Certains hommes politiques marquent leur époque comme une pierre blanche jetée au milieu d’un plan d’eau. Il en résulte de multiples ondes en progression régulière. Au fil de l’histoire, les vagues s’approchent et se brisent dans les anfractuosités idéologiques des périodes sombres. Il convient d’expliquer pour mieux les comprendre. Ce à quoi s’applique l’historien Peter Longerich dans la biographie qu’il consacre à Joseph Goebbels.
Paul Joseph Goebbels est l’un des hommes politiques les plus influents du XXe siècle. Né en 1897 dans l’ouest de l’Allemagne (Rhénanie-du-Nord-Westphalie), il se suicide le 1er mai 1945 dans le Bunker d’Adolf Hitler afin (dit-on souvent à l’emporte-pièce) d’échapper à tout jugement. Une théorie sur laquelle revient Peter Longerich, attestant qu’en ce qui regarde Goebbels rien ne fut aussi simple qu’il n’y parait.
Le ministre de la propagande du IIIe Reich appartient à cette génération nourrie de haine, d’humiliation et de vengeance après la défaite de 1918. Mal négocié, on sait aujourd’hui que l’armistice de la grande guerre fut l’une des causes du nationalisme allemand attisé par le socialisme hitlérien. C’est à l’aune de cette idéologie que s’inscrit le magistère goebbelsien dés 1932. Un engagement instruit une dizaine d’années en amont, lorsque le jeune homme de 27 ans prenait place en politique au sein du radicalisme de droite. Ses convictions, sa vie, son oeuvre, sa folie furent accoudées à une grande culture nourrie d’une redoutable intelligence (Goebbels était docteur ès Philosophie). Peter Longerich développe par l’exhaustif la vie de celui qui a mis toutes les techniques modernes au service de la propagande politique. Véritable “génie” de la communication, son action justifiera pas moins d’un ministère à elle seule : le Propagandaministerium, ou Ministère de la propagande, en l’absence duquel le IIIe Reich n’eût jamais été ce qu’il fut.
Le transfert du rôle de sauveur sur un autre et la fusion symbiotique avec ce modèle correspondaient au trouble narcissique de Goebbels. Il ne pouvait se sentir grand que s’il était confirmé dans sa grandeur par l’idole qu’il s’était choisie. Cette idole serait Hitler.
Peter Longerich met en lumière la pathologie narcissique de l’architecte de la propagande nazie. Il jette un coup de projecteur inédit sur les relations complexes qui l’unissaient à sa femme et à Hitler et déconstruit le système de manipulation des masses par le Parti national-socialiste des travailleurs allemands.
Afin d’appuyer son enquête, Peter Longerich a décortiqué plusieurs documents capitaux, dont les notes de Goebbels, ses discours, son courrier politique mais aussi ses échanges personnels, et son journal intime constitué de plus de vingt mille pages. Un travail monumental, hélas ! parfois étayé sur des sources caviardées par l’histoire. Ce sera l’unique bémol de cette chronique. En effet, le fameux journal fleuve tenu par Goebbels entre 1932 et 1945, n’est que partiellement accessible. Document capital en 29 volumes originaux, il n’a été mis à disposition des chercheurs qu’après avoir été revu, établi et introduit par des universitaires internationaux, alors que seule sa version intégrale pourrait satisfaire des études objectives. Quoi qu’il en soit, Peter Longerich sonde à merveille les démons d’un homme qui deviendra démon lui-même. A lire comme un roman, sans oublier que la vérité dépasse toujours la fiction.
Goebbels, une biographie de Peter Longerich aux éditions Héloïse d’Ormesson, septembre 2013
680 pages + 195 de notes et index + portfolio central – 30 €
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Peter Longerich Goebbels : la biographie de la communication nazie