Un prêtre qui s’intéresse à la cosmologie. Voilà le sujet d’un brillant livre intitulé Le prêtre et le Big Bang. L’abbé Lemaître n’aura jamais la renommée d’Albert Einstein. Pourtant cet homme est un génie méconnu.
C’est à l’âge de 9 ans, en 1903, que George Lemaitre prend la décision de donner son existence à Dieu et à la science. « La science n’a jamais ébranlé ma foi et la religion n’a jamais amené à mettre en question ce que je concluais de mes raisonnements scientifiques », écrira-t-il plus tard. Et pourtant, le salut ne peut être ni démontré ni expérimenté. La science a quelque chose de commun avec Dieu ; plus on en sait, moins on en sait…
Formé en Belgique, puis aux États-Unis, il va être le premier à contredire Einstein qui a imaginé un univers stable pour proposer l’idée révolutionnaire d’un univers en expansion, à l’origine rassemblée en un point ; l’hypothèse du Big Bang est née : Fiat lux…
C’est à l’aube de l’année 1910 qu’il eut l’intuition d’un univers en expansion. Moment où Einstein ajouta une constante cosmologique à ses équations. Pour le reste du contexte historique, c’est aussi au moment où Hubble formula sa loi homonyme. L’expansion était pour lui accélérée ; ce qui sera confirmé en 1998. Et l’univers, s’il évoluait, devait avoir eu un commencement. Il le nomma l’atome primitif. Fred Hoyle le popularisera par la célèbre formule du Big Bang.
C’est autant cette histoire que celle du célèbre homme d’Église qui est racontée.
Vincent Engel maitrise parfaitement son sujet. Le parcours singulier de Georges Lemaître, un abbé cosmologiste. Une biographie qui se lit avec plaisir et dont la vulgarisation est intelligente. Seul reproche : la construction de l’ensemble un peu confuse risque de perdre le lecteur en chemin. Les deux premiers chapitres s’enchainent avec brio, la suite connait des longueurs.
Le prêtre et le Big Bang, Vincent Engel, J.C. Lattès, Collection : Les aventures de la connaissance, avril 2013, 220 pages, 17 €
Extrait de l’introduction
Depuis deux ans, quand on me demande sur quel sujet je travaille, je réponds : « une biographie de Georges Lemaître ». Le plus souvent, je ne récolte qu’un regard étonné. Parfois, dans les milieux proches de l’Université de Louvain où j’ai le plaisir d’enseigner, on me répond : « C’est un auditorium, c’est ça ? » Parce que oui, la faculté des sciences de notre Aima Mater, qui jadis refusa de confier au chanoine la direction du nouveau centre de calcul numérique, a donné son nom à une salle de cours et à son Institut d’astronomie et de géophysique. Enfin, il m’arrive quand même d’obtenir cette réponse : « Ah oui ! Le Big Bang ! » Dans la foulée, on peut évoquer l’Univers en expansion, voire l’atome primitif.
Précisons d’abord que Lemaître n’a pas découvert le Big Bang ; il l’a inventé. Comment ? On peut imaginer notre chanoine – les photos que l’on a de lui montrent un homme ni laid ni beau, au visage très rond, et même triplement rond puisqu’il portera toute sa vie des lunettes rondes comme des planètes, rondeur qui s’étendra, avec les années, à son ventre, un regard franc et souriant, et le cou toujours cerclé du col blanc des prêtres d’alors – assis dans un profond fauteuil bourgeois au coin d’un feu. Il vient de reposer sa Bible dont il a relu pour la dix millième fois le premier chapitre de la Genèse et, dans les ronds de fumée – toujours des ronds, bien entendu – que lâche son cigare, il réfléchit. Feu, fumée, ronds concentriques qui s’éloignent en s’élargissant… Bible, « Au premier jour, Dieu créa »… Et si l’Univers était « la fumée et les cendres d’un feu d’artifice originel » ?
Même s’il a utilisé ces termes pour décrire son idée, il n’empêche que le Big Bang de Lemaître est une intuition résultant de l’interprétation d’équations à ce point complexes que seuls les plus brillants spécialistes sont capables de les comprendre. Dans cette nébuleuse d’intelligence pure, le point précis de « l’atome primitif » – le seul que le grand public est à même de comprendre, du moins à un niveau assez superficiel – est une hypothèse qui n’a jamais reçu, de la part de Lemaître, « de formulation mathématiquement complète et adéquate ».
Je suis romancier. Professeur d’université aussi, c’est vrai, mais en « sciences molles », comme on a coutume de dire. L’image du feu d’artifice me parle. Le concept de « courbure de l’espace-temps » évoque éventuellement des livres de science-fiction ; mais qu’est-ce que cela représente ? Et la quatrième dimension ? Si je suis inspiré, peut-être arriverai-je à faire comprendre pourquoi je n’y comprends rien…
Biographie de l’auteur
Romancier, journaliste, homme de théâtre, Vincent Engel est auteur chez Lattès de nombreux succès dont Les Absentes et Le mariage de Dominique Ardenne.