La revue 303, arts, recherches, créations consacre le numéro 178, à paraître le 9 novembre 2023, à la thématique de la nuit. Silencieuse et active, inquiétante et protectrice, son mystère est égal à son ambivalence. Dans ce nouveau numéro de la revue culturelle des Pays de La Loire, journalistes, écrivains et chercheurs explorent l’imaginaire de la vie nocturne.
« Si vous avez jamais passé la nuit à la belle étoile, vous savez qu’à l’heure où nous dormons, un monde mystérieux s’éveille dans la solitude et le silence », disait l’écrivain français Alphonse Daudet. Quand le soleil disparaît à l’Ouest, le ciel assombrit son manteau clair journalier, éclairé le temps de quelques heures par la brillance des étoiles et de la lune. S’ouvre alors un nouvel univers, commence une nouvelle vie. C’est avec une belle illustration de Jérôme Maillet, dont nous aurons le plaisir de retrouver plusieurs créations à l’intérieur de la revue, que lecteurs et lectrices entrent dans l’histoire de la nuit sur-lumineuse, son imaginaire et tout ce qu’elle cache d’activités, légales ou pas.
Dans la mythologie grecque, la Nuit est, selon Hésiode, l’une des premières divinités apparues lors de la création du monde. Elle est également connue sous le nom de Nyx, fille de Chaos, et représente la personnification de l’obscurité primordiale. Longtemps domestiquée par l’éclairage urbain, elle retrouve sa sombreur originelle dans un temps où la crise oblige à une sobriété afin de réduire notre consommation énergétique. Les lampadaires s’éteignent à l’extérieur et tout un chacun redécouvre alors son obscurité, et le rapport ambivalent que nous entretenons avec elle.
Qu’elle fasse peur ou qu’elle porte conseil, la nuit nous enveloppe de sa noirceur chaque soir. Effrayante, elle réveille nos peurs et angoisses tapies dans le noir depuis notre plus jeune âge. Les lieux les plus familiers comme ceux inconnus peuvent sembler hostiles. « C’est durant la nuit qu’à Madrid on enterre les esclaves, qu’à Londres on se débarrasse des corps des victimes de pestes, qu’à Paris on inhume les décédés de l’Hotel-Dieux […] bref, la nuit est le temps des mauvais morts », nous apprend Alain Cabantous, professeur émérite en histoire moderne dans son article « Qui a peur la nuit ? ». Fascinante, elle ouvre les portes de l’univers quand nous levons les yeux au ciel face à l’immensité qui nous entoure au quotidien, mais invisible de jour. « Le ciel étoilé se donne alors à lire comme une carte nous permettant d’entrevoir un autre monde possible, celui des rêves et des hallucinations », écrit la journaliste Frédérique Letourneux dans son éditorial « Pleins feux la nuit ».
Mais dans ses ténèbres, la nuit est aussi l’amante de la vie : dans l’éveil des bêtes nocturnes sauvages, comme les lucioles et vers luisants que la journaliste scientifique Alice Bomboy nous invite à découvrir et les bêtes sauvages de la forêt de Bercé que nous côtoyons avec l’écrivain Éric Pessan. Et dans son silence, elle constitue un laboratoire d’expression politique que féministes, écologistes et Nuit deboutistes se réapproprient. « Le foisonnant théâtre de nos consommations quotidiennes s’est refermé quelques heures plus tôt. Et c’est à l’écart de l’agitation des bars que s’organise désormais la joyeuse dissidence », introduit le journaliste David Pourchasson dans « Le temps des luttes militantes. Les activistes – le collectif local d’Extinction Rébellion et Collages engagés Nantes (mouvement de collages contre les féminicides) – s’affairent, recouverts par le manteau de la nuit, écrin protecteur des luttes militantes et des actions illégales.
« On colle la nuit pour que l’égalité voie le jour », slogan du mouvement de collages féministes.
Dans l’inspiration qu’elle insuffle aux artistes qui ont écrit ou peint sa beauté, la nuit devient aussi source créative. Ferdinand Du Puigaudeau en a fait une de ses muses, tout comme Caravage et Georges de la Tour. Adeline Collange-Perugi, conservatrice du patrimoine au musée d’Arts de Nantes, en parle d’ailleurs dans l’article « Effet de nuit, la collection caravagesque des Cacault ». Parmi elle, trois tableaux de la De la Tour dont la composition nocturne Le Songe de saint Joseph. « À la lueur chaude des chandelles et de leur flamme fumeuse, les êtres et les choses se transfigurent, la lumière d’une vie intérieure, sacrée et mystérieuse, triomphe ». Joyaux pictural à « l’extraordinaire dépouillement », il tient certainement sa force dans le clair-obscur d’une grande maîtrise et la dimension spirituelle et symbolique des œuvres de Caravage que De La Tour a su retranscrire à merveille.
« Mais la nuit reste surtout le temps des songes. » Une fois le marchand de sable passé, la nuit devient la demeure de Morphée, dieu mineur des rêves. Qu’ils soient peuplés de fantômes ou de douces rêveries, parfois réels, ils sont contés dans ce nouveau numéro de la revue 303 que l’on découvre une nouvelle fois avec grand intérêt.