Rencontre poétique avec Yasmina Hasnaoui le 12 mai

Une rencontre avec Yasmina Hasnaoui Teterel, poète en Avignon et auteur de Peaux de papier, aura lieu le 12 mai 2012 à 11 heures à la médiathèque de Saint-Aubin-du-Cormier en Ille-et-Vilaine (c’est ici sur la carte). Poésies, lectures, conversations accompagnées d’un gâteau aux pommes et d’une gorgée de cidre seront au menu. Pour ceux qui le souhaiteront un buffet frugal sera proposé à l’Atelier des Penchants du roseaux pour poursuivre cette journée poétique.

Christian : Yasmina, si j’avais à caractériser votre écriture – ce que vous écrivez et publiez dans divers lieux, principalement sur internet, et dans Peaux de papier -, deux mots me viendraient à l’esprit : nette et écorchée. Comme si vous utilisiez la précision d’un scalpel et la sûreté d’une main pour détacher la peau du corps de votre propos. Et cette présence, celle de la peau – comme dans votre dernier texte, Chute : « Avide de corps neufs, elle l’avait rongé et dérobé ses rêves, ne laissant plus qu’une peau usée sur le point de tomber, elle aussi. », sauriez-vous me dire pourquoi ?

Yasmina : Vers l’âge de 9/10 ans, je me rendais seule à la bibliothèque municipale et empruntais régulièrement des ouvrages sur l’histoire de la médecine, surtout un ancien livre – je me souviens très bien – avec des illustrations sur les amputations et les autopsies. Je ne voulais pas « être docteur » mais j’étais fascinée par le corps humain et surtout par ce qui se cachait sous la peau. Je voulais comprendre de quoi nous étions faits à « l’intérieur ». La peau protège le corps, elle est son enveloppe mais il arrive qu’à la surface du derme, il y remonte les blessures de l’âme. Il faut alors les décoller. J’aime les armes blanches pour leur silence et l’écriture est une parole silencieuse. Quand j’écris, j’autopsie ce qu’il y a à l’intérieur de moi. Je tranche alors dans le vif pour libérer l’émotion, avant qu’elle ne souille. Je l’extrais. Oui, on peut dire que la plume se fait scalpel. Écrire c’est faire peau neuve à chaque fois.

C : Faire peau neuve… Et me reviens en mémoire la chute de votre Sur mes traces : « Je veux aller là-bas Là où le futur est passé Là, au centre. Percer l’œuf. Écrire. », cet œuf qui concentre en son centre ce liant cher aux peintres où le passé est promesse d’à venir. Ce jaune qui est souvent sombre dans vos écrits est-il l’encre, votre encre, celle où le passé se délie sur la page blanche ?

Y : Oui tout à fait et le nier serait absurde. Le passé est mon présent de l’écrit, ma nourriture, celle qui permet de construire cet à venir. Le temps, dans l’écriture, perd ses repères naturels. Passé, présent, avenir, rien n’est distinct franchement, tout est lié. Du moins, c’est ainsi que je le conçois et le ressens. L’intemporalité de l’écrit, de la chose dite. Aussi, pour reprendre les termes de l’art pictural, cet œuf, outre son rôle de liant, a un pouvoir fixatif.

Cela dit, il n’y a aucun apitoiement sur ce passé au jaune sombre. Il est, c’est tout et il a droit à sa place puisque sans lui, il n’y aurait ni présent, ni d’à venir. Et silencieusement, je l’étale au couteau sur la page blanche pour en respecter le relief.

C : Cette page blanche – à vous lire depuis quatre ans maintenant – à peine maculée, et vous la déchirez facilement ; comme si le temps de sa publication – sur internet – devait être confidentiel et court. J’ai cru comprendre que vos poèmes, ceux de Peaux de papier, ont été sauvés d’une disparition imminente. Est-ce vrai ?

Y : S’il n’y avait pas eu un roseau pour s’y pencher, Peaux de papier n’existerait pas. Aucune trace. D’ailleurs je n’ai aucun de ces textes sur un carnet ou cahier, ni feuille volante et encore moins dans la mémoire de mon ordinateur.

