L’Antarctique est situé dans la zone polaire de l’hémisphère sud et est bordé par l’océan austral. L’Antarctique est un continent terrible à l’échelle humaine : froid, sec et venteux. C’est un désert, avec des précipitations annuelles de 200 mm le long des côtes et beaucoup moins à l’intérieur. La température y est en moyenne inférieure à -50°C. Les organismes de l’Antarctique comprennent des d’algues et des lichens, des bactéries, des champignons et des plantes de type toundra. Les animaux vont des acariens et des tardigrades aux manchots et aux phoques.
Imaginé dès l’Antiquité, évoqué dans des légendes polynésiennes, suspecté lors du second voyage de James Cook (1772-1775) qui sera le premier à franchir le cercle polaire, l’Antarctique fut aperçu pour la première fois par Fabian Gottlieb Bellingshausen, officier de marine russe, en 1820. La même année un baleinier américain, John Davis y accosta le premier. Les explorations françaises (1837-1840) de Jules Dumont d’Urville et britanniques (1839-1843), menée par James Clark Ross (1839-1843) précisèrent un peu plus la géographie du continent. En 1895, Henryk Johann Bull un baleinier norvégien accompagné de Carsten Borchgrevink, autre Norvégien installé en Australie, débarquèrent au Cap Adare. Carsten Borchgrevink organisa en 1899 avec le Southern Cross une seconde expédition qui réussit à hiverner tout en menant des travaux scientifiques (British Antarctic Expedition 1898–1900).
Adrien de Gerlache de Gomery, mène une expédition au Pôle Sud avec la Belgica (1897-1899) : à bord le second lieutenant était Roald Amundsen et le médecin Frederick Cook qui se distingueront respectivement dans la conquête le premier du Pôle Sud et le second au Pôle Nord. L’expédition allemande (1901-1903) baptisée Gauss fut menée en Antarctique par Erich Dagobert von Drygalski. L’expédition Scotia, elle est menée entre 1902 et 1904 par William Speirs Bruce, un naturaliste écossais : elle fut ignorée par les autorités scientifiques britanniques de la Royal Society et de la Royal Geographical Society de l’époque car trop « régionaliste » dans sa composition et son financement. Il nous faut citer aussi, les expéditions de Robert Falcon Scott, la Discovery (1901-1904) avec Ernest Shakleton et Terra Nova (1910-1913) ou Scott périra épuisé avec ses compagnons, constatant la victoire imparable au Pôle Sud car hautement préparée de Roald Amundsen (1910-1912). Bien sûr Shackleton ne sera pas en reste avec l’expédition Nimrod (1907-1909) qui le verra s’arrêter à 180 km du Pôle par épuisement et surtout l’Endurance (1914-1917) dont le projet grandiose était la traversée du continent, qui commença par un échec (la perte de son navire écrasé par le pack de glace) pour donner suite à une immense odyssée de plusieurs milliers de kilomètres pour réussir à ramener sain et sauf son équipage. Citons enfin, sans doute beaucoup moins physiques mais hautement scientifiques, les expéditions de notre Commandant et médecin Jean-Baptiste Charcot qui mènera deux expéditions au Pôle Sud sur le Pourquoi-Pas (1903-1905 et 1908-1910).
Premiers gestes médicaux :
L’expérience de ces pionniers était modeste en la matière et les résultats parfois funestes. Lors de l’expédition de Carsten Borchgrevink (Southern Cross Exp) en 1898, le Médecin était Herlof Klovstad (1868-1900), résident dans un hôpital psychiatrique qui utilisait du chloroforme pour tuer des albatros pour le zoologiste Nickolai Hansen (1870-1899). Ce dernier souffrait d’un problème intestinal avec des douleurs et des vomissements. Klovstad effectua « une opération légère », insérant un tube dans le flanc gauche de l’abdomen de Hansen. Du liquide sortit du tube. Hansen sembla s’améliorer un peu mais mourut le lendemain. Klovstad n’a rien écrit sur l’affaire, et l’utilisation du chloroforme n’a pas été documentée. Les interventions suivantes sous anesthésie générale concernèrent une extraction pour abcès dentaire (Première expédition de Robert Scott : 1901-04) et le drainage d’un abcès prostatique (Expédition allemande : 1901-03) ou furent utilisés respectivement l’éther et le chloroforme sans que l’on ait de réelles précisions sur les conditions d’administration de ces produits. On frémit en lisant les notes d’Edward Wilson, qui donna l’anesthésie lors de l’extraction dentaire :
Je lui ai donné sur le plan pratique selon l’expérience que j’avais acquise en la recevant moi-même l’année dernière (ayant un abcès axillaire incisé) ».
