L’Université Rennes 2 accueillait vendredi 23 juin 2017 la 5e édition de l’académie d’été consacrée aux rapports femmes et hommes dans l’espace public. L’occasion de s’intéresser de plus près aux questions de genre dans les lieux publics ; comment la rue révèle des oppressions sexistes qui existent dans la société.
Universitaires, représentant.e.s institutionnel.le.s, associatif.ve.s ou étudiant.e.s curieux.se.s, voici les différentes personnes qui composaient le public de l’Académie d’été de Rennes 2. Surtout, une majorité de femmes. Le féminisme est pourtant autant une question d’hommes que de femmes étant donné que la lutte pour l’égalité gagnerait à être menée bilatéralement. En outre, les attentes et stéréotypes de genre s’appliquent aux femmes comme aux hommes. Reste que les femmes étant perçues comme plus vulnérables, elles en font plus souvent les frais.
Le genre s’imposer désormais comme un point d’entrée d’analyse des enjeux de société. À sa lumière, il s’agissait de réfléchir les rapports femmes-hommes dans l’espace public en tant que lieu où le pouvoir s’affirme comme violence symbolique. En effet, la vulnérabilité est un élément-clé de la question du genre dans l’espace public dans la mesure où elle comprise comme inhérente aux femmes dans les lieux publics. Depuis le plus jeune âge, elles intègrent une certaine fragilité véhiculée par des remarques tels que « ne rentre pas trop tard », « c’est dangereux pour une fille de sortir le soir », « fais-toi raccompagner par un garçon ». Commentaires que les garçons sont moins enclins à recevoir. Dès lors, l’accès à l’espace public par femmes est limité par le sous-entendu qu’elles doivent être accompagnées par une présence masculine pour pouvoir y circuler.
Cette institutionnalisation de la vulnérabilité de la femme se matérialisait sur le site du Ministère de l’Intérieur dans une liste de « Conseil de sécurité aux Femmes » qui a été retirée il y a quelques mois. « Lorsque vous sortez, prenez des précautions élémentaires. Évitez les lieux déserts, les voies mal éclairées, les endroits sombres où un éventuel agresseur peut se dissimuler. Dans la rue, si vous êtes isolée, marchez toujours d’un pas énergique et assuré… » Cependant, comme le souligne Marylène Lieber lors de son intervention, il est contre-productif de mettre l’accent sur la vulnérabilité des femmes dans l’espace public. Elle n’est pas inhérente au genre féminin, mais le résultat d’une construction sociale ; sa mise en avant produirait un sentiment d’infériorité, voire d’impuissance, des femmes face à leurs agresseurs potentiels. Du reste, en matière de statistiques, les violences dans l’espace public sont majoritairement le fait d’hommes entre eux (les violences touchant majoritairement les femmes sont d’ordre conjugale ou familial).
Afin de reconquérir un “droit à la rue”, les femmes peuvent adopter des stratégies d’évitement dans leurs déplacements dans l’espace public (en évitant certains lieux perçus comme dangereux, certains vêtements, etc.). Reste que ces stratégies tendent à perpétuer une « ségrégation sexuée des espaces » dans la mesure où les comportements adoptés se construisent en fonction des attentes genrées déjà présentes dans la rue. Chris Blache soutient que la reconquête de l’espace public passera par plusieurs étapes, notamment une revalorisation des modèles féminins (dans l’écriture de l’histoire, le nom des rues, etc.), une lutte contre les stéréotypes de genre, un travail sur l’urbanisme pour faciliter les usages, mais aussi un travail sur l’équilibrage des budgets alloués aux villes (qui tendent à privilégier les espaces stéréotypiquement masculins comme les terrains de foot).
On pense aussi à une pénalisation des agressions sexistes dans l’espace public, comme le harcèlement ordinaire, comme cela a pu se faire en Belgique. Cependant, on a pu voir que cette loi n’a pas réussi à endiguer les agressions (très peu de plaintes ont été déposées). De fait, le harcèlement ordinaire est difficile à faire constater par les autorités. Marylène Lieber le définit comme les « multiples formes d’intrusions masculines non consenties que connaissent les femmes dans les espaces publics sous forme de remarques, d’attouchements, d’insultes, ou de violences physiques qui s’apparentent au harcèlement sexuel et qui renvoient les femmes à leur seule apparence physique et leur identité de femmes ». Le fait que ces agressions, bien que répétées, soient ponctuelles et perpétrées par une multitude de personnes différentes les rendent compliquées à pénaliser.
Au demeurant, une certaine politisation des questions de genre dans l’espace public serait à l’oeuvre. Mais elle s’opèrerait d’avantage dans une démarche sécuritaire et de stigmatisation que dans une volonté de mettre fin aux violences sexistes. La reformulation en cours du problème conduirait paradoxalement à sa racialisation à travers le blâme de certaines communautés et non celui de l’ensemble des comportements ancrés dans la société. Une tendance renforcée par le cantonnement à certains lieux alors que le harcèlement ordinaire semble n’avoir ni lieu, ni âge, ni couleur. A l’heure actuelle – dénoncent le intervenantes – les politiques publiques tenderaient à territorialiser les violences en jouant sur l’idée qu’il faut protéger les femmes en les assignant à des espaces sécurisés ; d’où une « géographie populaire du sexisme ». Cette politisation du sujet au profit d’un discours sécuritaire entrerait en résonance avec des intérêts politiques (condamner les politiques migratoires, légitimer l’intérêt de la gentrification des centres-villes) et accoucherait d’une nouvelle forme de clivages sociaux.
« Considérer que les femmes puissent jouir de la ville de jour comme de nuit est quelque chose d’assez révolutionnaire pour les élus. Cela est révélateur ce cette inégalité de jouissance de la ville. » Yves Raibaud