René-Yves Creston, une première monographie de l’artiste par sa petite-fille

Carguez la toile Creston
Carguez la toile de R. - Y. Creston, 1933. Collection particulière.

Saphyr Creston a consacré sa thèse d’Histoire de l’Art à René-Yves Creston. Spécialiste de son travail, elle publie aux éditions Ouest France la première monographie de l’artiste, un portrait sur la vie et l’œuvre de son grand-père : René-Yves Creston, artiste Seiz Breur et ethnologue.

Si l’on connaît bien le travail du groupe des Seiz Breur créé en 1923, la figure de René-Yves Creston demeure méconnue. Saphyr Creston, Docteure en Histoire de l’Art, a dédié sa thèse à son grand-père. Diplômée de l’Université Paris-Sorbonne en 2017, elle a participé à plusieurs publications et catalogues d’exposition au sujet de l’artiste nazairien. En octobre 2023, les éditions Ouest France publient René-Yves Creston, artiste Seiz Breur et ethnologue, un ouvrage issu de son travail de thèse de doctorat. 

Cette monographie retrace en quatre grandes périodes, de sa naissance à sa mort, le parcours d’un artiste complet : illustrateur renommé, dessinateur, céramiste, décorateur de théâtre, peintre, ethnologue et grand voyageur. René-Yves Creston a nourri son œuvre du quotidien populaire. Fortement attaché à l’identité bretonne et à la modernité de son temps, son travail, tout en restant toujours figuratif, est marqué par une sorte de géométrisation des formes. Au cours de l’ouvrage, les œuvres de l’artiste sont invariablement et fidèlement mises en avant, illustrant les périodes marquantes de sa vie et de ses recherches.

La première partie est dédiée aux trente premières années de René-Yves Creston, de 1898 à 1929. Son attachement à la Bretagne et sa ville natale, Saint-Nazaire, se décèlent dès les premières pages, lorsque l’auteure cite Le vieux Saint-Nazaire de René-Yves Creston (6 octobre 1915) : « […] À droite et à gauche de vieilles Bretonnes causent entre elles, assises sur le pas de leurs portes. De jeunes femmes nettoient la vaisselle, remaillent les filets bleus, pendant que dans le ruisseau pataugent les petits enfants qui s’amusent […]. Mon bon vieux Saint-Nazaire est une grande famille […] ». L’ouvrage témoigne de son évolution et de ses explorations artistiques ; la peinture et le dessin dès 1916, la gravure en 1920 et la faïence et l’aménagement en 1922. Cette période est marquée par son arrivée à Paris et ses études aux Beaux Arts bien que l’artiste demeure en marge de l’effusion de la ville et cherche son inspiration lorsqu’il revient en Bretagne.  

Ses rencontres avec des personnalités artistiques et politiques se multiplient, notamment ses compatriotes bretons « exilés » à Paris : Jeanne Malivel est l’une de ses rencontres les plus importantes puisque c’est avec elle que le groupe des Seiz Breur sera cofondé en 1923. 

AR SEIZ BREUR, SEPT FRÈRES OU UN ART BRETON DEMI-SEL

Les Seiz Breur est un mouvement artistique breton créé entre les deux guerres. Leur esthétique utilise souvent la technique très reconnaissable de la gravure sur bois. Ils retravaillent les objets du quotidien à partir de matériaux bruts et de formes simples, une idée qui amènera à la naissance du design. René-Yves Creston et ses amis artistes (Suzanne Candré-Creston, Gaston Sébilleau, Christian Lepart, …) participent ainsi à l’Exposition internationale des Arts Décoratifs et Industriels Modernes de 1925 à Paris. À travers l’évolution du travail de l’artiste, la préoccupation quant à un art moderne mais toujours empreint de l’identité bretonne se dessine : « Convaincus que l’art moderne ne se joue pas essentiellement dans les salons parisiens, [les Seiz Breur] témoignent d’un réel dynamisme de projets régionaux novateurs » (page 24). 

