Our pop song will never be popular
des Pilot Fishes
Collectif Danse Rennes Métropole – Un dimanche de 4 jours #9
« Dans Our pop song will never be popular (1èreversion) de Alina Bilokon & Léa Rault / Pilot Fishes – titre énigmatique, à l’étrange redondance […] le spectateur se soumet sans résistance à différents tests de manipulation mentale, tours de passe-passe où la vue et l’oreille sont également sollicitées par d’addictifs messages subliminaux qui voient sa volonté s’affaiblir, puis se flétrir tout à fait, alors que son esprit hébété s’évade et s’évapore dans un monde de fantasmes aux parfums opiacés ; rêve doux, chaud, et terrifiant… »
Ces quelques lignes sont extraites de l’article consacré au festival un dimanche de 4 jours #9 (voir notre article) organisé cet automne par le Collectif Danse Rennes Métropole. Il convient aujourd’hui, comme promis, de compléter ces premières notes sur Opswnbp.
Vers le début du spectacle, une voix féminine à l’accent exotique (slave ? latin ? impossible de trancher), aussi douce qu’autoritaire, nous assure que « même le négatif va devenir charmant ». Et assez curieusement le chroniqueur ne parvient plus aujourd’hui à se remémorer aucun moment de Our pop song will never be popular qui ne lui ait pas plu ! Autant dire qu’il a perdu toute impartialité, et que ce compte-rendu n’est pas forcément un exemple d’objectivité journalistique. Le conditionnement qu’il a subi semble encore actif, bien des semaines après, car même si la mémoire a imprimé en flashs indélébiles certaines scènes de ces deux représentations au Garage cet octobre, et que la chorégraphie savamment structurée de la pièce se prêterait bien à une description précise, quelque chose l’empêche toujours de témoigner trop précisément de ce qu’il a vu et entendu alors. Et puis d’ailleurs, ne serait-ce pas comme tenter de dévoiler à des spectateurs non avertis les secrets d’un tour de magie ? Cela ne se fait pas !
Contentons nous de dire que la pièce rend hommage à l’univers sensuel et cristallin de music-hall des films de Busby Berkeley ou les corps réifiés de poupées glacées à la peau d’argent dupliqués à l’infini par de complexes kaléidoscopes génèrent des images au pouvoir hypnotique. On y trouve aussi des mouvements empruntés aux défilés militaires, et plus généralement ce que l’on pourrait qualifier d’esthétique de l’ordre et de la répression, ainsi que des échos de spectacles de gymnastique acrobatique tels qu’on les imagine accompagnant les fêtes propagandistes ou slets d’Europe de l’est. Toutes ces influences, certainement mêlées à d’autres – danses rituelles antiques ? – qui nous sont moins familières, fusionnent sans qu’aucune ne domine et il ne faudrait pas envisager Opswnbp comme une chorégraphie excessivement référentielle.
Si le spectacle de Lisbeth Gruwez, It’s going to get worse and worse… my friend, qui nous avait tant marqué (voir notre article), semblait fonctionner sur une érotisation du mal, qui excite les bas instincts, attise la colère, la haine, les pulsions sadiques ou masochistes, Our pop song will never be popular proposerait, quant à lui, une érotisation de la peur. Épris d’amour, ou pour résister à un stress, le cerveau libère la même endorphine ! Le spectacle semble jouer de la fascination de la proie pour son prédateur. Il instille l’angoisse pour mieux la calmer, comme l’agent infectieux inactivé d’un vaccin. Opswnbp pourrait avoir des vertus thérapeutiques !
Le spectateur, engourdi de plaisir par des séries dédoublées de gestes étranges au symbolisme crypté accompagnées de paroles rassurantes, devient la victime consentante et passive d’un agréable lavage de cerveau.
Se rendre à la police. Être conduit par cerbère (ou plutôt Orthos chien bicéphale) aux portes de l’enfer. Se prendre dans la toile d’araignée. Se faire piquer par le scorpion. Se jeter dans les serres du griffon. Connaître la morsure du serpent. Se laisser embrasser par les tentacules d’une pieuvre. Être dévoré par les gueules de l’hydre. Se faire happer par le regard de la méduse. Voilà quelques-unes des images mentales – beaucoup de métamorphoses zoomorphiques – que peut suggérer, à la lisière de la conscience, Opswnbp. Après toutes ses épreuves imaginaires, mais non moins redoutables, le spectateur est enfin disposé à s’abandonner à la vaine ritournelle, si grisante, d’une chanson pop – ultime perversion !
Les Pilot Fishes, Janus post-moderne, se sont entourées du musicien Jérémy Rouault et de Thibaut Galmiche pour les lumières. Ces collaborateurs contribuent notablement à la réussite de ce spectacle, accessible à un public varié, plus large que celui qui fréquente habituellement les spectacles de danse contemporaine, et dont le concept ambitieux n’est jamais déçu par sa mise en œuvre concrète. Tous les spectateurs se sont accordés sur ce point au sortir de la salle : ils ont en eu pour leur argent, on ne les a pas bluffés!
Trop souvent, les artistes de grand potentiel qui ont su développer un talent naturel initial, en s’astreignant, pendant des années à un entraînement assidu, finissent par se complaire, au moment ou ils entrent en pleine possession de leurs moyens, dans le brio de leur technique. Complexe de narcisse. Combien de peintres figuratifs à l’habileté surnaturelle, qui maîtrisent sur le bout des doigts les règles de la perspective et les canons de l’anatomie, se contentent de produire des œuvres pompières, sans intention, sans audace. Il en est de même dans bien d’autres domaines de la création. Les Pilot fishes quant à elles réussissent à allier une grande maîtrise de l’art chorégraphique, avec un répertoire large incluant des gestuelles issues de la danse classique, du music-hall et de la danse contemporaine, tout en imposant un imaginaire fort, il faut le souligner.
Pas de photos du spectacle pour illustrer cet article. Les Pilot Fishes n’en fournissent pas pour le moment. Elles savent attiser la curiosité en frustrant les médias ! Elles restent underground avant de conquérir le monde ! Et puis sans doute ont-elles des choses à cacher… Elles ne veulent pas encore montrer certains trucs que d’autres artistes pourraient être tentés de voler. Ajoutons que de soi-disant imprésarios ont tenté, en vain, de corrompre le personnel du Collectif Danse Rennes Métropole afin d’obtenir une copie de la captation vidéo du spectacle.
Attention, les places pour les prochaines représentations, notamment à Loudéac et Saint-Brieuc, risquent d’être prises d’assaut et les malheureux retardataires, déjà addictés au spectacle suite aux représentations Rennaises devront arracher leur billet à prix d’or au marché noir. Et les revendeurs aux rictus bifides qui hantent la nuit les ruelles sordides et moites près des docks de ports bretons vont se frotter les mains…
OUR POP SONG WILL NEVER BE POPULAR
Conception et interprétation : Alina Bilokon, Léa Rault
Création musicale : Jérémy Rouault
Création lumières : Thibaut Galmiche
Conseils dramaturgiques : Éléonore Didier
Production : Pilot Fishes