La 16e édition du festival Court Métrange s’est clôturé dimanche soir, mais chez Unidivers on aime faire durer le plaisir ! Retour sur la production de cinq réalisateurs français présents à la rencontre organisée au Café des Champs Libres samedi 19 octobre. Entretiens avec Joséfa Celestin, Lora d’Addazio, Julien Leconte, Matthieu Vigneau et Basile Vuillemin.
Animation, comédie, drame ou encore horreur, tous les genres se rencontrent et se mélangent au festival Court Métrange. C’est ce qui fait l’éclectisme de la manifestation, mais tous ont un point en commun, l’étrangeté de l’histoire et ce côté dérangeant qui fascine plus d’une personne.
Unidivers embarque à bord du Court Métrange express et part à la rencontre de réalisateurs passionnés à l’imagination débordante et à l’esprit merveilleusement (et légèrement) dérangé.
Tomorrow might be the day – Joséfa Celestin
Unidivers – Comment est née l’idée de Tomorrow might be the day ?
Joséfa Celestin – Tous les ans en Écosse, où je vis, le Scottish film talent network produit six films qu’on leur propose. C’était l’occasion de faire un film financé parce que jusqu’à présent tous nos films étaient de réalisation étudiante, donc non financé.
L’endoctrinement religieux me fascine. Je me suis inspirée du documentaire Jesus camp (réalisé en 2006 par Heidi Ewing et Rachel Grady) sur les camps évangélistes aux USA.
Il y a aussi un côté écolo avec le personnage principal qui pense que la fin du monde arrive à cause des glaciers en train de fondre. Elle pense que l’eau va monter d’un coup. La fonte des glaces, c’est quelque chose à laquelle je crois ! J’aime l’idée d’évoquer l’endoctrinement au travers de quelqu’un qui a raison d’une certaine manière. Sa croyance est juste, mais sa façon de transmettre, de forcer sa croyance sur une personne influençable, est mauvaise.
Selon une légende écossaise, un esprit vit au fond de chaque loch (lac écossais, ndlr). On l’a appris sur le tournage après avoir écrit le scénario !
Unidivers – Comment avez-vous connu le festival Court Métrange ?
Joséfa Celestin – Je suis venue présenter mon film de fin d’études en 2016 : Event Horizon. Je suis très contente, c’est ma deuxième édition. Event Horizon était en co-production avec une boîte française, Insolence Production. La productrice Anaïs vient tous les ans, elle m’avait encouragée à venir en 2015 !
De plus en plus de femmes essaient de faire du cinéma au Royaume-Uni. À chaque demande de financements, vous devez remplir un questionnaire avec le genre, l’orientation sexuelle, l’ethnicité, etc. Et aux BAFTA (les Césars britanniques) la parité est de plus en plus stricte. C’est une bonne chose, il faut donner des opportunités aux femmes.
J’espère que ces quotas vont disparaître à la longue, mais on en a besoin pour l’instant, sinon ce ne sont que des mecs ! La démocratisation du numérique est un des facteurs primordiaux de l’émergence timide des femmes dans le monde de la réalisation. Avant, on avait besoin d’une équipe de tournage, donc il était plus difficile de s’imposer en tant que femme. Heureusement, ça change !
Unidivers – Les avis divergent par rapport au cinéma de genre. Comment le définissez-vous ?
Joséfa Celestin – Au Royaume-Uni il y a des drames, comédies, documentaires et films d’action. Tout le reste c’est du cinéma de genre. Mes films sont des films de genre parce que l’histoire reste réaliste avec un côté fantastique ou science-fiction. Mais le cinéma de genre n’est pas facile à définir.
J’aime évoquer certains sujets sans les pointer du doigt. Tomorrow might be the day parle d’endoctrinement religieux sans parler d’une religion spécifique par exemple.
Unidivers – Un film ou réalisateur à conseiller ?
Joséfa Celestin – La première fois que je suis venue à Court Métrange, quelqu’un avait comparé mon court métrage au travail de celui du réalisateur Jeff Nichols, qui a fait The Take Shelter. J’étais un peu embarrassée, je ne le connaissais pas et Event Horizon ressemble beaucoup à son film. C’est un hasard ! C’est le créateur qui m’inspire le plus maintenant, je me reconnais dans sa façon de réaliser.
J’aime beaucoup aussi le film Another Earth, par Mike Cahill et le cinéma des années 90 ; The breakfast Club de John Hughes. J’aime beaucoup les dialogues. C’est quelque chose qui me frustre beaucoup dans la réalisation de courts métrages : il y a trop peu de temps pour des dialogues !
