Le chorégraphe Pierre Rigal est monté sur la scène du Théâtre de Poche à Hédé-Bazouges, dans le cadre du festival Waterproof, pour présenter le solo Press, jeudi 8 et vendredi 9 février 2024. À la croisée de la danse, du cirque et de l’illusionnisme, son spectacle en huit-clos met en scène la pression du monde professionnel moderne et questionne notre adaptabilité et notre libre-arbitre.
Pierre Rigal se présente sur scène dans un caisson ouvert vers le public. C’est la lorgnette par laquelle nous assistons à la lutte d’un humain en costard cravate en proie à l’oppression du monde du travail.
D’abord ombre de lui-même, il tourne en rond comme un poisson dans son bocal. Il s’ennuie. Il enchaîne des postures, celles du salarié qui cherche la bonne attitude à adopter dans ce cadre. Cette boîte carrée symbolise un bureau dans une structure hiérarchisée. Ses postures sont les tentatives d’adaptation humaine à cet environnement, de positionnement face à des contraintes et de recherche de confort. Peut-être cherche-t-il même un réconfort, à arrondir les angles, à assouplir la verticalité.
Le cadre est trop petit. Il fait de lui une marionnette désarticulée, mi-homme mi-robot, avec ses bugs et ses tourments. Il entreprend de repousser les murs, mais fait du sur-place. Il veut repousser les limites qu’on lui impose et qu’il a acceptées à un moment donné. Il se retrouve sans tête, il va jusqu’à s’enlever une partie du corps pour pouvoir entrer dans le moule, puisqu’il ne peut faire bouger le cadre.
Le son produit par le frottement de ses membres et extrémités sur les murs résonne à l’intérieur. A l’intérieur, on sent l’angoisse de l’enfermement. Il n’a aucune vue sur l’extérieur. A-t-il voulu entrer dans un lieu sécurisant pour éviter de regarder le vide de l’existence, dehors ? Avait-il imaginé se retrouver face au vide intérieur à la place ? Le vide dans le corps, le vide dans ce bureau artificiel ?
Le costume de l’homme sérieux, vertical, acceptant la hiérarchie, viril grâce à sa cravate devient celui d’une marionnette sans tête, sans esprit critique.
Ses bras montrent des directions, ces décisions qui permettent de faire « avancer » l’entreprise. Il n’a aucun repère pour cela, ni ciel, ni terre, ni collectif. Le robot-acteur est à la fois actif et passif. Il est un clown-mime dont les doigts des mains s’écartent et se figent, car ils n’ont pas de prise sur le réel. Mais grâce à la position des bras-croisés-jambes-croisées, son assise lui redonne une sécurité.
Puis à nouveau il ne sait plus comment se mettre. Il cherche à nouveau son positionnement. Il est l’oiseau en cage, le hamster dans sa roue, le poisson dans son aquarium, la sardine dans sa boîte de conserve… conservé dans sa boîte ? Vraiment ? La verticalité le rassure, mais les mains sur les hanches, ça ne suffit pas à lui donner une contenance. Doit-il trouver sa place en dehors du cadre, dans le vide du dehors ou rester dans le vide du dedans ? Est-ce que travailler assis sur une chaise de bureau revient à brasser du vent ? C’est en tous cas ce que disent ses jambes qui moulinent dans l’air, et qui ne lui permettent pas d’avancer.
Il s’agit pourtant d’avancer à tout prix, c’est une question existentielle. En attendant, il est toujours plus contraint : le plafond de la boîte descend de plus en plus bas. L’étau se referme, le ciel s’assombrit. Il se retrouve à quatre pattes, agenouillé, puis allongé, dans cette boîte qui devient un cercueil l’empêchant de se relever, ou un scanner avec sa lumière blafarde et intrusive. Il se fait aimanter vers les parois, collé à ses contraintes. Puis il devient une bille dans une balle secouée par un géant / l’entreprise / le capitalisme. Il parvient à reprendre sa position de confort, bras et jambes croisés, mains sur la taille pour mieux faire face au monde avec assurance.
Il en vient à se repousser lui-même, à jouer le jeu du cadre, ne plus s’appartenir. Il essaie de se rendre carré, mais en réalité il est rond. Il rampe, devient un lézard. Puis il cherche de nouvelles perspectives, se positionne tête en bas, il perd le nord pour trouver de nouveaux repères. La boîte se rétracte à nouveau dans un suspense digne d’un film d’horreur. Lumière arrachée et mise en bouche, il devient le joker au sourire rouge amer. Par revanche, il s’octroie le bras de fer lumineux et tente de l’apprivoiser. Il se saisit du monstre-enfer pour s’augmenter ou bien se diminuer ? Le membre robot-pelleteuse est-il son outil ou l’instrument de son asservissement ? Qui va prendre le pas l’un sur l’autre ? Allongé et sans moyen de défense, il la tue, il étouffe la main qui l’affame.
Pierre Rigal nous propose avec Press une démonstration implacable d’un « système » qui écrase les individus, étouffe les êtres. Et malgré cela, la vie, le mouvement reviennent toujours. L’humain du monde « moderne » met en œuvre des stratégies de survie, continue d’inventer, de créer, de transformer, d’espérer, de jouer. Il se bat, il se débat, il s’interroge, il ne se contente pas, il cherche, il tente, il retente, il pousse, il provoque. il se protège. Il a ce besoin incompressible de libre-arbitre, d’exister à sa manière propre.
Comment continuer à travailler dans des boîtes qui nous broient, nous desservent, nous aplatissent ? Admirable créativité que l’on se découvre quand on est sous contrainte de temps ou d’espace, quand un certain cadre est fixé par avance. Encore faut-il que l’on se le choisisse, son cadre. Mais peut-on encore le choisir, le modeler à notre façon ? Comment arrondir les angles, défaire les codes, retrouver l’humanité si les règles sont trop rigides et inébranlables ? La folie est-elle la seule issue possible ? Les machines doivent-elles gouverner le monde ? Comment préserver son individualité, faire respecter ses besoins, ne pas sentir la solitude imposée ? Comment respirer, tout simplement.
La réponse ici présentée serait donc de sortir nécessairement du cadre, de s’extirper de cette folie pour tout réinventer.