Conscient de la nécessité de réduire son empreinte environnementale, le secteur culturel s’est engagé dans une démarche de transition écologique. À Rennes, quelle réponse la Ville a-t-elle mise en place et de quelle manière entend-elle faire évoluer sa politique ? Les équipements culturels rennais sont invités à repenser leur fonctionnement dans une logique écoresponsable. Unidivers a interrogé à ce sujet Benoît Careil, adjoint à la culture, ainsi que Matthieu Rietzler et Marion Étienne, directeur et référente développement durable de l’Opéra de Rennes (voir l’article dédié ici).
En réponse à la catastrophe climatique qui menace notre terre, nous devons réapprendre à vivre de manière sobre. La quasi totalité des secteurs d’activités n’a d’autre choix que de s’adapter, à l’image de la culture dont les activités génèrent un fort impact environnemental. La production et la diffusion des œuvres, la création et l’entretien des infrastructures, les déplacements et transports (œuvres, artistes, public) pèsent dans le bilan carbone des industries culturelles et créatives. Depuis longtemps conscient de ces problématiques, la Ville de Rennes pilote depuis 2014 une politique culturelle en ce sens. D’ici la fin d’année 2023, les Directions de la Culture, de la ville de Rennes et de Rennes Métropole éditeront d’ailleurs La Transition écologique dans la culture en actions. Ce document interne résume les actions concrètes mises en place dans la capitale bretonne qui apparait en avance par rapport à de nombreuses villes de France. Mais alors, où en sommes-nous à Rennes ?
Une politique culturelle coconstruite avec ses acteurs
En 2014, Benoît Careil compte parmi les douze élus écologistes qui arrivent à la mairie lors de l’élection de Nathalie Appéré, qui s’est alliée avec la liste EELV-Front de Gauche. Il obtient le poste d’adjoint délégué à la Culture. Dans les grands axes de son projet pour la culture se trouvent les enjeux environnementaux. En 2015, les États Généraux de la Culture, engagement qu’il obtient dans la fusion des partis, sont l’occasion de parler du projet culturel de la ville avec l’ensemble des acteurs et les habitants. La transition écologique et notre écoresponsabilité sont évidemment abordés. « Le collectif des festivals existait déjà à Rennes, cette expérience de quelques festivals qui menaient des actions assez singulières autour des déchets », précise-t-il en citant l’association fondée en 2008.
Au terme d’écoresponsabilité, l’élu préfère d’ailleurs celui d’« écoconditionnalité », terme qui désigne la subordination des achats ou le versement d’aides publiques au respect de principes et critères environnementaux. Tout ce qui a été mis en place à partir de cette année-là affirme les volontés de Rennes Métropole et de la ville de relever les défis d’un développement durable dans les politiques culturelles. « En 2015-2016, il y a eu une convergence de volonté politique et de coconstruction avec les acteurs pour qu’on avance ensemble dans cette transition. On a décidé avec Corinne Poulain, alors directrice de la Culture de la Ville de Rennes et de Rennes Métropole, de réfléchir à un dispositif d’écoresponsabilité qui engagerait la ville, ses équipements en régie et les partenaires institutionnels et associatifs dans une amélioration continue à ce niveau. » L’outil d’autodiagnostic ludique et pragmatique, nommé La Boussole, est mis en service en 2018. Il engage chaque acteur de la culture, quelle que soit sa nature (équipement, organisateurs d’événements et collectivités), et revient sur les quatre piliers du développement durable : environnement, économie, social et management. Chaque structure doit remplir un tableau d’actions et sélectionner la mention « réalisées », « en cours » ou « à faire » afin de voir ses points faibles. Le but est d’inscrire son engagement dans la durée avec des objectifs d’amélioration annuels.
Les acteurs culturels subventionnés ont aujourd’hui l’obligation de renseigner la boussole pour valider leur demande de subventions. « Les autres services de la ville ont également souhaité s’engager dans cette transition écologique », se félicite Benoît Careil qui se souvient des montagnes de déchets après le passage de Tout Rennes Court, il y a quelques années. « Ce qui a été mis en place dans la culture est réutilisé et adapté pour les autres politiques sectorielles. »
Se rencontrer pour mieux partager et mutualiser
Depuis 5 ans, chaque structure culturelle possède ainsi un référent développement durable dans le but de fédérer l’ensemble du secteur. Tous les référents se réunissent trois fois par an dans les « Cafés hulottes », qui tirent leur nom de la démission de Nicolas Hulot en 2018, afin de se rencontrer, d’échanger sur ce qu’ils vivent avec les équipes et de travailler collectivement sur ces questions-là.
