Avec ce texte surprenant, Mika Biermann nous invite à découvrir Trois jours dans la vie de Paul Cézanne, le peintre d’Aix-en-Provence, dans son intime personnalité. Un récit court pour une description foisonnante. Et profonde.
C’est une silhouette un peu pataude, mal fagotée, négligée. Lorsque l’on s’approche on sent même une odeur désagréable. Si on a le style facile, on écrira qu’elle ressemble à « un ours mal léché ». Si on veut faire un effort on dira : « un saltimbanque de laine salement vêtu ». Si on s’appelle Mika Biermann, on écrira: « on dirait un forgeron invité à la remise de diplôme de sa nièce. Le monde a déposé sa poussière sur l’homme ». Là est toute la différence. Là est tout l’intérêt de ce court texte magnifique.
L’homme pataud, se prénomme Paul, appelons le avec l’auteur « Peintre Paul ». Il part avec un chien sur le motif. Peut-être va-t-il s’arrêter à la carrière de Bibemus ? Ou devant la silhouette d’un cyprès ? Il choisit finalement les lointains, les silhouettes de montagnes qui, sous son pinceau, vont prendre des teintes empruntées à la couleur prune, la couleur préférée de Paul, au bleu, au noir. La tâche de peindre pour peindre une tache. Puisqu’il est taiseux, on le suit, Paul, et on commente.
Le peintre fait des exercices de style concentré sur ses cônes, ses sphères, ses cylindres. L’écrivain cisèle ses mots pour raconter un homme qui parle peu. Pour ne pas le déranger, on va l’accompagner ce taiseux, trois jours, trois petites journées, histoire de ne pas se faire jeter comme un voyeur que nous pourrions devenir. Il ne vaut mieux pas s’attirer la colère de « Peintre Paul », il serait capable de nous jeter à la figure son chevalet et même ses tubes de couleurs qui lui permettent de quitter l’atelier pour peindre en plein air. Il est susceptible. Et colérique. Le deuxième jour, il reçoit la visite du docteur Gachet, ce médecin d’Auvers sur Oise qui lui parle d’un Hollandais à l’oreille coupée.
Et puis il rencontre une sphinge, un faune, une muse mais surtout la Rotonde, une jeune femme allongée le long d’un talus. Elle va lui bouleverser la vie, la Rotonde, ou du moins, lui ôter quelques heures parmi celles consacrée à saisir le paysage ou à composer quelques natures mortes aux pommes et au couteau. Elle est allongée et quelque chose dans son corps dit qu’elle ne bougera plus. Plus jamais. Cela perturbe Paul. Même son fils venu de Paris, et dont il souhaite être appelé « père » et non « papa », l’a moins dérangé.
Comment faire face à la vie, à la mort, quand on consacre son temps à chercher l’équilibre dans le paysage, à percer le secret d’un reflet moiré d’un couteau sur une table et que les gens, les autres, vous dérangent ? Même Renoir agace. Alors que faire ? Laisser tremper ses pinceaux un peu plus longtemps dans la térébenthine ? Ou agir ? « Peintre Paul » cherche un style, ce style que Mika Biermann a trouvé avec ses mots, ses phrases, qui ne montrent pas des couleurs, mais les pensées intimes d’un homme qui se dévoile pudiquement devant nous au fil des paragraphes.
Bourru, asocial, égocentrique, misanthrope, rien exactement de tout cela, mais un peu de tout cela, qui mélangé sur la palette des pages de l’écrivain, construit une silhouette inoubliable, celle d’un « artiste peintre », pas d’un peintre en bâtiment. « Question de taille de pinceau ». La prochaine fois que vous irez au musée et que vous tenterez de percer l’autoportrait et le regard sombre et noir d’un homme barbu, chauve, dont le cartouche du tableau vous précisera qu’il s’agit de Paul Cézanne, né à Aix en Provence en 1839 et mort dans la même ville en 1906, vous aurez compris quelque chose de ce sacré bonhomme. Vous aurez le sentiment d’avoir percé un peu de son mystère. De son regard. Celui qu’il a embrouillé avec la pointe de ses pinceaux.