la vie de Bach, de ses tourments et bonheurs familiaux et musicaux, écrite par un chef d’orchestre, superbe interprète et analyste de la musique du Cantor de Leipzig. John Eliot Gardiner était d’autant mieux préparé à le jouer un jour, dit-il avec amusement, qu’il vécut dans la maison de son enfance, dans le Dorset, sous l’un des deux fameux portraits de Jean-Sébastien Bach peints par Elias Gottlob Haussmann…
L’éloquence du discours musical baroque, concert-conférence avec Pascal Dubreuil, professeur de clavecin au Conservatoire de Rennes, organisé dans le cadre du temps fort #Baroque. Vendredi 29 mars, 12 h 30, les Champs libres, salle de conférences, 10, cours des Alliés, Rennes. Gratuit. Contact : 02 23 40 66 00, contact@leschampslibres.fr, http://www.leschampslibres.fr
Cette conférence propose d’explorer les différents aspects de l’éloquence du discours musical baroque, de Claudio Monteverdi à Johann Sebastian Bach, illustrée par des exemples musicaux.
“Musique au château du ciel : un portrait de Jean-Sébastien Bach” par John Eliot Gardiner, Flammarion, 2014, 800 p.
Biographie de Pascal Dubreuil
Après avoir travaillé le clavecin durant plusieurs années avec Yannick le Gaillard, PASCAL DUBREUIL obtient au Conservatoire national supérieur de Musique de Paris les Premiers Prix de clavecin et de basse continue. Il complète sa formation par de nombreux stages, avec Kenneth Gilbert notamment et tout particulièrement avec Gustav Leonhardt. Il étudie également la direction d’orchestre avec Nicolas Brochot. Lauréat du Concours international de Bruges en 1997, il développe dès lors des activités de concertiste et de pédagogue. Comme claveciniste, mais aussi sur le clavicorde et le pianoforte, il joue en Europe en soliste et au sein de formations de musique de chambre, en particulier avec Musica Aeterna Bratislava, en tant que continuiste avec l’Ensemble vocal de l’Abbaye aux Dames de Saintes et Sagittarius, ou avec Claire Michon, Patrick Ayrton (en duo de clavecins), François Fernandez, Marie Rouquié, Bruno Boterf ou Ricardo Rapoport. Il est invité par des festivals tels que le Printemps des Arts, les Académies musicales de Saintes, le Festival de Musique ancienne de Barcelone, le festival Dni starej hudby de Bratislava ou le Ruhr Klavier Festival. Il a enregistré pour Le Chant du Monde, K 617 et Arion ; il enregistre actuellement pour le label Ramée. Son enregistrement de l’intégrale des six Partitas de Johann Sebastian Bach (RAM 0804) a été unanimement salué par la critique internationale et a obtenu plusieurs récompenses, dont le prestigieux Prix allemand de la Discographie (Preis der deutschen Schallplatten- kritik). Pascal Dubreuil est actuellement professeur de clavecin et de musique de chambre au sein du Département de Musique ancienne du Conservatoire de Rennes. Il enseigne également le clavecin et la rhétorique musicale au Centre d’Études supérieures de Musique et de Danse de Poitiers. En 2009, il fonde l’ensemble Il Nuovo Concerto, dont il est le directeur artistique. Il est également le fondateur du festival “Baroque… et vous ?” de Rennes. Ses travaux de recherche sur la rhétorique musicale, menés depuis plusieurs années, l’ont amené à publier, en collaboration avec Agathe Sueur, la première traduction française intégrale du traité Musica Poetica (1606) de Joachim Burmeister, ainsi que d’importants extraits des deux autres traités de ce théoricien (Mardaga, 2007). Pascal Dubreuil est sollicité pour de nombreux jurys et classes de maître, en France ou à l’étranger, dans des institutions d’enseignement ou pour des examens et concours. ((source Ramee.)