PILLOWGRAPHIES, LES FANTÔMES DE LA BAZOOKA HANTENT JOYEUSEMENT LE TRIANGLE

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À quoi pensez-vous quand on parle de fantômes ? Votre sang se glace t-il ? Votre poil s’hérisse t-il ? Regardez-vous sous le lit avant de vous endormir ? La compagnie La Bazooka compte bien vous réconcilier avec ces êtres venus d’outre-tombe ! Sept fantômes plus charmants que glaçants entrent dans la danse jeudi 12 mars 2020 au Triangle – Cité de la danse. Pillowgraphies : un ballet fantomatique enfantin et graphique. Entretien avec les fondateurs de la compagnie, Sarah Crépin et Étienne Cuppens.

pillowgraphies la bazooka
Étienne Cuppens et Sarah Crépin © Roger Legrand

Unidivers – Depuis la création de la compagnie La Bazooka en 2002, les figures de la culture populaire nourrissent votre travail – momies, héroïnes de manga hybrides, « Vénus de Willendorf », etc. C’est au tour de la figure du fantôme d‘être traitée. Pourquoi avoir opté pour ce choix ?

Sarah Crépin – Les études et le métier de danseur et chorégraphe façonnent une certaine culture du corps. On nous demande jour après jour de l’incarner et de le rendre visible. À l’inverse de ce que l’on cherche à atteindre au cours de cette formation, Pillowgraphies emmènent les danseurs dans une dissolution du corps jusqu’à sa disparition quasi totale. Représenter des gens sans corps – qui ne sont pas faits de chair et d’os – était assez excitant, car c’est un nouveau cheminement à appréhender. De quelle manière peut-on se dissoudre ?

Étienne Cuppens – La figure du fantôme elle-même est un véritable terrain de jeu. La grande majorité des personnes se rappelle avoir joué aux fantômes avec les draps des parents ou des grands parents. Pillowgraphies est un moyen de retrouver ce plaisir et de communiquer sur le plaisir du jeu.

Unidivers – Le public est plongé dans un univers fantomatique et flottant au moyen du dispositif de la lumière noire. C’est un monde aux frontières de l’invisible et de la magie qui s’ouvre à lui. De quelle manière a été pensée la chorégraphie et la gestuelle particulière qui en découle ?

Sarah Crépin – La lumière noire est un artifice permettant une certaine forme d’illusion, une vision chère à l’univers théâtral – lieu de la boîte noire et propice à la magie. Nous n’avons pas la technicité des magiciens, mais avec cette technologie accessible, le phénomène a pu être accentué. L’illusion fonctionne.

Beaucoup d’heures de travail ont permis d’élaborer une méthode qui donne la sensation de corps flottants en affinant les mouvements au maximum. L’illusion ne se crée pas simplement en marchant avec un drap sur la tête sur un plateau équipé de lumière noire. La technique employée se rapproche assez de la danse classique, une technique que l’on retrouve dans divers ballets où la question de l’éclairé et l’immatériel était déjà présent. Les chorégraphes l’élaboraient dans le but de développer une légèreté absolue et évanescente dans les mouvements de la danseuse.

Nous n’avons pas procédé de la même manière, mais nous avons cherché celle qui serait la plus adéquate pour travailler avec la lumière noire et les draps. On s’est alors aperçu des ponts existants entre les techniques classiques et ce que l’on cherchait à créer. Ce qui tombait bien, car Étienne et moi imaginions Pillowgraphies comme un ballet.

pillowgraphies la bazooka
© La Bazooka

Étienne Cuppens – Il s’agit de la notion de légèreté au sens général et de la recherche de modes de propositions plus allégeantes qu’alourdissantes. Quelle que soit la proposition, on peut toujours essayer d’être moins grave.

« L’idée de mutation et de transformation nous intéresse. Et voir jusqu’où l’on peut aller dans la représentation d’un imaginaire. Pillowgraphies aborde cette capacité du corps à muter dans un contexte donné », Sarah Crépin

Unidivers – Vous faites appel aux fantômes des ballets classiques, mais pas seulement. Pillowgraphies convoque le Boléro de Ravel chorégraphié par Maurice Béjart, les compositions de Merce Cunningham ou encore des extraits de la bande originale du film Les Sept samouraïs d’Akira Kurosawa (1954). Comment s’approprier ces références passées considérées aujourd’hui comme classiques ?

Étienne Cuppens – À partir du moment où l’on cite des compositions connues et référencées, on extrait des propositions issues d’un imaginaire collectif. Certaines personnes n’ont pas forcément vu le Boléro de Ravel par Maurice Béjart, mais elles en ont l’impression… Partager ces fantômes et voir de quelle manière on les convoque est super intéressant. Il ne s’agit plus d’œuvres récemment sorties et hyper branchées, mais ce n’est pas pour autant qu’on ne les joue plus. Elles sont seulement interprétées différemment et font partie de notre héritage, tout le monde peut y avoir accès.

« Que ce soit dans les citations musicales et chorégraphiques, les éléments convoqués au plateau renvoient à cette idée de faire revenir les choses du passé. Un autre travail a été abordé sur le plaisir de convoquer deS actions ou éléments anciens, oubliés ou effacés », Étienne Cuppens

Unidivers – Le spectateur tient un rôle important dans votre travail – assis sur des chaises à roulettes, allongés dans des transats, etc. Il vous arrive de faire appel à lui et de le mettre en scène pour une expérience plus immersive.

Sarah Crépin Pillowgraphies est une pièce au dispositif plus classique dans la mesure où aucune technique immersive n’est présente – hormis la lumière noire. Cependant, nous restons dans un mode où le spectateur crée sa propre narration. Nous ne donnons que des pistes de fictions.

