Dans L’Architecture à toute vitesse Philippe Trétiack jette un regard renversant sur l’architecture. Sur la couverture du livre, la maison renversée, encastrée dans une falaise en béton, annonce le ton de la réflexion de l’auteur. Architecte, urbaniste et écrivain, Philippe Trétiack est toujours aussi… fendard !
Du Mexique au Japon, de Lannemezan à Gaza, de Beyrouth à Macao, Philippe Trétiack parcourt la planète pour le compte du Monde, de Elle Déco ou de Beaux-Arts Magazine. Rien de ce qu’il voit n’échappe à son regard perçant. Tout se transforme en commentaire d’architecture. Dans Architecture à toute vitesse Philippe Trétiack en livre cinquante-six règles à la fin de chaque chapitre. Autant d’aventures échevelées, souvent exotiques et toujours vécues. Le voici pris sous le feu de snipers à Abidjan, envoûté par une danseuse du ventre au Caire, précipité dans des émeutes à Buenos Aires, ficelé dans un side-car de compétition, terrifié par Dark Vador, pardon… Poutine à Moscou.
Sa description du cortège des dignitaires du Kremlin devant la Mâchoire artificielle sert d’appui à la règle 7 :
quand un bâtiment détesté est affublé d’un petit nom, c’est qu’il a fini par se faire adopter…
Et de citer Le Cornichon (de Norman Foster) à Londres, la Machine à écrire à Rome, le Caprice des dieux (pour le Parlement européen) à Bruxelles, le Décapsuleur à Shanghaï. Et d’en déduire :
combien les Parisiens ont en horreur leur tour Montparnasse ; elle qui n’a jamais eu l’honneur d’être affublée d’un sobriquet.
Plus intime et ô combien poignant, l’épisode à Auschwitz en Pologne. Un de ses téléphones sonne au cours d’un cérémonial sacré et lourd. C’est sa loueuse de parking qui réclame son dû ! Et récidive deux jours plus tard. Lui qui est plutôt « du genre mariole » trouve insupportable le commentaire que lui donne cette femme dans un lieu où « le savoir-mourir semble ronger les pierres ». Règle 13 :
nous regardons la ville avec les yeux de nos parents.
Complètement loufoque et propre à dégoûter un étudiant en journalisme qui se rêve en Tintin post Temple du soleil : le chapitre à la Llenada en Colombie. Bien décidé à enquêter sur les mines d’or perdues des Andes, le reporter se retrouve « enfermé dehors » de sa chambre d’hôtel de « style spartiate radical ».
On s’envole quérir de l’or et voilà qu’on finit en caleçon dans un couloir réfrigéré à rêver d’une clef en laiton.
Avec une pensée émue pour Fernand Pouillon qui écrivit dans Les Pierres sauvages :
l’architecture, c’est aussi l’outil qu’on oublie sur un rebord de chapiteau, qui tombe et qui tue.
Célèbre pour son fameux Faut-il pendre les architectes ? Philippe Trétiack en est convaincu : « L’architecte qui réussit est toujours un paranoïaque. » Pense-t-il à l’architecte de l’Institut du Monde arabe et du Cap Mail à Rennes quand il dit « On peut sortir Jean Nouvel du Lot-et-Garonne, mais on ne sortira jamais le Lot-et-Garonne de Jean Nouvel ».
Puisqu’on est dans le sud-ouest, partons avec Trétiack à Lannemezan (65). Un jour, en week-end dans son hôtel préféré dont il aimait « le suranné, l’ancestral, le petit côté vintage Wall Paper », deux types déboulent. « Des truands ? Des fonctionnaires ? Pire, des agents du fisc ? ». Que nenni ! « Ils n’avaient qu’un seul sigle à la bouche : PMR. LE personne à mobilité réduite. Après leur passage, exit la rangée de pots de confitures en haut de l’armoire. »
On y circulait décontracté, on s’y déplace contraint… Sortie de secours, alerte incendie, défibrillateur, armoire à pharmacie… une aire d’autoroute.
Et de conclure « le nouveau Modulor, c’est le PMR ».
L’homme pressé nous emmène à Arcachon. Au trou. Celui où a fini un éditeur-architecte « grande gueule et m’as-tu-vu », donc entouré de « suceurs de sang » et d’« intellectuels sous perfusion ». Il s’était mis en tête de modifier la pente du toit de sa villa face à l’océan. Dénoncé par Google map et par « la magistrature aux ordres », il est arrêté au petit matin par une escouade de flics. Attention ! Règle 53 :
Toutes les grandes révolutions de l’architecture sont passées par le toit.
« Affecté de folie ambulatoire », Philippe Trétiack avoue
avoir couru la planète pour combler par une accélération permanente le vide qui sans cesse s’ouvrait sous ses pieds.
Le rapport entre le plein et le vide : la quintessence de l’architecture. Trétiack a choisi de (bien) remplir sa vie à défaut de participer à la « compétition phallique ». Tout comme Christophe Salengro. Eh oui ! On apprend au chapitre 24 que le futur président de la République de Groland « envisageait son avenir d’architecte d’un œil morne ». On le croit !
Philippe Trétiack L’Architecture à toute vitesse, 56 règles glanées autour du monde, éditions du Seuil, 304 pages, 2016, 19 €. E-book : 13,99 €
Lire un extrait ici.
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Architecte et urbaniste, Philippe Trétiack est grand reporter et écrivain. Depuis trente ans, il a publié une vingtaine d’ouvrages et ses reportages ont été plusieurs fois récompensés, entre autres, par le Prix Louis Hachette pour son enquête sur la mode chez les Mollahs en Iran. Il est correspondant de l’Académie des Beaux-Arts, Institut de France et membre associé de l’Académie d’Architecture.
Photographies du diaporama (qui illustrent le livre) : Philippe Trétiack
Portrait photo de Philippe Trétiack par Astrid di Crollalanza