Petit pays, grand premier roman de Gaël Faye

Pour une entrée en littérature, Gaël Faye, jeune rappeur compositeur-interprète frappe fort. Déjà lauréat du Prix du Roman Fnac 2016, son roman fait partie de plusieurs premières sélections de Prix Littéraires (Goncourt, Académie Française, Femina, Médicis). Un succès amplement mérité.

 

gael-faye_petit-pays_editions-grasset_prix-roman-fnac-2016Gaby, métisse de père français et de mère rwandaise, né au Burundi, a fui en France à l’âge de 13 ans, tout comme sa sœur Ana. Aujourd’hui adulte, il pense encore au pays de son enfance avec lequel il n’a pas vraiment rompu tout lien affectif.

 Il m’obsède, ce retour, je le repousse, indéfiniment, toujours plus loin. Une peur de retrouver des vérités enfouies, des cauchemars laissés sur le seuil de mon pays natal.

L’enfance était plutôt heureuse pour Gaby dans ce village du Burundi. En fils de colon, il vit dans une maison avec serviteurs, a un beau vélo rouge, une mère ravissante et des copains de son âge qui vivent dans la même impasse. Avec les jumeaux ou Gino, fils de pères européens et de mères africaines et Armand, fils d’un diplomate burundais, comme tous les garçons de cet âge, ils font les 400 coups, volant des mangues, fumant et buvant des bières dans un vieux combi Wolswagen ou flânant près de la rivière. Pour un enfant tenu à l’écart de la politique par son père, la différence entre les ethnies ne se perçoit pas. Les Hutus sont « petits avec un gros nez », les Tutsis sont « grands et maigres avec des nez fins. » Voilà tout ce qu’il faut savoir à cet âge : même pays, même langue, même Dieu, mais pas le même nez ! Malheureusement, l’enfance protégée finit toujours par être confrontée à la réalité de la vie.

carte-afrique_burundiCela commence par les disputes au sein du couple des parents. Yvonne, la mère regrette son pays, le Rwanda, qu’elle a dû quitter en 1963 après une nuit de massacre. Elle connaît les risques de l’Afrique et ne comprend pas la légèreté des Européens, supporte mal leur racisme comme la plupart des habitants du Burundi.

Les Blancs auront réussi leur plan machiavélique. Ils nous ont refilé leur Dieu, leur langue, leur démocratie. Aujourd’hui, on va se faire soigner chez eux et on envoie nos enfants étudier dans leurs écoles.

Ensuite, c’est le pays qui tremble. Les premières élections présidentielles au Burundi, en juin 1993 marquent une journée historique. Partout dans le pays, les gens vont voter pour la première fois de leur vie. Après trente années de règne du seul parti possible, Uprona, c’est le parti Frodebu qui emporte les élections et donne ainsi la victoire à un président non militaire, Melchior Ndadaye. Le 21 octobre 1993, les radios diffusent de la musique classique, symbole du coup d’État.

Les hommes de cette région étaient pareils à cette terre. Sous le calme apparent, derrière la façade des sourires et des grands discours d’optimisme, des forces souterraines, obscures, travaillaient en continu, fomentant des projets de violences et de destruction, qui revenaient par périodes successives comme des vents mauvais : 1965, 1972, 1988. Un spectre lugubre s’invitait à intervalle régulier pour rappeler aux hommes que la paix n’est qu’un court intervalle entre deux guerres. Cette lave venimeuse, ce flot épais de sang était de nouveau prêt à remonter à la surface. Nous ne le savions pas encore, mais l’heure du brasier venait de sonner, la nuit allait lâcher sa horde de hyènes et de lycaons.

rwanda-genocide_gael-fayeMême si Bujumbura est plutôt épargné, la guerre fait rage dans les campagnes. Et c’est surtout au Rwanda, là où Pacifique, l’oncle de Gaby s’est engagé dans les forces du FPR que le massacre des Tutsis commence. Un massacre qui atteindra son apogée après l’attentat contre l’avion transportant les présidents rwandais et burundais le 6 avril 1994. La famille rwandaise de la mère de Gaby est au cœur de ce massacre. En représailles, les gangs Tutsis s’organisent au Burundi, en plein cœur de Bujumbura qui vit désormais dans l’insécurité.