Dans le prolongement des États Généraux de la Culture, la ville a aussi souhaité réunir les partenaires culturels une fois par an dans une assemblée. Ils abordent ensemble un sujet avec des témoignages, des tables rondes et des ateliers dans le but de créer un lien et une dynamique de partage. « Le fait de se retrouver dans une même pièce et d’échanger est hyper efficace », affirme Benoît Careil. « La grande nouveauté, et une des réussites de ce mandat, c’est que tout le monde est présent et s’écoute : le TNB, le musée des beaux-arts, le collectif électro et l’asso punk. C’est assez précieux, d’autant plus qu’on cherche, dans un souci d’efficacité, à changer les pratiques, à faire coopérer les gens entre eux, à prêter du matériel et à ouvrir les espaces de travail ».
L’Opéra de Rennes compte parmi les structures qui coopèrent volontiers avec les associations, y compris les petites. « On a demandé à l’opéra de ralentir en termes de productions. Elles sont toutes partagées avec Angers-Nantes Opéra ou La Co[opéra]tive, un réseau d’opéras et de scènes nationales », explique-t-il. « Des productions sont réalisées à Nantes et diffusées à Rennes, et inversement. Il y a donc plus de temps libre de plateau et ce temps peut être consacré à accueillir des projets portés par d’autres structures. Ça évite à la ville de consacrer des millions d’euros à construire un nouveau lieu et des centaines de milliers à le faire fonctionner. Cela permet d’optimiser les lieux et leurs charges. » En charge du projet de La Boussole avec l’adjoint à la culture, Corinne Poulain le décline quant à elle aux Champs libres et la MJC La Paillette est aussi très investie dans cette coopération.
Restaurer plutôt que construire
Le projet de la maison du cinéma au sein de l’ancien cinéma Arvor est un parfait exemple de ces problématiques budgétaires. « Le budget de la culture ne baisse pas, il est actuellement à un peu plus de 30 millions d’euros », précise l’élu avant de continuer : « Par contre, effectivement, les partenaires sont pénalisés puisque le budget global de subventions, pour la culture comme pour l’ensemble des secteurs, n’augmente pas depuis quelques années. Les quelques millions d’euros supplémentaires sur le budget de la ville, qu’on a parce que la population augmente ce qui signifie plus d’impôts, sont mis sur la création de nouveaux bâtiments, une école tous les deux ans et tout ce qui est en lien : crèches, centres de loisirs et gymnase. »
La Maison du cinéma devait réunir plusieurs associations dont Unis Vers 7 Arrivé, Comptoir du doc et Clair Obscur, mais après une étude, les travaux ont été estimés à 2 millions d’euros. La ville a récemment annoncé l’abandon du projet et la vente à un acquéreur qui développerait un projet culturel, une condition chère à Benoît Careil. « La culture est composée de financements publics, mais aussi de fonds indépendants. Cette contribution peut occasionnellement aider la collectivité à créer de nouveaux lieux », souligne-t-il. Face à l’abandon du projet, certaines associations de cinéma – Clair Obscur et Unis Vers 7 Arrivé, mais aussi Films en Bretagne – ont élu domicile à l’école Créative Seeds de Cesson-Sévigné dans le but in fine de créer un pôle Cinéma. « Les budgets sont tels qu’ils sont, on est obligés de prioriser les urgences. Tout le PPI (Programme Pluriel d’Investissement) a été réorienté vers des investissements qui réduisent la consommation d’énergie, soit tous les travaux d’isolation. » Le bâtiment du Triangle – cité de la danse, véritable passoire thermique, comptera parmi les priorités. La question se pose également pour l’Opéra de Rennes, bâtiment du XIXe siècle.
Rennes Métropole a d’ailleurs adopté en 2019 le Plan Climat Air Énergie Territorial (PCAET). Il marque l’engagement du territoire dans la lutte contre le réchauffement climatique et la transition vers un territoire « post-carbone ». Dans ses principaux objectifs, il vise une baisse des consommations d’énergie de 40 % à l’horizon 2030 et de 60 % pour 2050.