Étienne Cuppens – Le spectacle ne raconte pas d’histoire, car nous ne voulions fermer aucune porte – dire ce qu’il faut regarder et comprendre, etc. Sarah et moi avons une certaine méthode et notre propre appréciation des choses, mais Pillowgraphies est une proposition aussi libre que possible dans le but de créer un terrain de dialogue entre les enfants et les adultes.

Nous prenons les décisions en se plaçant du point de vue du public et en s’interrogeant sur nos envies de spectateurs. Si l’on était encore enfant, qu’aurions-nous envie de voir et qu’est-ce qui nous plairait ? Ce prisme nous aide à concevoir une création accessible au plus grand nombre.

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© Vincent Bosc

Unidivers – Le mot fantôme fait appel à un champ diversifié de possibilités. Quels fantômes ont bercé votre enfance ? À quoi vous fait penser ce mot ?

Étienne Crépin – Cette question a justement été posée pendant une rencontre avec des enfants. On parle généralement des personnes disparues comme les grands-parents, mais un petit garçon a répondu « moi, il y a mon chat qui est mort ». C’est étrange, car le spectacle met en scène des fantômes à forme humaine, mais tout devient possible quand un enfant se demande quel revenant il voudrait voir apparaître. L’animal domestique, la figure du compagnon, est effectivement une figure omniprésente à cet âge alors qu’en tant qu’adulte, nos fantômes renvoient systématiquement à l’humain.

Nous n’avons pas pu développer cet aspect, mais ces pistes de réflexions semblent très intéressantes. La notion de fantôme s’étend au-delà de cette forme normée et blanche avec un enfant : les animaux, les plantes, même les maisons, disparaissent et s’oublient, cependant elles peuvent réapparaître à l’image des chorégraphies, des musiques et des sons de films traités dans la pièce.

Sarah Crépin – Nous vivons dans une culture où la mort est définie comme la fin de tout. Dans d’autres cultures, les personnes décédées ne sont plus là physiquement, mais restent néanmoins présents par l’esprit. L’être disparu demeure à nos côtés et gardent un œil sur nous. Cette approche me touche particulièrement, j’ai vraiment la sensation de ne jamais être seule dans mon cheminement et dans ma vie… Je ne vois pas le fantôme comme un être malveillant. Certains enfants entrent dans la salle en ayant peur, car il renvoie forcément cette image négative. En même temps, ne vaut-il pas mieux être hanté que totalement vide ? C’est une vraie question (rires).

Unidivers – La mort en Occident reste en effet un véritable tabou et un sujet grave alors que d’autres cultures célèbrent les revenants : les Toraja (Indonésie) sortent les décédés de leur tombe chaque année et le jour des morts est une véritable célébration au Mexique. Cette approche de la mort renvoie de ce fait à la légèreté dont vous parliez précédemment…

Sarah Crépin – C’est vrai. On organise des ateliers dans les écoles pour parler de la pièce et quand on commence à interroger sur la mort, les maîtresses et maîtres restent tétanisés. Ça reste une question compliquée. C’est pourtant chouette de se dire que l’on hérite de tout ce qu’il s’est passé avant ! On a du plaisir à convoquer les chorégraphies de Maurice Béjart et ces musiques qui font partie de notre patrimoine. C’est rassurant de savoir que l’on a une structure et un appui pour avancer. Le passé permet de faire évoluer le présent, nous ne sommes pas dénués de tout héritage.

Unidivers – Je vous remercie Sarah Crépin et Étienne Cuppens.

pillowgraphies bazooka

Conception La BaZooKa (Sarah Crépin et Étienne Cuppens) / chorégraphie Sarah Crépin, en collaboration avec les danseur.seuse.s / avec (suivant les représentations) Yann Cardin, Sarah Crépin, Aurore Di Bianco, Flore Khoury, Claire Laureau-Renault, Sakiko Oishi, Matthieu Patarozzi, Marie Rual, Léa Scher, Taya Skorokhodova, Julien-Henri Vu Van Dung / mise en scène Etienne Cuppens / création lumière Christophe Olivier et Max Sautai / régie lumière Max Sautai ou Philippe Ferbourg / régie son Etienne Cuppens ou Hubert Michel

Production : La BaZooKa / Coproductions : Dieppe Scène Nationale, Le Volcan – Scène Nationale du Havre, Centre Chorégraphique National – Ballet de Lorraine (accueil studio 2017/2018), L’Arc – Scène Nationale Le Creusot, Théâtre de L’Arsenal scène conventionnée Art en Territoire, Danse – Val-de-Reuil / Accueils en résidence Dieppe Scène Nationale, Le Volcan – Scène Nationale du Havre, Centre Chorégraphique National – Ballet de Lorraine (accueil studio 2017/2018), Théâtre de L’Arsenal scène conventionnée Art en Territoire, Danse – Val-de-Reuil, Le Siroco – Saint Romain de Colbosc / Soutiens ADAMI et ODIA / La compagnie est conventionnée pour l’ensemble de son projet artistique par la Ville du Havre, la Région Normandie, le Ministère de la Culture et de la Communication (DRAC Normandie).

Site internet La Bazooka / Facebook/ Instagram

Le Triangle

TARIFS
18€ plein
13€ réduit
6€ – 12 ans
4€ / 2€ SORTIR !

PAS Triangle :
13€ plein
10€ réduit
5€ – 12 ans

AUTOUR DE
MER. 11 MARS
Atelier
Atelier « danse de fantômes »

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