Dans son Jésus de Nazareth Paul Verhoeven livre une quête personnelle

Jésus de Nazareth par Paul Verhoeven ! Eh non, ce n’est pas le nouveau long métrage du réalisateur à succès, mais bel et bien un livre né d’une recherche passionnée et vieille de près de trente ans. Avec (on s’en doute) un sens de l’image aiguisé, Paul Verhoeven tente dans cet ouvrage à la fois simple et érudit de nous faire entendre la voix la plus juste, la plus personnelle – ipsissima vox – de son «héros».

 

Je vois en Jésus un homme. Je ne le considère pas comme le « fils de Dieu », mais plutôt comme un Jésus mythologique, né de notre aspiration à reconnaître en autrui l’image de Dieu. Paul Verhoeven

jésus nazarethPaul Verhoeven fait mieux que les quelques années de foi et d’études qu’Emmanuel Carrère a mis récemment au cœur de son gros ouvrage Le Royaume (dans son livre de 369 pages, Verhoeven consacre plus de 90 pages aux notes et 18 à la bibliographie…). Depuis son arrivée aux États-Unis il y a trente ans, le réalisateur est devenu membre de l’imposant et très sérieux  Jesus Seminar. Fondé en 1985 par Robert W. Funk ce cercle rassemble soixante-dix-sept éminents chercheurs et spécialistes. Historiens de la Bible, théologiens, philosophes et linguistes, tous mettent en commun leurs recherches, leurs réflexions et leurs résultats pour en débattre et distinguer ce qui dans les Évangiles est vrai, à moitié vrai et complètement faux (p.9).

Mathématicien devenu cinéaste de renom, Paul Verhoeven n’est pas chrétien, il se définit plutôt comme agnostique mais, fasciné depuis l’enfance par le personnage de Jésus il lui faut aller au bout de son sujet et essayer d’aboutir à la constitution d’un récit, d’une histoire qu’il sentirait comme moins faillible, plus proche d’une vérité historique vivante.

J’essaie d’aborder le Nouveau Testament avec un regard de dramaturge. Cela me semble une bonne façon de repérer les détails, les transformations, les métaphores et les lignes narratives ajoutées en fonction de la composition dramaturgique. Car le Nouveau Testament est, à sa façon, une forme de divertissement. Les évangélistes se sont demandé comment tenir leur public en haleine. Et quel détail déplaisant ou politiquement dangereux, ils feraient mieux d’abandonner. p.14

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Quod est veritas ? Nikolaï Gay

Politiquement, oui, car la voie suivie par le réalisateur de Spetters est celle qui met l’accent sur le rôle et la conscience politique de Jésus de Nazareth. Sans néanmoins recouper tout à fait celle du pur messianisme, car Paul Verhoeven sait parfaitement prendre en compte les aspects chaotiques d’une vie et refuse de céder aux abus unilatéraux qui déboucheraient sur une nouvelle interprétation monolithique. Pour tracer le portrait selon lui le plus juste de son personnage il s’appuie bien évidemment sur les témoignages les plus importants, les quatre Evangiles canoniques mais également sur d’autres textes, apocryphes ou moins diserts (tel les extraits de Flavius Josèphe). Sa longue pratique lui permet de bien connaître le sujet et d’utiliser avec aisance aussi bien les différentes versions des textes principaux que les données historiques fiables concernant l’époque et le contexte.

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L’apôtre Paul – par Rembrandt

Il n’aborde donc pas les évangiles comme les récits, un peu différents, voire divergents de quatre témoins mais comme des constructions « littéraires » élaborées, parfois remaniées, par des auteurs différents s’influençant, se contredisant aussi. Verhoeven, en scénariste chevronné, se livre donc pour nous à l’analyse de scénarios, à leur analyse et à leur déconstruction minutieuse afin de ressaisir la chronologie d’une vie et par là d’une pensée… Sans ambages il démonte avec une certaine sagacité les concepts dramaturgiques et les volontarismes littéraires des évangiles. Loin de remettre en cause l’historicité du personnage, l’auteur de cette enquête minutieuse et personnelle admire le contestataire et certains aspects de son message. Message fluctuant, il se transforme au gré des événements, lesquels contraignent Jésus à réviser son jugement, son approche, sa vision de son destin et de ses buts et Verhoeven parvient assez bien à le démontrer en reconstruisant une chronologie différente de celles des textes canoniques. Chronologie qui, en outre, permettrait de résoudre certaines des incohérences des récits évangéliques. Chronologie qui serait à la base du film que Paul Verhoeven projette de réaliser… Mais qui surtout permet de penser sous un autre angle et de manière abordable  l’histoire d’un homme sur laquelle se fondent nombre de sociétés humaines, sur l’histoire d’un homme et sur les transformations (littéraires, spirituelles, métaphysiques et non nécessairement fictives, mensongères… ) qu’on lui a fait subir…

Mais bien sûr, cet exercice de précision ne va pas sans une remise en cause profonde de l’image classiquement pieuse et religieuse du Christ Jésus. Fort heureusement Paul Verhoeven ne tombe pas dans la chausse-trappe de l’anachronisme. Jésus de Nazareth, en lutte avec les autorités religieuses et politiques de son temps n’est pas un Che Guevara du Moyen-Orient. verhoeven jésusDans le contexte de l’époque, zélotisme et messianisme ne peuvent être désignés ainsi. Rebelle, criminel même aux yeux des pouvoirs, oui. Homme de foi, de conviction, spirituel et visionnaire inspiré « qui visait un renouvellement radical de l’éthique juive » (p.257), disciple indiscipliné de Jean le Baptiste, soumis au doute, aux interrogations, aux remises en question de ses convictions… Sans en faire des tonnes, sans donner de leçons, avec une étonnante finesse, Verhoeven n’insiste pas non plus lourdement sur ces aspects. Respectant son sujet, son personnage et sa propre quête de vérité il trace (loin de la prose scandaleuse facile) le portrait sensible d’un homme inspiré aspiré par le courant ascendant de l’histoire et pose les bases du scénario d’un film qu’il reste à réaliser ! Mais pas seulement…

Nous devons retourner à la vision du Royaume de Dieu propre à Jésus, tel qu’il l’a formulée dans le Sermon sur la montagne. L’utopie humaine qui y est proposée ne sera toutefois pas réalisée par Dieu comme un acte autonome, ainsi que Jésus le pensait. Ce Royaume-là ne viendra pas. L’image de l’homme que Jésus imagine ne peut devenir réalité qu’à partir de l’homme lui-même : faire preuve de noblesse envers ceux qui n’ont pas reçu la chance de subvenir à leurs propres besoins, dépasser rancunes et rancœurs, accueillir à bras ouverts ceux qui reconnaissent avoir commis un méfait, traiter l’ennemi comme un égal lorsqu’il est à terre. Bref, avoir conscience que tout homme, sans exception, est aussi vivant que nous le sommes et a tout autant le droit de vivre. (p.257)

Paul Verhoeven Jésus de Nazareth (traduit du néerlandais par Anne-Laure Vignaux), éditions Aux forges de Vulcains, 2015, 369 pages, 20€

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Thierry Jolif
La culture est une guerre contre le nivellement universel que représente la mort (P. Florensky) Journaliste, essayiste, musicien, a entre autres collaboré avec Alan Stivell à l'ouvrage "Sur la route des plus belles légendes celtes" (Arthaud, 2013) thierry.jolif [@] unidivers .fr

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