Le cas d’Aeneas Lionel Acton Mackintosh
Le premier patient opéré, au sens moderne du terme, fut Aeneas Lionel Acton Mackintosh. Celui-ci était né le 1er juillet 1879 à Tirhut, en Inde et entra en 1894 dans la marine marchande où il progressa d’officier subalterne à premier officier et enfin capitaine d’un navire de la célèbre P & O Company. En 1907 Mackintosh reçut l’autorisation de rejoindre comme navigateur et second officier du Nimrod, la British Antarctic Expedition (1907-1909) dont le chef était le charismatique et parfois fantasque Ernest Henry Shackleton pour qui l’enthousiasme et un courage sans borne palliaient à une préparation parfois médiocre. C’était la seconde expédition de Shackleton sur le Continent blanc et la première pour Mackintosh. Le 31 janvier 1908, peu de temps après l’arrivée de leur bateau le Nimrod à McMurdo Sound, alors qu’il aidait à décharger des provisions et aidait au transbordement des traîneaux de l’expédition, un crochet traversa brutalement le pont et le frappa à l’œil droit, le détruisant pratiquement. Eric Marshall, le médecin principal de l’expédition, le fit immédiatement emmener dans la cabine du capitaine où il l’opéra avec l’aide d’Alister Mackay, autre médecin et vétéran de la Guerre des Boers et Rupert Michell pour énucléer l’œil, en utilisant un équipement chirurgical partiellement improvisé. Il utilisa une combinaison d’atropine, de cocaïne et une anesthésie générale au chloroforme. Marshall fut profondément impressionné par le courage de Mackintosh, observant qu’ ‘«aucun homme n’aurait pu mieux s’en sortir».
Dans son journal, conservé au Scott Polar Research Institute de Cambridge, Eric Marshall dit qu’il « l’a examiné et a trouvé ce qui semblait être une partie de la rétine saillant du globe oculaire. Ernest Joyce me dit que quand il est tombé, il a vu le cristallin sur sa joue. L’ai gardé sous atropine et cocaïne et avec l’aide de Mackay et Michell nous avons donné le chloroforme, avec la permission d’agir comme nous le pensions. J’ai trouvé le globe oculaire effondré, la cornée déchirée, le cristallin absent, beaucoup d’humeur vitrée s’était échappée et la rétine était lésée. Nous avons décidé à l’unanimité d’exciser l’œil. L’opération a été couronnée de succès malgré des circonstances défavorables dues au manque d’espace et d’instruments chirurgicaux ».
Une transcription dactylographiée du journal (probablement par Marshall lui-même) donne des détails supplémentaires qui ne sont pas dans l’original : « une paire de ciseaux incurvés seulement étaient disponible. J’ai fait des crochets et écarteurs avec des éléments d’accastillage. La méthode de Mackay formé à Edimbourg pour donner des anesthésiques avec une serviette imbibée de chloroforme ajoutait aux difficultés. Mackintosh gisait sur le plancher de la cabine, nous étions agenouillés, et la seule lumière était une lampe à huile ». L’accident coûta sa place à Mackintosh dans l’expédition car Shackleton exigea son retour en Nouvelle-Zélande pour poursuivre traitement. Il ne prit pas part aux principaux événements de l’expédition, mais il revint au Pôle sud avec le Nimrod en janvier 1909, pour participer aux dernières étapes de l’exploration. Et c’est lui qui sauva en quelque sorte Shackleton, Marshall et un troisième homme qui revenaient de leur tentative avortée de rejoindre le Pôle Sud, en apercevant de la fumée dans la « hutte » qu’ils avaient réussi à rejoindre après les pires difficultés, alors que le navire s’apprêtait à repartir en Nouvelle Zélande, tout le monde croyant l’explorateur et ses compagnons perdus. Il est à noter que lors de cette marche au Pôle, ils utilisèrent de la cocaïne en topique pour traiter l’ophtalmie dont ils souffraient régulièrement du fait de la réverbération du soleil sur la neige.
