Pastorius Grant est une BD à ne pas mettre en toutes les mains. Elle est dangereuse. Les couleurs magnifiques, mais violentes, peuvent vous exploser à la figure. A lire donc à vos risques et périls.
Ouvrez l’album. Ouvrez le à n’importe quelle page. Ouvrez et regardez. Les Pan-pan des revolvers de méchants truands barbus explosent sur des fonds multicolores. Les kof-kof souffreteux d’un héros malade s’étouffent devant un mur de feu orangé. Tout n’est que couleurs, contrastes, lumières et explosions. La couverture ne ment pas. Un western sombre dans un univers multicolore tonitruant. Les Pan-pan sont tirés par deux frangins mexicains, l’un des deux, le plus grand, ne semble pas très futé. On se demande si ils ne sont pas des héritiers directs des Dalton. Ils chassent un certain Big Hand. Le Kof-kof, qui ne va pas s’amenuiser au fil des pages, est le toussotement sanguinolent de Pastorius Grant, chasseur de primes. Il a envie de mourir avec 5000 dollars en poche. Il pourchasse aussi Big Hand et la récompense qui va avec. Entre les trois hommes, la lutte est féroce mais Grant va devoir affronter un obstacle de plus, une gamine aveugle, juchée sur un cochon qui propose au chasseur de primes de retrouver l’assassin de son père et de l’abattre. Dilemme cornélien pour notre souffreteux héros qui va devoir choisir entre expiation ou amour-propre.
Les codes du western sont omniprésents, avec bien entendu l’irruption meurtrière d’indiens Comanches et des gueules de truands à faire frémir Sergio Leone. Des gueules du réalisateur italien mais aussi ses longues séquences silencieuses car nos personnages ne sont guère loquaces. Entre crapules et hommes sans foi ni loi, on ne cause guère, nous allions écrire, on ne pense guère. C’est la petite fille qui va faire bouger les choses. Elle parle, ose parler et ne se contente pas de canons de fusils ou de revolvers. Au taiseux, elle propose une introspection inopportune en pleine chasse à l’homme.
Pourtant, comme dans « Carcajou » (voir chronique) on ne retrouve pas le bon, la brute et le truand. Chaque personnage est un peu de tout cela, comme des vrais Hommes en fait. Grant est complexe, porteur probablement d’un lourd passé. Il hésite entre le bien et le mal. La gamine ne croit qu’aux préceptes édictés de son vivant par son père. Comme une croyance à un Evangile familial. On ne sait guère où est le bien, où est le mal. Et c’est rudement …. bien.
Pour faire un bon western il faut aussi de magnifiques paysages. Marion Rousse éclate la charte de couleurs Pantone. Tel le CinémaScope de papa, il utilise même souvent le traditionnel gaufrier sans paroles pour décomposer, comme en images arrêtées, un Grant blessé, rampant vers son cheval. On peut alors se passer de bulles et de paroles. On complète seul les étapes manquantes de l’action. Comme chez Matisse et les peintres fauves, les visages peuvent devenir vert, violet ou bleu. Les paysages, oscillent parfois entre réalisme et onirisme. Et lorsque la pluie, rarement dessinée avec autant de force, inonde tout sur son passage, on relève le col de notre veste et on met un parapluie sur l’ouvrage pour éviter qu’il soit mouillé. Ce serait dommage d’abimer de telles merveilles graphiques. Marion Mousse a le talent de nous désorienter par une technique évolutive empêchant le lecteur d’identifier à coup sûr le dessinateur. De Moonfleet en passant par Fracasse, ou les débuts avec Phinéas, il aime surprendre optant cette foi-ci pour un style pop éblouissant. Parfois les personnages qui ne sont pas cernés par un trait noir mais uniquement par la couleur, se fondent dan le décor. La couleur prime alors sur le trait et rend la case presque abstraite.
Peu de textes ne signifie en aucune manière que celui ci soit inexistant. Au contraire, comme tout ce qui est rare il est d’autant plus précieux. Il démontre en quelques phrases violentes comment les blancs ont exterminé les indiens. Il oppose la foi de la petite fille, « Dieu prononcera son jugement sur chaque action, chaque chose secrète qu’elle soit bonne ou mauvaise », au froid réalisme de Pastorius Grant: « Personne n’est là pour nous punir sinon nous mêmes. C’est de croire qui nous tue gamine ».
Introspectif, Pastorius Grant utilise les codes du western pour en faire une symphonie de couleurs qu’accompagne un texte serré et concis. Pour en faire une remarquable BD.
Pastorius Grant de Marion Rousse. Editions Dargaud. 116 pages. 21€.