C’est à Clohars-Carnoët que le maire de la commune Jacques Juloux concrétise peu à peu le projet « Gauguin, l’atelier du Pouldu ». Cet atelier, sis au Pouldu, consistera en un centre d’interprétation consacré au peintre post-impressionniste et à ses amis artistes (Sérusier, Filiger, de Haan) qui s’y installèrent en 1889, fascinés par les couleurs de la côte bretonne. Ce futur centre d’interprétation prendra place à côté de la maison-musée Gauguin.
Depuis 2013, l’émission « Une maison, un artiste » diffusé par France 5 revisite « la vie et le parcours de quelques grands noms du monde des arts et de la culture, ou de ceux qui ont laissé une trace dans notre mémoire en dévoilant les maisons qui ont marqué leur existence et nourri leur imaginaire ». Une émission accessible en replay, devenue un incontournable des programmes de l’été du paysage audiovisuel français et qui en est aujourd’hui à sa 12e saison avec la maison d’Edouard Glissant au Diamant, à La Martinique.
Ce documentaire est consacré à la Buvette de la Plage au Pouldu. Nombreux sont les peintres qui se sont installés en Bretagne au XIXè. Et, notamment, à Pont-Aven qui n’a pas manqué de susciter la comparaison avec la cité des peintres de Barbizon. Ils sont bien plus rares, par contre, ceux qui se sont aventurés sur les landes et les dunes isolées du Pouldu. Paul Gauguin est de ceux-là. Et c’est le mérite de ce documentaire de mettre ceci en valeur.
Situé à l’estuaire de la Laïta, le petit hameau du Pouldu est dans les années 1880 complètement à l’écart. Quelques maisons et villas sur la route menant à la plage qui n’ont rien d’une station balnéaire, c’est juste le début des bains de mer. Gauguin séjournant à Pont-Aven, tout proche, est venu déjà par deux fois au Pouldu -en 1886 puis 1888 et y reviendra une dernière fois en 1894. En octobre 1889, il s’installe à la Buvette de la Plage, choisissant de fuir la foule de Pont-Aven et cherchant la tranquillité pour créer, il y reste jusqu’en 1890. Le documentaire s’attache à ce séjour à l’auberge, en bord de mer, tenue par Marie Henry que l’on nomme Marie Poupée en raison de sa beauté et de sa gentillesse. Et il prend le parti de resituer ce séjour dans une approche chronologique balayant toute la vie de Gauguin. Comment ce décor de la Buvette de la Plage sur fond de paysages marins grandioses où Gauguin va vivre plusieurs mois va-t-il marquer l’histoire de la peinture ?
La Buvette de la Plage ? Point de Villa Giverny, ici, avec Monet et toute une famille recomposée autour du maître impressionniste. Ni de maison-case à la Martinique, ouverte à toutes les rencontres de la créolisation pour Edouard Glissant. Dans sa thébaïde du Pouldu, Gauguin qui a laissé derrière lui femme et enfants, trouve pour compagnons de solitude ses amis peintres, le hollandais Meyer de Haan, Charles Filiger et Paul Sérusier. Le rêve d’un « atelier de Bretagne » ? Le documentaire éclaire les relations d’amitié qui se jouent à l’auberge et dans les lettres. Relations de complicité artistique, comme avec le jeune peintre Emile Bernard plein d’une audacieuse fièvre créatrice ou avec de Haan qui prend des cours auprès du maître en art nouveau et synthétisme – mais teintées d’un brin de jalousie envers de Haan qui a les faveurs de Marie Henry.
Ce lieu très austère du Pouldu, choisi pour son isolement par le chercheur d’absolu qu’est Gauguin qui mise désormais tout sur sa création, est en même temps un lieu de solitude éprouvante pour lui – ses lettres à sa femme et à ses amis le montrent à plusieurs reprises démoralisé. D’autant que Gauguin manque cruellement de revenus et est obligé de laisser ses toiles en gages à Marie Henry.