PTSD – Claudia Cortés Espejo, Lora D’Addazio, Mathilde Rémy
(I Do What I Want Prod)
Unidivers – Comment est née l’idée de cette collaboration pour le court-métrage PTSD ?
Lora d’Addazio – On s’est rencontrées à la Cambre – École nationale supérieure des arts visuels (Bruxelles). On travaillait toutes les trois sur des projets pas toujours politiquement correct (rires). Mathilde et Claudia aiment la comédie trash et moi l’érotico-gore. L’animation est étiquetée pour les enfants, c’était un peu la croix et la bannière pour expliquer qu’un adulte peut aimer les dessins-animés autant qu’un enfant.
PTSD est notre troisième film. On a voulu réaliser un cadavre exquis qui rassemblait nos trois idées de films. On s’est vite rendu compte de la difficulté de créer une unité à partir de trois courts. On a pu faire le lien grâce au personnage masculin que l’on retrouve dans la proposition de Claudia et la mienne. Le film de Mathilde arrive comme une pause au milieu, un moment plus soft.
« Mathilde voulait se donner des contraintes de mise en scène, un plan séquence sur toute la durée de son court. Le personnage de Billy est tiré d’une série que j’ai écrite, ça me tenait à cœur de le mettre dans un film Et Claudia a toujours voulu travailler sur les personnages secondaires dont tout le monde se fout »
Unidivers – Comment avez-vous connu le festival Court Métrange ?
Lora d’Addazio – Mon sujet de fin d’études, un film d’horreur, a été sélectionné ici alors que pendant un an aucun festival d’animation n’en a voulu. Seuls les festivals de films de genre l’ont sélectionné. Constater que l’animation n’est pas un sous-genre dans le cinéma de genre encourage énormément ! On ne sait pas comment mon premier film s’est retrouvé ici par contre, on ne l’a pas envoyé nous-mêmes (Qui est cet ange gardien de l’ombre ? …).
Unidivers – Les avis divergent par rapport au cinéma de genre. Comment le définissez-vous ?
Lora d’Addazio – C’est nul, on fait tous du cinéma, arrêtons de créer des sous catégories ou des cases ! Ce n’est pas parce que le film n’est pas tout public qu’il est moins cinématographique. Quand je parle de cinéma de genre, je parle des festivals de films de genre. J’ai découvert une ouverture d’esprit et un accueil qu’il n’y avait pas dans les festivals d’animation.
On s’est rapidement confrontés à des murs pendant la formation et après. Nos travaux respectifs n’étaient pas assez artistiques pour l’école… Mais, en bonnes passionnées que nous sommes, on ne pouvait pas s’empêcher de faire ce qui nous plaisait.
Unidivers – Un film ou réalisateur à conseiller ?
Lora d’Addazio – On a une culture et des références relativement différentes : Mathilde est Bretonne, Claudia est Espagnole et je suis Belge. Personnellement, je suis passionnée de films d’horreur. J’aime beaucoup le gothique, la beauté du gore et le côté spectaculaire. Je suis méga fan de Dario Argento (Unidivers avait consacré un article au réalisateur l’année dernière avec un entretien en compagnie de Guy Astic, ndlr), mais les filles ne conseilleraient pas forcément les même films ou réalisateurs.
Liens Vimeo pour découvrir leurs projets respectifs : Claudia Cortés Espejo, Lora D’Addazio, Mathilde Rémy
Leuki – Julien Leconte
Unidivers – Comment est née l’idée de Leuki ?
Julien Leconte – L’idée de base est partie de plusieurs choses : je travaillais sur un projet avec Bruno Collet (présent sur le festival pour son court-métrage Mémorable, ndlr) et Benjamin Botella sur des flics de l’espace, un univers réaliste dans un contexte de science-fiction. Le projet n’a finalement pas vu le jour, mais ce décalage m’est longtemps resté en tête. Et d’un autre côté, il y a ce jeu vidéo Limbo, une vraie source d’inspiration graphique. L’ombre chinoise a une vraie profondeur dans ce jeu, ce que je trouve très beau.
Je baigne dans la science-fiction depuis tout petit et l’histoire des petits vieux me semblait drôle. On n’a pas l’habitude de voir des personnes âgées, donc de la lenteur, dans un univers de S. F. Ça a été mon idée de départ : des ombres chinoises et des petits vieux dans un contexte de science-fiction ! J’ai d’abord pensé au projet comme une série avant de changer finalement d’avis. Si le monde des petits vieux donne un ton humoristique, j’avais peur que personne ne soit emballé. Changer de personnage n’aurait pas fait sens, car l’intérêt était de confronter ces personnages âgés à un univers qui n’est pas le leur habituellement.
