Règles douloureuses et congés menstruels. Vers des périodes de travail et d’examen adaptées ?

Comment la patrie des droits de l’homme et de la femme peut-elle ignorer les conséquences des règles douloureuses ? Alors que l’Asie a été précurseur en matière d’obtention de congés afin d’aider les femmes à mieux vivre cette période menstruelle et mensuelle, l’Europe est à la traîne. Toute l’Europe, non ? Des entreprises soucieuses du bien-être de leurs salariées commencent à intégrer un tel dispositif en Angleterre. Depuis janvier 2021, une entreprise en France, la Collective à Montpellier, a passé le cap. Et l’Espagne l’a entériné le 17 mai 2022 avant de promulguer une loi d’application générale en décembre 2022 : « L’arrêt de travail d’une femme en cas de règles incapacitantes est reconnu comme une situation spéciale d’incapacité temporaire ». Une révolution. En Bretagne, la société Comme Un Établi l’a mis en place à Rennes à la rentrée 2023. Voilà un panorama succinct des dispositifs dans le monde avant de présenter son émergence en France. Et de conclure sur une question : et si on allait encore plus loin ?…

Les femmes ont obtenu le droit de bénéficier de jours de congés lorsqu’elles souffrent de règles douloureuses, appelées dysménorrhées, dans plusieurs pays du globe. Beaucoup supposeraient qu’une telle pratique aurait émergé dans le laboratoire étasunien, avant de déferler dix ans plus tard en Europe via l’Angleterre comme de coutume. Il n’en est rien. C’est l’Asie qui fut pionnière. Mais avec un traitement peu ou prou équitable..

JAPON

Le Japon a été le premier à instaurer ce congé en… 1947. Mais chaque employeur est libre d’en fixer la durée. Selon CNN, un quart des salariées y avait recours en 1965 contre un pour cent aujourd’hui. Pourquoi ? Parce que les entreprises se gardent bien d’en rappeler l’existence aux nouvelles venues et, surtout, parce que ces premières n’ont aucunement l’obligation de rémunérer les secondes qui se retrouvent contraintes de prendre des congés sans solde. C’est la double peine : un coup dans le ventre, l’autre dans le portefeuille.

CORÉE DU SUD

En Corée, ce n’est pas la double peine, mais un billard à trois bandes. Le gouvernement a mis en place ce congé en 2001. Selon Cnews, en 2013, 23,6% des femmes l’utilisaient, contre 19,7% en 2017. Pourquoi ? Car si les salariées peuvent réclamer chaque mois un jour de congé – non rémunéré, – elles gagnent un jour de salaire en plus si… elles ne le réclament pas. Game ovaire.

INDONÉSIE

L’Indonésie l’a octroyé peu après le Japon en 1948. Deux jours par mois. Cette loi a cependant été modifiée en 2003, explique l’Obs, laissant le congé menstruel faire l’objet d’une négociation entre les femmes et leurs employeurs quant à une prise en charge rémunérée ou non. Les femmes doivent également fournir un certificat médical afin de prouver qu’elles ont bien leurs règles. Quelque peu humiliant…

INDE

En Inde, on jurerait qu’un tel dispositif progressiste n’existe pas, car l’hindouisme a en commun avec le judaïsme, le christianisme et l’islam conservateurs de nourrir une gêne marquée, voire un tabou, à l’égard du flux cataménial qui est perçu comme une manifestation d' »impureté ». Pourtant, au mois d’août 2021, Zomato, le poids lourd de la livraison de repas a accordé aux femmes et aux personnes transgenres menstruées dix jours supplémentaires de congés payés par an en cas de règles douloureuses. La lumière perce parfois là où l’on s’y attend le moins…

TAIWAN

À Taiwan, depuis 2013, trois jours de congés payés supplémentaires sont offerts chaque… année. Au-delà, c’est du congé sans solde. La porte n’est qu’entrouverte…

ZAMBIE

En 2015, la Zambie a mis en place la « fête des Mères ». Cachez cette règle que je ne saurais voir : toutes les femmes, quel que soit leur âge, bénéficient d’un jour supplémentaire par mois. Comment faire face à un sujet tout en en détournant les yeux…

Et alors, en EUROPE, incarnation du processus civilisationnel, phare dans un monde enténébré, bras armé du progrès, patrie de la femme nouvelle ? Que dalle. Ou presque. Un vent nouveau arrive d’Espagne.

En 2016, une entreprise britannique répondant au doux nom de Coexist a mis en place des congés en son sein. Sans doute parce qu’elle emploie majoritairement des femmes. Une première qui était censée faire tache de sang. Hélas, ni contagion ni capillarité, l’adoption de cette mesure ne s’est guère propagée. 

Sonnez trompettes, résonnez musettes et autres muses, le passage du col a eu lieu en Espagne au mois de mai 2022. Présentation en vidéo.

Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au delà ? En France, le congé menstruel fait l’objet de loin en loin de timides prises en compte. Mais on n’enregistre que peu d’avancée déterminante alors que les dysménorrhées constituent la première cause d’absentéisme à l’école ou au travail chez les adolescentes et les jeunes actives.

Pourquoi ? 

Parce que certains craignent de voir ces dernières fort gênées d’évoquer cette situation, notamment avec leur employeur, homme de surcroît. Heu… c’est peut-être aux intéressées d’en décider, non ?