Il est une relation féminine qui marque ce séjour au Pouldu. C’est l’amour de Gauguin pour Madeleine Bernard (1871-1895), la sœur d’Emile Bernard. Gauguin, amoureux deux ans durant de cette jeune femme remarquable venue l’été 1888 à Pont-Aven, a réalisé à la pension Gloanec son superbe portrait qui apparaît dans le documentaire. Du Pouldu, il lui écrit plusieurs lettres. Cette jeune femme de haute teneur qui fut immortalisée par la chanson des Tri Yann, « Madeleine Bernard » (1995), a été mise en visibilité dans la biographie Madeleine Bernard la songeuse de l’invisible par Marie-Hélène Prouteau (2021), dont Jean-Louis Coatrieux a rendu compte dans nos colonnes (voir l’article). David Haziot dans le documentaire livre d’elle et de cette relation une évocation assez lisse qui n’est pas à la mesure de cette personnalité marquante à la destinée bouleversante.
Le documentaire s’attarde sur la salle à manger décorée de peintures de l’auberge devenue la Maison-Musée Gauguin, qui, depuis 1989, reproduit à l’identique les lieux. L’on voit entre autres la fameuse « Oie » de Gauguin. Chacun des artistes s’est employé à en décorer plafonds, murs et panneaux. Moments de création heureuse, l’hiver, notamment, en ces temps de mois noirs, relayés par des moments de musique, mandoline, guitare et piano, la seule distraction dont ils disposaient.
Le film passe rapidement sur les paysages inspirants, chemins creux et bois, nombreux dans les alentours, perspective plongeante des plages et criques s’écartant du réel et en rupture avec l’impressionnisme. Car, au Pouldu s’est jouée la rencontre d’un artiste génial avec le territoire. Rencontre aussi avec les matériaux que manipule Gauguin pour ses sculptures – le bois, la terre, différents matériaux, comme le dit, à juste titre, Maud Naour du Centre d’interprétation Gauguin, L‘atelier du Pouldu. L’aventure du Pouldu marque à l’évidence un moment fort de ses recherches formelles vers le « synthétisme ».
Quelle « synthèse » Gauguin élabore-t-il de ce paysage breton où il est plongé au Pouldu ? Si le documentaire fait ressortir le lien de la création de Gauguin à ses sources d’enfance au Pérou, qui ne passent pas par le filtre classique de l’art grec, on voit moins l’éclairage sur cette question. Le rapport de Gauguin aux hommes et aux femmes qu’il rencontre sur ces terres sauvages, ceux qu’il a peints, goémoniers, paysans au travail, est évoqué dans sa recherche du « sauvage ». Le pittoresque ne l’intéresse pas, moulins et pêcheurs ne retiennent pas son attention. La mer, par contre, si. Les falaises abruptes, les gouffres vertigineux du Pouldu se retrouvent dans ses tableaux comme, par exemple, La Vague ou Pêcheuses de goémon -tableau puissant de ramassage du goémon qui a donné lieu à plusieurs études. Ces tableaux sont présentés dans le défilé des œuvres, mais trop rapidement. Et, étonnamment, rien n’est dit du japonisme de Gauguin mis en avant par des spécialistes de Gauguin et de l’Ecole de Pont-Aven, tels Denise Delouche ou André Cariou. Les lieux du Pouldu sont un laboratoire pour l’art nouveau de Gauguin, capable d’intégrer des éléments frappants par leur étrangeté, comme l’art de l’estampe japonaise, notamment d’Hokusaï. On reste ainsi un peu sur sa faim.
Pour les spectateurs intéressés par un des lieux en Bretagne qui ont marqué l’imaginaire de Gauguin et désireux d’alimenter leur curiosité, il y a la possibilité de se rendre à la Maison-Musée Gauguin au Pouldu. Et bientôt au Centre d’interprétation Paul Gauguin, L’atelier du Pouldu, qui ouvrira en juillet 2025 in situ.
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