Poufs aux sentiments est la dernière création de Clédat et Petitpierre, artistes habitués de la scène rennaise. Elle sera prochainement présentée au Triangle dans le cadre du festival Waterproof, mercredi 1er février 2023. Fable onirique et drolatique, le spectacle de danse est une invitation à rencontrer deux créatures, tout en extravagance et volupté, au milieu d’un décor de verdure. Une création légère et décalée qui rend hommage à l’amour.
Après la Parade moderne, les Baigneurs, Les Mariés, même et Vénus parade, Clédat et Petitpierre, artistes associés du Triangle – cité de la danse, sont de retour à Rennes avec une nouvelle création haut en couleurs et fantaisie, Poufs aux sentiments. Deux créatures affublées de perruques blanches cotonneuses surdimensionnées, en référence aux coiffures ornementées chères à Marie-Antoinette, évoluent sur scène dans un jardin à la française qui s’anime au fil du spectacle. Sur des notes baroques et des pas de Belle Danse, les interprètes Sylvain Prunenec et Ruth Childs dansent le sentiment amoureux, un des thèmes fétiches du couple d’artistes depuis plus de 30 ans…
Ni interprète, ni chorégraphe, le duo est à l’image de ces artistes pluriels à la Steven Cohen et Gisèle Vienne, des artistes difficiles à classer et qui ne veulent pas l’être. Seule compte la liberté créative. En couple à la ville comme à la scène depuis 1986, Yvan Clédat et Coco Petitpierre ont développé un univers à cheval entre le spectacle vivant et les arts plastiques. Décalé, leur monde artistique l’est certainement, et toujours teinté d’onirisme et de poésie.
Évoluant dans le spectacle vivant pendant plusieurs années, Coco en tant que costumière et Yvan comme scénographe et photographe, le couple a développé un art en constante évolution, au sein duquel la sculpture a le rôle principal. « Notre pratique a longtemps été celle de plasticiens, de producteurs d’objets », déclare Yvan Clédat. « Après avoir expérimenté le spectacle vivant, nous nous sommes consacrés aux sculptures à activer, de gros objets dans lesquels nous pouvions prendre place. » Sont alors nés des costumes contraignants inspirés de l’histoire de l’art, de l’histoire et de l’archéologie. Le duo pioche à volonté dans ce patrimoine commun, « formidable boîte à outils » et s’amuse des anachronismes en réalisant des créations qui mélangent les styles et les époques.
Le corps disparaît totalement et se métamorphose sous ces secondes peaux surdimensionnées dans le but, pour le duo, de pénétrer le vivant et de l’activer. « Il y a toujours eu l’idée de dire qu’il s’agissait de sculpture inerte qu’on pouvait activer, un bonus en quelque sorte. » À la base de leur processus créatif, le costume entrave le corps et contraint la gestuelle et le mouvement dans l’idée d’inventer une forme qui soit une modification du schéma corporel. Le langage corporel naît ainsi de ces contraintes, « de ce qu’on imagine être la façon de se mouvoir des créatures créées et de leur rapport entre elles ».
À la fois sculptures à exposer et matière à performer, les œuvres de Clédat et Petitpierre n’habitent pas seulement les espaces public et muséal. Elles ont pris le chemin des scènes de théâtre à partir de 2017, avec le spectacle Ermitologie. « Chaque espace est dévolu à une discipline et n’est pas forcément adapté à une autre discipline », précise-t-il avant d’ajouter : « Travailler avec des interprètes et des personnes de talent permet de concrétiser nos projets comme on les rêve. » Depuis plusieurs années, le duo s’entoure ainsi de Stéphane Vecchione à la création sonore et Yan Godat à la création lumière pour chaque spectacle.
