Avec son dernier roman Les Passants de Lisbonne Phillippe Besson poursuit sa quête permanente de l’intime. Peut-on renaître après la perte de l’être aimé ? Pudique et bouleversant.
Un lieu : Lisbonne. Deux personnages : Hélène et Mathieu. C’est tout. Et cela suffit à Philippe Besson pour fournir la matière de son nouveau roman. L’auteur de « En absence des Hommes » nous a habitué depuis de nombreuses années à parcourir l’intime, à rechercher l’essentiel des êtres, leur âme. Il ne nous a donc jamais raconté de grandes fresques aux multiples rebondissements, privilégiant les huis clos.
Cette fois-ci pourtant le sujet est encore plus mince et ténu. Une femme et un homme sont seuls dans un hôtel lisboète. Un drame commun va les réunir : chacun a perdu l’être aimé. Le mari d’Hélène a péri dans un terrible tremblement de terre à San Francisco. Mathieu a été largué par son amour et amant. Tous deux vont réunir leur solitude respective pour tenter de sauver leur vie qui a perdu son sens : « je suis obsédé par l’idée que l’on peut tout perdre, en un instant, ou que tout file entre les doigts comme du sable », déclare l’auteur.
À travers des balades dans Lisbonne, en se donnant la main, en guettant la réaction de chacun, en mettant des mots sur leur souffrance, en regardant le Tage s’écouler, ils vont peu à peu revenir à la vie, chacun fournissant une béquille à l’autre. De ces balades, de ces regards va naître une relation indéfinissable qui n’est ni de l’amour ni de l’amitié. On retrouve tout le talent de Philippe Besson qui ausculte avec une pudeur et une profondeur rares les pensées des deux personnages qui font figure de symboles. Il montre combien la disparition définitive ou la simple rupture affective ont la même valeur et provoquent la même souffrance, sans hiérarchie. Peu importe alors les moyens employés pour soigner la douleur, car comme le dit Philippe Besson, « il faut bien se débrouiller ». Jusqu’à leur rencontre, Mathieu tente d’oublier en cherchant de nouveaux plaisirs anonymes purement charnels qui le laissent hébété au lever du jour. Hélène se morfond dans une langueur et une solitude permanentes qui la protègent du monde extérieur.
« On n’est pas heureux deux fois », dit Mathieu. Les promenades et les discussions avec Hélène donneront tort à l’homme délaissé. On n’oublie pas, « il faut faire son deuil », mais la vie peut renaître. Chacun des deux personnages va le faire comprendre à l’autre avec des mots simples qu’emploie Philippe Besson dans son style sobre, proche d’une musique douce et répétitive, ensorcelante. L’humain seul peut réparer l’humain : à chacun de trouver son bras d’appui pour avancer de nouveau.
Comme souvent, un lieu (le bar de Hopper dans « L’Arrière-saison », une maison près de l’île de Ré dans « La maison Atlantique ») est indispensable pour faire émerger les sentiments. Ici Lisbonne est bien le troisième personnage du roman, l’écrin minutieusement raconté où la chaleur estivale écrase les individus ajoutant du poids sur les épaules des personnages. La mélancolie lisboète, cette célèbre « saudade », rejoint la mélancolie d’Hélène. Les bars de nuit et la géographie nocturne de la capitale portugaise répondent aux vains appétits sexuels de Mathieu. La pluie orageuse les déchargera peut-être du lourd fardeau de la tristesse.
Maylis de Kérangal dans Réparer les vivants posait la question du prolongement de la vie d’un corps à un autre. Dans son ouvrage, Philippe Besson laisse à penser qu’un autre peut vous aider à réparer votre âme, à regarder de nouveau la vie en face. À voir le soleil se lever sur le Tage.
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Roman Les Passants de Lisbonne Philippe Besson, Éditions Julliard, 192 pages, mars 2015, 18 €.
Depuis Son frère, paru en 2001 et adapté par le réalisateur Patrice Chéreau, Philippe Besson a publié, entre autres, En l’absence des hommes, L’Arrière-saison, Une bonne raison de se tuer, La Maison atlantique et Vivre vite, et est devenu un des auteurs incontournables de sa génération. S’affirmant aussi comme un scénariste original et très personnel, il a signé le scénario de Mourir d’aimer (2009), interprété par Muriel Robin, de La Mauvaise Rencontre (2010) avec Jeanne Moreau, du Raspoutine de Josée Dayan interprété par Gérard Depardieu, et de Nos retrouvailles (2012) avec Fanny Ardant et Charles Berling. Un homme accidentel sera prochainement adapté au cinéma. Un tango en bord de mer, sa première pièce en tant que dramaturge, a été jouée à Paris à l’automne 2014 et publiée parallèlement chez Julliard puis reprise à l’automne 2015 au Théâtre du Petit Montparnasse. (sources : Editions Julliard)