J’ai développé le pilote afin de convaincre un maximum de producteurs. Je ne devais m’occuper que de l’animatique à la base (technique cinématographique d’enregistrement du storyboard synchronisé sur la bande-dialogues. En animation, l’animatique est l’étape qui vient après le storyboard, ndlr) or le projet était suffisamment simple et je me suis concentré sur le pilote.
Les contraintes sont différentes entre un court métrage et une série. La ligne directrice est la même, mais il faut réfléchir différemment à la trame. J’ai dû effacer tout ce qui ramenait à une série. Ça m’a permis de mettre des gags que je ne pouvais pas mettre dans un format sériel, pour ne pas casser l’effet de surprise, par exemple.
Le film est là, j’ai fait ce que je voulais faire et j’en suis super content. On verra ce que le court métrage va devenir !
Unidivers – Comment avez-vous connu le festival Court Métrange ?
Julien Leconte – Je suis Rennais donc je connais le festival depuis longtemps, j’y allais en temps que festivalier. J’ai terminé Leuki pile à temps pour le proposer au festival, je ne voulais pas manquer les inscriptions ! Leuki est mon premier film en solo.
Unidivers – Les avis divergent par rapport au cinéma de genre. Comment le définissez-vous ?
Julien Leconte – À une époque, film de genre rimait avec films au budget moindre, pas de stars, généralement horrifiques, science-fiction ou policier. Aujourd’hui j’ai du mal à définir ce qu’est le cinéma de genre, car on a tendance à mélanger volontairement les genres. Je baigne dedans depuis petit et je vois ça de l’intérieur, alors je ne suis peut-être pas le plus à même de répondre…
Il y a une émergence d’un cinéma d’animation exclusivement destiné à un public adulte, ce qui n’était pas le cas avant. On en voit de plus en plus, notamment via Netflix ou les chaînes privées comme Canal +. La volonté est là au cinéma, mais c’est difficile de faire un film qui marche auprès du public. Il y a un décalage : un film d’animation dans la tête des gens c’est forcément un film pour enfants. Des films d’animation pour adultes sortent, mais malheureusement ils ne trouvent pas leur public.
Unidivers – Un film ou réalisateur à conseiller ?
Julien Leconte – J’adore Bong Joon-Ho. Il part dans toutes les directions, sans complexe, et ses films fonctionnent à chaque fois. J’aime les classiques aussi comme Steven Spielberg et James Cameron.
Tharon-Plage California – Matthieu Vigneau
Unidivers – Comment est née l’idée de Tharon-Plage California ?
Matthieu Vigneau – L’idée m’est venue lors d’un voyage en Californie, face à ces paysages qu’on a vu un milliard de fois au cinéma. Plus tard, un ami m’a montré cette ville en Vendée, Tharon-plage. Elle était tout en béton, le mot » Plage » est là seulement pour donner l’effet d’une belle station balnéaire des années 50. Le contraste m’a plu alors j’ai inventé cette ville qui n’existe pas et qui s’appelle Tharon-Plage California. Je suis retourné en Californie pour le tournage, avec un copain, un appareil photo et un micro !
Mon travail est ambivalent : je réalise des courts métrages encadrés par ce que l’on pourrait qualifier de système de production classique. Mais j’ai besoin d’entreprendre des projets en auto-production, plus personnels où je suis plus libre. J’en suis à mon 5e court métrage et il y a quasiment toujours un mort. J’aime mettre en scène des histoires peu banales. Je trouve que tout est beaucoup plus rapide avec un cadavre !
Unidivers – Comment avez-vous connu le festival Court Métrange ?
Matthieu Vigneau – Avec Clément Pineau (Victor dans Tharon-plage California, ndlr), on avait réalisé En Cordé, sélectionné à Court Métrange en 2016. C’est la première fois que je peux me déplacer sur le festival. J’en avais entendu parler en me documentant sur internet : comment envoie t-on un court-métrage, comment cela fonctionne, etc. Il y a des listes de festivals auquel on peut soumettre son film, dont Court Métrange.
Unidivers – Les avis divergent par rapport au cinéma de genre. Comment le définissez-vous ?
