Le TNB de Rennes a accueilli dimanche 28 octobre l’avant-première du documentaire Premières Solitudes. 26 ans après Recréations, il donne à Claire Simon l’opportunité de filmer une nouvelle fois la jeunesse. Sortie en salle le 14 novembre 2018.
Il s’agit d’un portrait d’un âge de la vie : 16 /18 ans.
À cet âge-là, si on a de la chance on est au lycée, ici on est à Ivry et on discute entre les cours, même parfois pendant les cours. Les jeunes gens dialoguent à deux ou à trois et ils découvrent leurs histoires respectives, celles dont ils héritent, de la famille, et ils parlent de leurs passions et de leurs solitudes.
Une fois n’est pas coutume, le nouveau documentaire de Claire Simon laisse la parole à la jeunesse. Après avoir tourné Récréations (1992) dans un cour d’école maternelle, 800 km de différence (2000) auprès d’adolescents et Le Concours (2016) sur le concours d’entrée à la Femis, la cinéaste nous plonge en décor lycéen, dans un établissement du 94, à Ivry-sur-Seine. Munie de sa caméra ainsi que de son expérience, elle pousse avec sensibilité la porte d’une classe de première littéraire spécialité cinéma.
À un âge où le regard de l’autre peut être un moteur autant qu’un frein décisif dans leurs parcours, l’idée du film est de créer (et de capter) le dialogue entre les membres d’une même classe. Tour à tour, ils vont exprimer leurs expériences de solitude en partageant avec un ou plusieurs de leurs camarades leurs situations familiales ou amoureuses. On découvre alors souvent des situations familiales difficiles, des relations parentales compliquées (voire tragiques), des divorces et le mal-être qui en résulte ; mais aussi de grands espoirs et de belles histoires.
Le film apparaît comme une réponse à un besoin d’expression de ces lycéens, qui petit à petit se livrent entre eux les pensées et sentiments profonds qui les animent. Par ce travail d’expression et d’écoute, de confiance, ils se découvrent des ressemblances autant que des particularités, mais surtout apprennent à s’exprimer et à s’accepter. Le film à cet égard rend compte de la puissance de la parole autant que de la puissance de l’écoute. Un climat de bienveillance attentive se construit entre les protagonistes, qui va donner à la parole toute sa générosité, ainsi qu’au film sa matière première.
En cela on peut rendre hommage au travail de la cinéaste Claire Simon qui a encadré le groupe et conduit les échanges dans la plus grande discrétion. La caméra disparaît littéralement du film. Elle laisse toute place, face à elle, à la rencontre des duos ou des trios et à l’imprévisibilité de ce qui peut résulter de leurs échanges. Toute la sensibilité du film réside dans cet effacement de l’adulte et de la confiance placée en l’être humain, sans regard sur son âge. Claire Simon parle d’un film qui lui est arrivé « un peu par hasard » et de la chance qu’elle a eu de « tomber sur des personnes qui avaient vraiment envie de faire un film ».
L’effet s’en ressent dans le dialogue très nourri des protagonistes, qui suscite la curiosité du spectateur. Les histoires racontées sont parfois d’une grande dureté et certaines scènes révèlent des fragilités insoupçonnées. Citons à titre d’exemple l’effondrement d’Hugo, grand gaillard timide, lorsque sa camarade lui pose simplement la question « Et toi comment ça va à la maison ? ». Illustration du pouvoir de la parole et de l’écoute.
Surtout, la cinéaste nous propose un regard différent sur cette période charnière de l’adolescence, parfois dépréciée pour sa frivolité ou sa mollesse. En se gardant de commenter l’image, Simon va simplement chercher plus profondément ce qui se cache derrière le masque de la jeunesse ; masque qui n’est qu’une armure. Loin de la violence, du langage de rue et du désœuvrement social habituellement mis en valeur dans les réalisations sur la jeunesse des banlieues parisiennes, Premières solitudes nous présente au contraire un âge lycéen dans un tout autre rapport à la réalité : avec ses aspirations, ses passions, ses réflexions sur le monde et ses situations intimes délicates qu’il faut gérer souvent dans la solitude.
Une manière de briser le cliché de l’adolescent dans sa bulle, inconscient des réalités du monde. Il est ici, au contraire, totalement en prise avec le réel. Dans ce combat avec ses « premières solitudes », il rencontre la honte, le dépit, la colère, la tristesse, des sentiments bouleversants que le dialogue vient éclaircir. Finalement, c’est un film lumineux et sérieux que Claire Simon nous propose, fait de petites histoires, mais de grands sentiments.
Titre – Premières solitudes
Réalisation – Claire Simon
Sortie le 14 novembre 2018
Festival de Berlin 2018
Titre international : Young Solitude
Avec : Anaïs, Catia, Clément, Elia, Lisa, Hugo, Judith, Manon, Mélodie, Tessa.