Leur appétence pour le travail en atelier et la réalisation d’objets d’art se prolonge ainsi sur scène, dans des spectacles de danse. « On ne pense pas les spectacles en termes de scéno, mais comme de la sculpture posée sur scène, ce qui modifie beaucoup de choses dans le rapport qu’on a aux objets et aux costumes. Nos objets sont assez éloignés des principes généraux de la scénographie : vus frontalement, de loin, avec une lumière particulière. On aime que les objets soient visibles y compris en plein jour, même s’ils ne sont jamais montrés de cette manière parce qu’ils appartiennent à un spectacle. »
Au-delà d’interroger les espaces (public, de la scène, d’exposition), il est avant tout question de temporalité dans leur choix de représentation. « Il s’agit de deux modes de conception différents : la délicatesse de la scène et le côté plus brut de l’espace public. ». D’un côté, la trame narrative, la construction dans le temps et le public en face qui regarde ce qui se déroule. De l’autre, l’immédiateté de l’environnement extérieur et son agressivité en termes de bruit, d’agitation et de météo. « La passivité qu’on trouve dans une salle de spectacle n’existe pas dans l’espace public. »
Ce n’est pas dans le brouhaha ambiant de l’espace public mais bien sur scène que les dernières créatures de tissu de Clédat et Petitpierre évoluent. Qu’il s’agisse de sculptures à activer ou d’une création chorégraphique, une image est à l’origine de chacun de leur projet et Poufs aux sentiments ne fait pas exception. « On est tombés sur une caricature de pouf, ces fameuses coiffures chères à Marie-Antoinette. La personne était de dos avec des bas et des petites chaussures à talons typiques du XVIIIe siècle. Il n’y avait que les fesses et les gambettes qui apparaissent sous une monticule de cheveux », décrit-il. Cette mode capillaire sera d’ailleurs à l’origine du petit nom d’oiseau qu’on connaît tous et toutes, mais qu’on ne citera pas…
Comme à l’accoutumée, le duo est parti d’un élément et a tissé une trame narrative au fur et à mesure des recherches pour créer un spectacle et enrichir le propos, sans prêter attention aux cohérences chronologiques. Le couple a tiré le fil de la création artistique et construit une chorégraphie poétique qui rend hommage à l’amour. « Le couple comme une petite entité qui résiste à l’adversité, qui fait bloc dans ce monde si vaste, c’est une idée qui nous plaît beaucoup », confie l’artiste. « Toutes les sculptures à activer sont des histoires de couples, que ce soit de bonhommes de neige, de santons suisses, Adam et Ève, on a beaucoup tourné autour de ce sujet parce qu’on est physiquement présents tous les deux. C’est notre histoire. »
Aidés par Céline Angibaud, spécialiste de la danse baroque, Clédat et Petitpierre ont puisé dans les codes de cette dernière, mais également du ballet burlesque. Ce dernier est né en réaction à la danse géométrique du XVIe siècle, danse très ésotérique qui consistait à tracer des formes, des signes au sol pendant des heures. Ce mouvement apparaît alors comme un aïeul du travail de Clédat et Petitpierre. « Les corps étaient affublés de gigantesques costumes, extrêmement contraignants dans l’idée d’éclater, de fragmenter, de modifier le corps. D’après ce qu’on peut savoir, les chorégraphies se seraient construites à partir des costumes. »
Les créatures molletonnées gambadant dans une scénographie aux allures de jardin à la française ont naturellement hérité des codes de la Cour, piquant aussi par-ci par-là des éléments au mouvement de la préciosité. Une mode littéraire du XVIIe qui s’est fortement attachée aux sentiments et à la description des sentiments amoureux. Pendant cette courte période, les auteurs et autrices ont réinventé un langage sophistiqué dont s’est d’ailleurs allègrement moqué Molière dans Les Précieuses ridicules. « Mme de la Fayette et Madeleine de Scudéry en faisaient partie, on voulait parler de ces femmes qui ont fait salon et littérature dans un siècle où il était compliqué de faire de l’art pour elles ». Un passage particulier de Clélie, une histoire romaine de Madeleine de Scudéry, un best-seller dans les librairies de l’époque, compte d’ailleurs parmi leurs références. « L’héroïne du roman explique dans un passage très beau comment passer de l’état de nouvelle amitié à tendre, qui est l’amour. Toutes ces émotions qui égrainent l’évolution de ce sentiment sont représentées sous la forme de villages. Ce passage a fait l’objet d’une illustration qui s’appelle la carte de Tendre. »
Contrairement aux précédentes créations, les visages fardés à la mode de la Cour se révèlent dans Poufs aux sentiments. Une nouveauté qui permet de jouer avec l’expressivité naturelle des interprètes : Sylvain Prunenec, danseur précis et musical dont l’humour et le petit grain de folie intérieure font écho en les artistes et Ruth Childs, une grande danseuse au visage expressif au service d’un jeu d’actrice. « Ça aurait été du gâchis de ne pas profiter de leur expressivité. Peut-être qu’on ne dissimulera plus personne… ce sera à voir dans le prochain spectacle », conclut-il comme un appel à rester attentif à leurs prochaines créations : une monumentale installation en mousse pour les enfants à la galerie Beaubourg mise en place d’ici une quinzaine de jours, mais surtout un opéra baroque commandé par La Coopérative, association qui regroupe six scènes nationales, prévu pour 2025. Une aventure artistique qui amènera ces artistes en recherche constante de renouvellement vers de nouveaux horizons. Mais en attendant, vous prendrez bien une dose d’amour au Triangle le 1er février 2023 ?
Poufs aux sentiments de Clédat & Petitpierre – association TWENTYTWENTY est à découvrir mercredi 1er février 2023 à 20 h 30 au Triangle – cité de la danse, boulevard de Yougoslavie, dans le cadre du festival Waterproof.
Tarif unique 12 €, Waterpass 8 € et carte SORTIR ! 4€ (2€ enfant) (Billetterie en ligne)
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