« La Métropole et la Ville sont en dialogue permanent avec leurs partenaires, et encore plus avec leurs structures en régie. Ils partagent avec ces personnes-là ces enjeux d’écoresponsabilité. Tout le monde s’instruit mutuellement des façons d’être plus sobres et moins productrices de CO2. »
Ralentir et renoncer
À l’image de l’Opéra de Rennes qui a diminué sa production de spectacles, les structures muséales ont renoncé à leurs trois expositions annuelles pour n’en proposer plus que deux, plus longues. « Les transports sont la principale source de production de CO2, passer de trois à deux expositions par an pour réduire l’empreinte écologique est hyper efficace. »
Les matériaux sont réutilisés et réemployés pour d’autres expositions ou d’autres usages. Les œuvres sont transportées, dès que faire se peut, dans les mêmes véhicules afin d’éviter de multiplier les transports. Les expositions sont pensées de manière à éviter le transport d’œuvres trop loin géographiquement. « La vie culturelle à Rennes est foisonnante, je ne pense pas que ça va créer un petit manque », selon l’élu. « Il y a un moment où on ne pourra plus renoncer, mais ce qui compte c’est la permanence de la vie culturelle. Cette question du renoncement est nouvelle, mais on réduit à certains endroits, en faisant en sorte que la vie culturelle investisse des temps qui ne l’étaient pas avant », tels les dimanches à Rennes qui datent du premier mandat de Benoît Careil. L’idée est de mieux répartir pour une omniprésence de la vie culturelle toute l’année et éviter du mieux que l’on peut les embouteillages de propositions entre octobre et novembre, et mars et avril.
Ce discours de renoncement touche également les festivals qui ont réduit leur temps d’exploitation (Le Grand Soufflet, Mythos, Maintenant). « On propose même à certains organisateurs de passer en biennale. » Il en va de même pour les collectifs de musiques électroniques que Benoît Careil a récemment rencontrés. « La ville accorde 10 opens air en période estivale. On a proposé dès le début qu’ils se réunissent autour d’un événement, mais la conséquence qu’ils avancent aujourd’hui, c’est qu’ils n’arrivent plus à déployer leurs projets artistiques. C’est tout à fait pertinent et sensé », admet-il. « Si on veut permettre le déploiement de nouveaux courants musicaux, il faut aussi qu’ils s’épanouissent en investissant tous les temps d’un événement. Je pense qu’il y a des limites à cette solution, et que ça nous obligera à en autoriser certains et pas d’autres, ce qui reste compliqué. »
Vers une écoconditionnalité des équipements culturels
La ville de Rennes souhaite prochainement mettre en place l’écoconditionnalité et l’égaconditionnalité. Comme le premier, le concept promeut de conditionner le versement de subventions à des actions pour atteindre l’égalité femmes-hommes.
Dans les années à venir, la boussole connaîtra ainsi des évolutions quant à son utilisation. Les partenaires culturels seront invités à réfléchir à quatre actions dans la boussole afin de les améliorer sur une année. « On essaiera de trouver un moyen de contrôler, mais on mise surtout sur la confiance et le dialogue intelligent. » Si au rendez-vous annuel qu’il réalise avec chaque structure subventionnée aucune avancée n’est constatée, voire qu’un recul est mis en évidence sans réelle justification, cela pourrait engendrer une baisse des subventions jusqu’à ce que la structure revienne au seuil qui était prévu. « Depuis la période du covid, on a connu un changement dans les relations avec les partenaires et dans l’attribution des subventions. Certaines ont été baissées de 5 % pendant une année, parce qu’il y avait besoin de solidarité entre ceux qui ont été particulièrement fragilisés et ceux qui étaient en très bonne santé financière en raison de l’arrêt de leur activité, du maintien des subventions et des aides de l’État », nous apprend-il. « Les pratiques vont évoluer, je n’en doute pas une seconde, et ceux qui n’évolueront pas n’auront pour moi plus leur place dans un secteur public. Le service public implique des conditions et des exigences qui ne sont pas celles du secteur privé. »
« On ne peut pas se réjouir de vivre plus sobrement, on l’accepte, on se met d’accord sur les règles communes qui s’appliquent à tous et on partage l’effort. Ce qui doit nous réjouir, c’est qu’on aura la tête haute quand nos enfants nous demanderont ce qu’on a fait pour arranger la situation. »
À lire également sur Unidivers :