On a aussi l’habituelle rengaine des pisse-froid : certaines vont en profiter ! Toutes des Fallopes ! Certes, mais que quelques-unes profitent indûment d’un jour de congé alors qu’aucune douleur ne les taraude ne saurait faire oublier le nombre conséquent de jeunes et moins jeunes qui en aurait réellement bien besoin.

Certaines associations craignent que l’adoption du congé menstruel entraîne une discrimination supplémentaire envers les femmes dans le milieu du travail. Heu, la faute à qui si quelques bas du caisson ont séché les cours de sciences nat’ à l’école ?! Il s’agit plus que jamais de sensibiliser tous les jeunes à cette manifestation naturelle de régulation du corps afin de la dé-tabouiser. Ce n’est tout de même pas à celles qui la vivent de s’excuser ou de se justifier de quoi que ce soit !… 

Doit-on rappeler que ce système de cycle ovarien des femmes est l’origine de nos existences, nous tous êtres humains qui sommes nées d’elles ? Alors, n’est-il pas temps de mettre fin à cette gêne qui découle directement notamment des interdits judeo-chrétiens relatifs au sang ?

Certaines associations craignent que ce congé constitue un frein supplémentaire à l’embauche des femmes. Heu, un ou deux jours par mois, soit de 0 à 20 jours par an selon les cas, certes, ce n’est pas rien, mais il suffirait que l’État et les partenaires sociaux s’emparent du sujet afin de réfléchir à un dispositif réglementaire et compensateur. En Espagne, c’est la sécu qui s’y colle.

Enfin, certains courants féministes s’y opposent, plus ou moins fermement, au motif qu’un tel dispositif « essentialiserait » les femmes, autrement dit favoriserait leur réinclusion dans le stéréotype de créatures biologiquement fragiles et destinées à la maternité. Mouais. Peut-être. Reste que, selon un sondage IFOP, près des trois quarts des Françaises souhaiteraient l’adoption d’un congé menstruel. Et qu’une majorité des Espagnoles semble accueillir avec satisfaction ce résultat d’un long travail de fond sans se sentir le sujet ou l’objet d’une réduction essentialiste.

Aussi, le 1er janvier 2022, la SCOP La Collective a-t-elle entrouvert la porte en France, à Marseille. 16 femmes sur les 37 salariés que compte l’entreprise ont la latitude désormais de s’absenter durant un jour (pris en charge entièrement, sans certificat médical, par notification par mail au plus tard le matin même) en cas de contraintes dues à leurs règles. La Collective est une entreprise dont la mission est de recruter de nouveaux donateurs au profit d’ONG ; ce que ses salariés réalisent par une station debout à plusieurs qui rend caduc le recours au télétravail. « Depuis sa mise en œuvre, il y a trois mois et demi, neuf jours de congés menstruels ont été pris par le personnel » a indiqué sa direction au Parisien. Une gestation qui semble concluante.

Les choses semblent enfin s’accélérer avec la mairie de Saint-Ouin qui a adopté le congé menstruel fin 2022. Avec un succès relatif mais certain. 16% des femmes qui travaillent dans cette collectivité ont eu recours les mois passés à cette possibilité. “Près d’une femme sur deux dit souffrir de dysménorrhée, 20% d’entre elles déclarent avoir des règles très douloureuses”, rappelle Hélène Conway-Mouret, la sénatrice socialiste à l’origine d’une proposition de loi sur le sujet déposée en avril 2023. Mais en juin, les sénateurs qui s’étaient emparés du sujet ont rendu un avis peu encourageant : “la réponse à ces pathologies relève d’une réelle prise en charge thérapeutique plutôt que de la mise en place d’un congé”…

Le débat reste ouvert, mais semble vouloir enfin connaître une exposition médiatique.

Mais quitte à l’ouvrir, allons plus loin. Voilà une autre proposition qui est le fruit de nombreux échanges au sein de la rédaction d’Unidivers et avec différentes personnes intéressées.

L’égalité de chacun devant la loi et l’impératif d’un traitement équitable – dont la France se gargarise alors que son administration les viole dans les faits trop souvent – sont rompus lors de passages d’examens et de concours, écrits ou oraux. Une jeune fille qui s’apprête à rédiger une dissertation de 5 heures dans le cadre contraint d’une salle d’examen réglementé ne part pas avec les mêmes chances dès lors que son bas-ventre la lance. Aussi pourrait-il être fort utile de doubler chaque période d’examen et concours par une seconde session décalée de 10 à 15 jours.

J’entends déjà pousser des cris d’orfraie. Mais ça va encore coûter un pognon dingue !

Ben, déjà, pas si sûr ; faut calculer.

Et puis, si cette petite ligne budgétaire est susceptible d’aider la moitié de notre humanité locale à ne pas se planter à un examen ou concours qu’elle prépare depuis un an ou plus, je crois vraiment que cela vaut le coup. Et puis, ce doublement des sessions est susceptible de bénéficier à tous. Plusieurs garçons profiteraient également à leur convenance – personnelle ou médicale – de ce choix entre les deux dates.

Alors, si on allait vers une société plus attentive et bienveillante au profit de tous, autrement dit de tous et de toutes ? Autrement dit, pourquoi ne pas convoquer exceptionnellement une discrimination positive comme moyen et non comme fin au service d’une égalité concrète des chances ?

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Nicolas Roberti
Nicolas Roberti est passionné par toutes les formes d'expression culturelle. Docteur de l'Ecole pratique des Hautes Etudes, il a créé en 2011 le magazine Unidivers dont il dirige la rédaction.

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