Vient de paraître aux éditions Camion Blanc une biographie de Peter Steele signé par Jeff Wagner. Belle occasion de mettre de l’ordre dans les clichés et les fantasmes que catalysa sur lui ce musicien hors norme qui mourut le 14 avril 2010, ce géant aux cheveux de jais et leader charismatique du groupe américain Type O Negative.
L’homme qui écrit ces chansons n’est qu’une de mes facettes. Ca ne représente que cinq pour cent de ma personnalité. La plupart du temps, je suis quelqu’un de présentable. Les gens doivent comprendre que c’est un personnage. Je n’aime pas jouer en public. Je n’aime pas monter sur scène. Je n’aime pas être jugé par d’autres gens. Les chansons sont de la thérapie sonique en ce qui me concerne. Je sublime mes sentiments dans quelque chose qui est socialement acceptable. Je ne peux écrire mes chansons que quand je me sens mal. Si les gens aiment ce qu’ils entendent, très bien. S’ils n’aiment pas, c’est très bien aussi. Ce sont des choses très personnelles, pour moi. Et moi, naïvement, je croyais que les gens qui lisent l’anglais pouvaient les comprendre. (Peter Steele, Soul on fire, p. 265)
Les plus purs fans de Type O Negative et de l’impressionnant Pete Steele n’apprendront certainement rien de plus à la lecture de cette biographie très factuelle. Pour tous les autres, ceux qui aimaient la musique et le style de Steele sans s’en faire une idole, l’ouvrage fera office de bonne introduction à sa vie. Ecrit par un inconditionnel, traduit par un autre, l’ensemble se tient bien à l’objectivité revendiquée. Jeff Wagner a recueilli de nombreux témoignages de proches et s’évertue à faire appel à eux pour éclairer les moments les plus controversés de la carrière de Pete Steele.
De la fondation du confidentiel Carnivore (efficace et terrible mélange de Hard Core et de metal) aux succès mondiaux de Type O Negative, le lecteur est invité à suivre de près les périples de Peter Thomas Ratajczyk, fils d’immigré polonais, bassiste et compositeur de génie, viscéralement attaché à sa ville et à son quartier de Brooklyn. Cette vaste exposition de la vie de Pete Steele permet de prendre la mesure de la réalité concrète d’une vie qui s’est longtemps exposée sur un mode sauvage et effréné. De mesurer aussi les paradoxes et les contradictions inhérents à une existence vouée tout entière à la créativité, à la volonté farouche d’être le créateur de formes d’expressions originales, d’être celui qui façonne de manière absolue une matière intimement personnelle qui soit à même d’émouvoir et de mouvoir d’autres êtres individuels. Sur ce point le texte de Jeff Wagner, malgré un style parfois simpliste, parvient à approcher de façon satisfaisante ces questions complexes.
Complexe Peter Steele le fut, il le savait. Malgré de nombreuses périodes psychologiquement sombres, il vécut une vie somme toute posée et réglée (parfois jusqu’à l’obsession). Il fut un véritable creuset alchimique pour la musique. Doté d’une voix unique qu’il apprit à maîtriser et à utiliser, d’un talent indéniable de compositeur et d’instrumentiste, Steele fut un passionné jusqu’au-boutiste qui ne se contenta jamais de faire ce qu’il savait faire mais se concentra toujours sur l’étape suivante créant morceau par morceau les éléments d’une oeuvre puissamment originale toute à sa démesure : mêlant les références, les symboliques mais surtout, musicalement, capable de générer une incroyable unité tout en puisant des références sonores et stylistiques dans une palette incroyablement vaste. Le heavy metal mâtiné de cold-wave, le rock-industriel copulant avec le néo-classique romantique, des Sisters of Mercy en furie en plein ébats avec des Motley Crue plus salaces que jamais – le tout sous les regards complices de Black Sabbath et des Beatles… Oui, avec Type o Negative, Steele est allé plus loin qu’aucun musicien dans ce que le marketing nommait alors le crossover. Mais il le fit avec la sincérité et la naïveté d’un « génie » (au sens premier, mythologique et magique du terme…)
Peter Steele était gigantesque et il faisait peur, et ça le mettait mal à l’aise. Ce n’était pas vraiment lui. C’est là d’où venait le conflit. C’est ça qui le faisait souffrir : c’était l’histoire d’un type qui n’était pas à l’aise dans ses pompes. Il intimidait les gens, ce qui peut être un atout, mais pour lui c’était l’enfer. La plupart d’entre nous ne peuvent pas le comprendre, mais pour lui c’était l’essentiel du problème. C’était comme dans Frankenstein, quand le monstre veut jouer avec une gamine, mais qu’il lui fait peur. C’est une bonne métaphore de Peter Steele. C’était vraiment lui. (Steven Blush, op. cit., p. 210)
Classique ? En quelque sorte. Gentil, serviable le géant, impressionnant mais timide, introverti, angoissé, voire dépressif. Ne reste plus alors qu’à se créer un personnage, un masque, un double. Un défouloir, un exutoire. Mais, l’être hybride que va créer Peter Steele à partir de son sentiment de nihil existentiel (cf. I don’ wanna be me), tout en mettant en pièce ses propres démons, va s’avérer, au contraire, un catalyseur d’attirances… Un vampire ultra-sexy, plein de rage et de haine, au charme ravageur autant qu’auto-parodique ! Et le génie se paie comptant. Sans doute le gentil et torturé Peter Thomas Ratajczyk a-t-il trop donné de son énergie vitale à son double ; son sens de l’humour, noir, cinglant, corrosif ne fut pas une défense suffisante. Jusqu’au bout pourtant il aura voulu le prodiguer.
Ainsi, ce fier descendant de polonais catholique « perdu » dans le monde obscur du metal-gothique – si inspiré par l’Islande et un certain paganisme – intitula le dernier album de Type o Negative, Dead Again plutôt que « born again ». Alors qu’il avait depuis quelques temps déjà, mis au rebut son athéisme nietzschéen pour retrouver la foi de ses pères. Mais, comme ce fut le cas si souvent dans sa vie, et son oeuvre, il avait choisi de vivre ces retrouvailles à sa manière. Sur la couverture de l’album figure la face hallucinée d’un autre géant friand de sexe, d’occultisme et de mystique désespérée : Raspoutine !
Le lecteur regrettera d’ailleurs que cette digne biographie comporte une iconographie un peu pâlote au regard de l’imagerie très colorée et du sens esthétique et symbolique singulier de Steele et Type O Negative (l’absence d’une discographie digne de ce nom est aussi à déplorer).D’autant plus que les fans de Pete Steele ont toujours eu, quant à eux, une imagination à la mesure de celle, débordante et pittoresque, de leur héros blasphématoire. Malheureusement, ainsi que le chantait « the green man » avec le réalisme romantique qui le caractérisait : everything dies !