Sur le Pourquoi Pas :
La deuxième expédition française (1908-1910), comme la première expédition était dirigée par le Commandant Charcot . Il avait pris son neveu, le Dr Jacques Liouville comme assistant médecin sur le voyage. Le géologue de l’expédition, Ernest Gourdon était étudiant en médecine. À la station norvégienne de l’île de la Déception (chasse à la baleine) l’un des équarisseurs s’était gravement blessé sa main le 23 décembre 1908. Après une évaluation par Charcot et Liouville, ce dernier opéra le jour suivant alors que Gourdon donnait le chloroforme. Charcot a commenté « ils sont tous les deux en retard pour le retour, l’opération a été longue, mais les deux espèrent son succès.
La troisième expédition de Shakelton (1914-1917) :
La volonté et La détermination de Mackintosh dans l’adversité avaient impressionné Shackleton. En 1914, il démissionna de son poste de secrétaire adjoint de l’Imperial Merchant Service Guild à Liverpool pour rejoindre la troisième tentative polaire de Shackleton (1914-1917), à savoir une expédition transcontinentale en partant de la mer de Ross. Mackintosh fut nommé capitaine de l’Aurora et chef du groupe dit de la mer de Ross, chargé d’installer une chaîne de dépôts sur la plate-forme de glace de Ross, en direction du glacier Beardmore, destiné à déposer des dépôts d’approvisionnement le long des dernières étapes de la fin de l’expédition. Atterrissant au cap Evans à l’été 1915, l’Aurora fut empêchée par la banquise de mouiller au large du cap Royds et fut ensuite emportée par la tempête, laissant une équipe de dix personnes pour établir une base avec des magasins malgré un équipement inadéquat. Contre toute attente les hommes réussirent à constituer des dépôts sur la plate-forme de glace de Ross jusqu’au Mont Hope, mais Victor Hayward et Mackintosh moururent sur le chemin du retour en traversant la glace entre Hut Point et Cape Evans en mai 1916. Shackleton pour cette troisième expédition réalisa, dans l’échec, un authentique exploit digne d’une odyssée homérique.
Devant abandonner son navire, l’Endurance, écrasé par la banquise et forcé de camper sur la glace pendant six mois, il réussit à ramener la totalité de son équipage sur l’ile Eléphant. Lui-même avec deux autres hommes après un périple maritime forcené pu rejoindre et traverser la Géorgie du Sud pour ramener du secours. Sur l’ile, les 22 hommes survivaient dans des bateaux retournés et convertis en huttes. Percy Blackborrow, qui avait d’abord été un passager clandestin mais fut ensuite incorporé après avoir été découvert au début de l’expédition, souffrait de gelures et ses orteils étaient gangrenés. Il fut donc décidé de l’opérer. Alexander Macklin, qui fut l’anesthésiste, décrit dans son journal personnel : « Aujourd’hui (le chirurgien) James McIlroy a opéré Blackboro ‘, amputant tous les orteils du pied gauche. J’ai donné du chloroforme, il a très bien supporté son anesthésie et n’a pas été malade. Nous avons réussi à plutôt bien stériliser les instruments en utilisant un primus et une marmite. Frank Hurley (le photographe de l’expédition) a pris en charge le feu sans enfumer la cabane. Nous avons réussi à obtenir une température jusqu’à 80 ° Fahrenheit (27 ° C) et le chloroforme s’est vaporisé magnifiquement. Nous n’avions que 8 oz (227 g) de chloroforme, mais bien que l’opération ait duré 55 minutes, j’ai seulement utilisé une once. . Blackboro ‘ était bientôt remis de l’anesthésie et a réclamé pour cela, luxe rare, une cigarette ».
Commencée en 1895, l’ère héroïque de l’exploration de l’Antarctique, se termina avec la mort en Géorgie du Sud de Sir Ernest Shackleton (1874- 1922) lors de sa quatrième tentative au Pôle Sud .
https://www.youtube.com/watch?v=ruDxQeITomg
1. Wilson E. Diary of the Discovery expedition to the Antarctic regions 1901-1904. Blandford Press, 1966:37-8.
2. Marshall E. Diary 31 Jan 1908. Royal Geographical Society Library. MS RGS/EMA 6 and 7.
3. Marshall E. Typed transcript of diaries. Scott Polar Research Institute. MS GB 15 Eric Stewart Marshall/British Antarctic Expedition, 1907-09.
4. Marshall E. Diary 6 – 14 April 1908. Royal Geographical Society Library. MS RGS/EMA 6 & 7.