Forts de leurs influences européennes (mouvement Arts and Craft, création artistique et littéraire finlandaise, mais aussi russe, école polonaise Zakopane…), les Seiz Breur s’ouvrent sur le monde et ses pratiques artistiques, notamment grâce à l’exposition internationale de 1925, « véritable vitrine de l’art et de l’artisanat de chaque nation » (page 33).

  • Quatre pêcheurs portant un canot René-Yves Creston
  • R.-Y. Creston J. Malivel, G. Sébilleau, armoire de l'osté
  • creston faience henriot

La deuxième partie de la monographie s’ouvre sur le décès de Jeanne Malivel en 1926. René-Yves Creston prend les rênes du groupe, une deuxième phase s’opère où de nombreuses créations sont produites : littérature, faïence, meubles, bijoux, mais aussi la revue Kornog et l’Exposition internationale des Arts Décoratifs et Industriels Modernes de 1937. Dans les années 30, les peintures de René-Yves Creston sont également marquées par le milieu maritime : il voyage de nombreuses fois à bord de bateaux, notamment lors de sa mission à bord du Pourquoi pas ? en 1933 et devient peintre de la Marine en 1936.

La troisième partie, de 1938 à 1945, représente une rupture chez Creston, qui entame une carrière d’ethnologue. Il fait ses études à l’Institut d’ethnologie en 1938-39 et suit les cours de Marcel Mauss. Dans le cadre d’une mission financée par le ministère de l’Éducation nationale et de la recherche scientifique, René-Yves est envoyé aux îles Féroé. Il est finalement forcé d’écourter son séjour : la guerre entre la France et l’Allemagne est déclarée.

René-Yves Creston
René-Yves Creston par Michel Heffe

La Seconde Guerre mondiale est un autre tournant. L’artiste ne se place pas parmi les régionalistes bretons qui espèrent voir la défaite de la France pour une indépendance bretonne qui, selon lui, serait sclérosée et réactionnaire si elle venait à naître du régime hitlérien (voir notre article général sur le fantasme celtique de certains Bretons ici). Aussi devient-il membre du réseau résistant du Musée de l’Homme dès 1940, ce qui vaudra son incarcération pendant des mois, puis d’être assigné à résidence en Bretagne par la suite. Au cours de sa détention, René-Yves Creston se procure du papier et de l’encre et continue d’écrire et de dessiner. Enfin, il participe à la création de l’Institut celtique de Bretagne en côtoyant des personnalités régionalistes bretonnes proches des idées de l’Allemagne nazie, ce qui vaudra des interrogations dans certains ouvrages, que Saphyr Creston narre et explique. 

église de Saint-Nazaire 
Creston
Vitrail de l’église de Saint-Nazaire de R.-Y. Creston, 1952. Photo : Andrea K.

Après guerre, les œuvres de Creston se font plus discrètes, il abandonne la gravure sur bois et privilégie le crayon, le pinceau et la plume. Le travail de René-Yves Creston de 1945 à sa mort, en 1964, se concentre sur l’ethnologie bretonne, maritime et européenne. Dans la période de reconstruction d’après-guerre, l’architecte nazairien Similien Gachaud, chargé de réaliser les plans de reconstruction de l’église principale de Saint-Nazaire en 1952, demande à Creston de réaliser les vitraux.

Saphyr Creston, avec sa monographie René-Yves Creston, artiste Seiz Breur et ethnologue, retrace l’œuvre d’un artiste « n’ayant de cesse de produire, de rencontrer, d’imaginer des projets, et dont les nombreux écrits rédigés sur le vif permettent de saisir ce que fut une partie de l’histoire de la Bretagne » (page 7).  

René-Yves Creston, artiste Seiz Breur et ethnologue de Saphyr Creston. Éditions Ouest France. Collection Bretagne. 192 pages. Parution : 27 octobre 2023. 35 €. 

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