La guerre sans qu’on lui demande, se charge toujours de nous trouver un ennemi. Moi qui souhaitais rester neutre, je n’ai pas pu. J’étais né avec cette histoire. Elle coulait en moi. Je lui appartenais.

Les enfants se sentent impliqués dans cette guerre qui ne leur donne pas le choix. La réalité impose malgré soi d’être dans un camp ou un autre. Si la découverte de la lecture, grâce à l’immense bibliothèque d’une voisine, Madame Economopoulos, ouvre à Gaby des portes vers le monde et la connaissance de soi, la mort omniprésente et la violence quotidienne saccagent inévitablement sa dernière lueur d’enfance.

En compositeur, Gaël Faye sait faire résonner les mots. Avec un incroyable naturel, il joue mélodieusement avec les différents registres glissant de la légèreté avec l’humour enfantin à la gravité des témoignages du génocide en passant par la force de l’émotion de certaines confessions. L’auteur décrit son pays avec son environnement naturel, son ambiance de vie, mais aussi avec ses conflits raciaux, ses rivalités entre colons et Burundais. Un pays qui est en lui même si certaines blessures ne guérissent jamais.

Gaël Faye est un auteur-compositeur interprète né en 1982 au Burundi. Petit Pays est son premier roman.

Petit pays de Gaël Faye est paru chez Grasset le 24/08/2016, 224 pages, Prix : 18.00 €

Prix du livre numérique : 12.99 €

PETIT PAYS, LECTURE MUSICALE AVEC GAËL FAYE ET SAMUEL KAMANZI LE 06.10.2016 à 20 h 30 / 90 MIN

Aux Champs Libres, salle de conférences.

Entre extraits de son roman Petit pays et chansons de son répertoire, Gaël Faye chante le Burundi de son enfance heureuse et l’irruption de la guerre civile. Il est accompagné de Samuel Kamanzi (guitare, chant).

Pas un jour sans que le pays ne se rappelle à moi. Un bruit furtif, une odeur diffuse, une lumière d’après-midi, un geste, un silence parfois, suffisent à réveiller le souvenir de l’enfance. « Tu n’y trouveras rien, à part des fantômes et un tas de ruines », ne cesse de me répéter Ana, qui ne veut plus jamais entendre parler de ce « pays maudit.

Connu pour être la moitié du duo rap Milk coffee and sugar, Gaël Faye a depuis fait une carrière en solo. “Petit pays” est son premier roman. Dans le cadre d’un Automne littéraire “A la vie, à la mort”.

Tout le programme de l’automne littéraire ici.

 

Livres Hebdo publie, dans son numéro 1098 du vendredi 23 septembre 2016, le palmarès qui, chaque année, présente dans la rentrée littéraire les romans préférés des libraires.

300 professionnels interrogés ont désigné en tête de leurs choix :

Écoutez nos défaites de Laurent Gaudé (Actes Sud) en littérature française et Les bottes suédoises d’Henning Mankell (Seuil) en littérature étrangère.

Ils ont aussi particulièrement apprécié, en fiction française : Un paquebot dans les arbres de Valentine Goby (Actes Sud), classé 2e, Petit pays de Gaël Faye (Grasset), 3e, La succession de Jean-Paul Dubois (L’Olivier), 4e, et Le grand jeu de Céline Minard (Rivages), qui arrive en 5e position.

Chez les étrangers, outre le roman d’Henning Mankell, ils ont distingué Station Eleven d’Emily St. John Mandel (Rivages), 2e, Sur cette terre comme au ciel de Davide Enia (Albin Michel), 3e, The girls premier roman de la jeune Emma Cline (Quai Voltaire), 4e, ou encore Judas d’Amos Oz (Gallimard) qui se place sur la 5e marche des fictions étrangères préférées des libraires.

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Marie-Anne Sburlino
Lectrice boulimique et rédactrice de blog, je ne conçois pas un jour sans lecture. Au plaisir de partager mes découvertes.

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