J’avais tendance – beaucoup moins à présent – de détruire ce que j’écrivais. Vous savez, j’ai beaucoup écrit à mon adolescence (inutile de vous préciser qu’il ne reste rien de ces textes) et je suis restée silencieuse une bonne partie de ma vie d’adulte. Aussi, ce sursaut ne pouvait que s’accompagner d’un besoin d’effacer aussitôt.

La publication de Peaux de papier est en quelque sorte le remède à cette manie (sourire). Les mots sont figés, là une bonne fois pour toutes, et je ne peux et ne veux plus les ignorer. Ce que j’avais écrit pour moi est maintenant partagé. À moi de l’assumer. C’est une belle leçon n’est-ce pas ?

C : Je ne sais pas… Une très longue période sans écrire, des déchirures depuis ; vous excellez dans des textes très courts – poétiques souvent – qui se réduisent parfois à une phrase, comme si vous vouliez concentrer tout ce que vous aviez omis d’exprimer, ce qui fut sevré de bonne heure. Pensez-vous écrire un jour un texte plus long ? Vous essayer au roman… Remplir l’espace qu’il offre et ses replis inattendus ?

Y : J’aime le texte court et m’exercer à en écrire long dans un format réduit. En quelques mots, quelques phrases, il est possible de frapper très fort et de faire exploser l’émotion. Sur le net, ce genre s’y prête bien et la poésie est un beau concentré.

Oui, l’écriture d’un roman est envisagée. J’ai quelques idées, une ébauche sur un cahier, des bouts de textes sur plusieurs carnets mais je prends mon temps. J’ai l’écriture laborieuse, je peux passer quinze jours et même plus pour écrire une phrase. Je ne veux pas d’un roman où j’aurais le sentiment de me répéter sans cesse. Je veux surprendre, dérouter, émouvoir et par conséquent, chaque mot doit être choisi avec soin.

Pour l’instant, j’ai deux projets en cours, auxquels je tiens. Attentes, un recueil poétique en réponse aux Mémoires du cargo de Padrig Moazon et un recueil de portraits : Pourtant, ils ont demandé à la poussière (des textes plus ou moins courts/longs) dont on pourra lire des extraits sur le blog du même nom.

C : Pourtant, ils ont demandé à la poussière : quel titre ! À propos de poussière, j’ai ouï dire que vous monteriez une petite semaine en terre gallèse ce printemps, je sais que plusieurs lecteurs (lectrices surtout) vous y attendent et parlent déjà de comment vous recevoir. Qu’aimeriez-vous leur dire ?

Y : Et bien qu’il ne faut surtout pas s’inquiéter, je suis simple. Je suis très touchée par cet enthousiasme et me languis de rencontrer mon lectorat. Je n’ignore pas qu’il est essentiellement féminin. Peaux de papier est une histoire de femme.

Je ne cache pas que je suis aussi un peu anxieuse car je n’ai jamais vécu ce genre de situation. Mais je pense que tout viendra naturellement dès que j’aurai mis le pied en Gallésie.

Ah oui une chose. Il y aura de la tarte aux pommes ?

C : Oui ! avec des biscuits pour tremper dedans.

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Retrouvez Peaux de papier à cette adresse ainsi que des textes récents sur sa correspondance de nuit dont  Café blanc :
Il ne reste que le silence et tes doigts aux nœuds coulants accrochés à l’anse de la tasse. Pendus comme de vieux crochets rouillés par un temps corrosif, ils s’agrippent, au-dessus de ce vide. La porcelaine reste encore le lien saisissable. Encore…. Encore un peu. Assise sur ce fauteuil qui semble t’étreindre pour que tu ne te disperses pas, les souvenirs chiffonnés, tu te replies sous la désarticulation de tes pensées. On peut les entendre geindre lorsqu’elles tentent de percer l’iris de tes yeux, miroirs sans tain. Les reflets les ont usés.
L’absence a le bras long. Elle atteint même la chair des cœurs. Mais vois-tu je reviendrai. Je reviendrai poser ma tête sur tes seins et m’abreuverai du lait de ta mémoire. J’ai le gosier étanche. J’absorberai ! Ainsi, le ventre plein, je t’écrirai. J’écrirai ton corps et ton sang. J’écrirai à chaque lever de lune jusqu’à tuer l’absence avant qu’elle ne devienne tienne.
Je reviendrai et ensemble nous écouterons le bruit de nos cuillers dans le café blanc.

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Christian

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