Matthieu Vigneau – C’est compliqué, aujourd’hui on peut avoir un film de zombies, trash et d’auteur en même temps. On ne peut plus trop définir le cinéma de genre… Il y a quand même ce système de film de marché, celui qui a le droit à ses publicités dans le métro. Et puis il y a le film davantage artistique, avec peu de moyens et financé par des subventions. Ces deux catégories se distinguent bien selon moi.
Unidivers – Un film ou réalisateur à conseiller ?
Matthieu Vigneau – Ma culture du cinéma est classique et mainstream. Je dirais peut être David Lynch. On ne regarde pas un de ses films de la même façon à 16 ans ou plus tard. J’ai regardé Mulholland Drive 3 ou 4 fois. J’adore ce genre de films à énigmes où on ne comprend pas grand chose. Ce sont des films d’ambiances. Mon travail fait hommage à ces films. La fin de Tharon-Plage California c’est la fin de Zabriskie Point d’Antonioni. La scène se déroule au même endroit.
Ce sont des petits clins d’œil à ces films là. Je ne pourrais pas les réaliser par manque de talent, mais devant lesquels je passe beaucoup de temps !
Retrouvez le travail de Matthieu Vigneau sur sa page Vimeo
Dispersion – Basile Vuillemin
Unidivers – Comment est née l’idée de Dispersion ?
Basile Vuillemin – Ce film a été réalisé dans le cadre de Kino, des films tournés en trois jours, sans budget et sans production. Le but est de tourner en dehors des courants normaux de production. Il y a moins d’exigences scénaristiques aussi car aucune commissions est mise en place.
Un événement concret m’a inspiré ce film. J’ai visité une église à Marseille, mais je n’ai pas fait attention à l’heure et une messe était en cours. Je me suis alors rendu compte qu’elle était enregistrée. Les personnes écoutaient une bande audio sans personne physique… La machine a du buguer car une formule s’est mise à tourner en boucle « Je vous salue Marie pleine de, je vous salue Marie pleine de, etc ». C’était du délire… La pensée a beaucoup évolué et la religion n’a plus le même poids qu’avant, mais elle a encore cette fonction de réunir les gens dans une maison. Cette automatisation m’a marqué.
La mort me fait peur, c’est un thème récurrent dans mon travail – histoire d’amour entre des croque morts, etc. J’ai besoin d’en parler de manière légère et avec dérision. Enterrer ses parents est une étape de vie qu’a priori on vit tous et que l’on redoute. Si cet enterrement se passait de manière vraiment merdique, sans humanité, ça donnerait Dispersion.
La carrière de Dispersion est étonnante. On arrive à la soixantaine de festivals, 11 prix, un achat sur Canal plus et un sur TV Monde. Se dire qu’on est pas tributaire de grosses entités de production pour faire un film qui peut être vu et reconnu, ça encourage énormément.
Unidivers – Comment avez-vous connu le festival Court Métrange ?
Basile Vuillemin – Je bosse avec une prod rennaise donc j’ai vu passer le nom. Puis il est connu dans le milieu du cinéma de genre et est répertorié sur les plateformes de distribution de court métrage, genre shortfilmdepot.
Unidivers – Les avis divergent par rapport au cinéma de genre. Comment le définissez-vous ?
Basile Vuillemin – Au début, je n’ai pas envoyé Dispersion à des festivals fantastiques ou de genre, je ne pensais pas que c’en était un. Plutôt une comédie car c’est un film étrange, mais assez réaliste. En étant sélectionné, je me suis dit que finalement ça l’était peut être. Je ne fais pas de films de genre, ce n’est pas forcément un cinéma que je connais. C’est chouette parce que je découvre beaucoup, le festival m’a donné l’occasion d’en voir plus que jamais.
Unidivers – Un film ou réalisateur à conseiller ?
Basile Vuillemin – Un réalisateur qui m’inspire dans l’absolu David Fincher, mais pas dans ce film particulièrement. Je suis très friand du cinéma américain d’auteur comme Scorcese, Fincher, Zemeckis, un réalisateur dingue selon moi à la capacité de faire des films extrêmement variés comme Forest Gump un de mes films préférés, on a l’impression de voir cinq films en même temps. Sinon Alfred Hitchcock et Charlie Chaplin.
Après, beaucoup de films m’ont nourri, mais quand je fais un film, je réfléchis pas ou peu à d’influences. J’en trouve aussi dans la peinture, il m’arrive de montrer un tableau de la Renaissance pour la lumière, ou des tissus, des palettes, de couleurs, même un catalogue IKEA parfois. Je fonctionne beaucoup à l’image.
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